La Libye ne veut pas d’un accord migratoire avec l’Europe

L’Europe remue ciel et terre pour fermer la voie libyenne. Mais s’il y a bien une chose qui réunisse tous les Libyens, c’est qu’ils ne veulent pas d’accord sur les réfugiés. Voici la conclusion des interviews que la délégation libyenne a accordé à MO* lors de sa récente visite dans notre pays.

  •  © MinBuZa​ Fathi Mohammed Suleiman, conseiller de la ville de Syrte : ‘Le système mis en place ici est trop ambitieux pour nous’ © MinBuZa​
  •  © MinBuZa​ Moustapha Albaroni, maire de Zinten : ‘Une chose est cependant certaine, c’est que mes collègues et moi-même ne participeront pas à l’installation de migrants dans nos municipalités.’ © MinBuZa​
  •  © MinBuZa​ © MinBuZa​
  •  © Samira Bendadi​ Mohammed Youssef Abuganah, conseiller municipal à Tripoli: ‘On ne peut attendre de la Libye qu’elle prenne en charge les problèmes de l’Afrique.’ © Samira Bendadi​

‘Nous avons encore beaucoup à apprendre,’ déclare Fathi Mohammed Suleiman, conseiller de la ville de Syrte. ‘Sous Kadhafi, nous étions en-dessous du niveau zéro. Aujourd’hui, nous y sommes, à ce niveau zéro.’ D’autres membres de la délégation, deux maires, sept conseillers municipaux et des consultants venus de cinq villes de Libye, se rallient à son opinion. ‘Tous ce que nous avons vu ici est intéressant pour nous. En Libye, les municipalités (shabiyat) ne disposent d’aucune compétence importante. La centralisation du pouvoir est quasi-totale et les moyens, très maigres. Nous ne pouvons même pas créer d’impôt,’ renchérit Mohammed Youssef Abuganah, un conseiller municipal de Tripoli.

‘Le système mis en place ici est trop ambitieux pour nous’

Ces trois jours de visite de la délégation libyenne font suite à la demande du Comité des régions (COR), qui facilite depuis 2015 la collaboration entre les niveaux de pouvoir locaux et régionaux d’Europe et les différentes administrations locales de Libye. Son objectif consiste à améliorer les services publics proposés aux citoyens libyens tout en mettant les élus libyens des administrations locales en contact avec la communauté internationale.

Le département “Affaires étrangères” du gouvernement flamand a saisi l’occasion pour organiser une visite au programme bien rempli, visant notamment à exposer la structure et la gestion financière de nos villes et communes. ‘Le système mis en place ici est trop ambitieux pour nous,’ déclare Fathi Mohammed Suleiman.

Les membres émettent peu de commentaires concernant la situation politique de la Libye. ‘Nous sommes le résultat des élections de fin 2013. En mai 2014, nous avons entamé notre mission ; en juin de cette même année, la crise politique éclatait. Elle a profondément affecté notre travail. Nous avons accusé le coup et tentons de faire avec,’ explique Moustapha Albaroni, maire de Zinten, une ville de 90 000 habitants à 140 kilomètres au sud-ouest de Tripoli.

 © MinBuZa​

Fathi Mohammed Suleiman, conseiller de la ville de Syrte : ‘Le système mis en place ici est trop ambitieux pour nous’

La possibilité d’un accord

Cette visite des maires et conseillers libyens survient à un moment où les esprits s’échauffent en Libye autour de la possibilité d’un nouvel accord migratoire avec l’Union européenne. Celle-ci mise depuis longtemps sur un accord libyen dans la veine du deal conclu avec la Turquie.

Depuis la fermeture de la route migratoire de la mer Égée, la Libye est devenue la principale voie d’accès vers l’Europe pour les migrants et les réfugiés. Sur ce point, 2016 fut l’année de tous les records. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime que l’année passée, plus de 181 000 personnes ont tenté la traversée depuis les côtes libyennes. Avec 4 500 réfugiés n’ayant pas survécu, le record se compte aussi au nombre de victimes.

Lors du sommet de Malte du vendredi 3 février, les dirigeants européens ont décidé d’interrompre l’afflux des réfugiés grâce à un entraînement spécifique des garde-côtes libyens et à une lutte contre les trafiquants d’êtres humains. L’Union européenne a également prévu de libérer un budget de 200 millions d’euros pour des projets liés à la question migratoire en Libye.

Sur place, ce programme inquiète l’opinion publique. ‘Nous avons connaissance des détails du nouvel accord, si nouvel accord il devait y avoir,’ dit le maire de Zinten, Moustapha Albaroni. ‘Une chose est cependant certaine, c’est que mes collègues et moi-même ne participeront pas à l’installation de migrants dans nos municipalités.’ Mohammed Youssef Abuganah, conseiller municipal à Tripoli, partage lui aussi cet avis. ‘On ne peut attendre de la Libye qu’elle prenne en charge les problèmes de l’Afrique,’ conclut-il.

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Moustapha Albaroni, maire de Zinten : ‘Une chose est cependant certaine, c’est que mes collègues et moi-même ne participeront pas à l’installation de migrants dans nos municipalités.’

Gouvernement el-Sarraj incompétent

Les dirigeants locaux ne sont pas les seuls à s’opposer aux projets de l’Union européenne. En tant qu’avocate faisant autorité, Azza Kamel Maghur fut impliquée lors de la rédaction de la constitution provisoire de la Libye et de la préparation de la loi électorale après la chute de Kadhafi. À la veille de la rencontre de Malte, elle évoqua ses réserves concernant les projets européens et appela les juristes et les avocats à se préparer à la contestation de tout accord.

Azza Kamel Maghur rappelle le différend entre la Libye d’une part et les USA et les pays du nord du bassin méditerranéen de l’autre, à propos des limites des eaux territoriales de la Libye. ‘La mer territoriale, sous la souveraineté nationale, s’étend jusqu’à 12 milles marins (22 224 mètres),’ écrivait l’avocate sur son profil Facebook.

‘La Libye avait demandé de mesurer cette distance à partir des deux extrémités du golfe de Syrte, ce qui causa des confrontations militaires dans les années 1980, entraînant la mort de pilotes et de marins libyens,’ écrit-elle. Ceci explique pourquoi l’avocate estime qu’aucun gouvernement, indépendamment de la reconnaissance internationale dont il jouit et de la pression qu’il subit, n’est autorisé à conclure des accords de nature à compromettre la souveraineté libyenne.

L’universitaire et analyste libyen Moustapha Elfetouri déclare être l’un des opposants à tout nouvel accord concernant la question des réfugiés. ‘Pour commencer, le gouvernement el-Sarraj n’a légalement pas les compétences nécessaires à la signature d’accords à l’étranger, puisque le parlement de Tobrouk n’a toujours pas accordé sa confiance au gouvernement d’union nationale.’

‘Les Libyens craignent un abus de la faiblesse de l’élite politique et la conclusion d’accords ne respectant pas la législation de leur pays. En Libye, l’immigration est interdite par la loi. Légalement, la Libye n’est pas obligée d’accueillir les migrants et les réfugiés. De plus, elle a déjà conclu un accord avec l’Italie,’ résume Moustapha Elfetouri. ‘Cet accord a été signé sous Kadhafi, en 2008. L’Europe devrait respecter ce qui a été convenu à l’époque,’ pense l’universitaire.

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Des organisations non-gouvernementales tirent aussi la sonnette d’alarme. En Libye, douze ONG jugent que tant les accords de 2008 entre la Libye et l’Italie (qui ont permis de renvoyer des migrants d’Italie en Libye pour y organiser leur départ volontaire) que les nouveaux projets européens sont inhumains et immoraux. Elles ont lancé un appel international au respect des droits de l’Homme.

Situation en Libye

On ignore aujourd’hui combien de migrants en provenance de l’Afrique Sub-saharienne se trouvent en Libye. Les chiffres oscillent entre 500 000 et 700 000 personnes, estime Moustapha Elfetouri. Il ne fait aucun doute qu’elles vivent dans des conditions de vie abominables. ‘Pour autant, je ne comprends pas pourquoi l’Union voudrait conclure un accord avec la Libye, vu que notre pays ne lui envoie pas de migrants. L’Europe ferait mieux de négocier des accords avec les voisins de la Libye, d’où proviennent les migrants,’ recommande Mohammed Youssef Abuganah, conseiller municipal à Tripoli.

 © Samira Bendadi​

Mohammed Youssef Abuganah, conseiller municipal à Tripoli: ‘On ne peut attendre de la Libye qu’elle prenne en charge les problèmes de l’Afrique.’

Avec sa sphère politique déchirée et son chaos militaire, la Libye a d’autres priorités. ‘Pendant 42 ans, nous étions isolés du monde. Notre vaste pays disposait de beaucoup de moyens, mais nous devions nous rendre dans les États frontaliers pour recevoir des traitements médicaux. Pour des achats tout simples, il fallait aller à l’étranger,’ raconte Youssef Abuganah. ‘Nous, plus que quiconque de la région, nécessitions un changement. Nous nous sommes réjouis de l’assassinat de Kadhafi. Malheureusement, ce qui vint ensuite ne correspondait pas à nos attentes.’

D’après Mohammed Youssef Abuganah, la priorité va à la reconstruction de la société. ‘Nous avons besoin de formation et d’éducation. Il ne faut pas chercher loin. Nos voisins la Tunisie et le Maroc sont des exemples, même sur le plan politique. Ils peuvent potentiellement nous apprendre davantage que les pays européens. Je regrette que ces pays n’aient pas encore pris l’initiative.’

Le maire de Zinten trouve que la maturité et la vision à long terme font défaut aux dirigeants politiques et militaires de la Libye. Il ne s’attend pas à y voir d’amélioration de sitôt. ‘Nous soutenons le gouvernement d’union nationale parce qu’il est le meilleur que nous ayons connu jusqu’à présent. Toutefois, il est impossible de prévoir l’évolution de la situation,’ déclare-t-il.

’Trump apporte de l’optimisme à de nombreux Libyens.’

Pour sa part, Moustapha Elfetouri n’exclut pas une solution politique. ‘L’élection de Trump apporte de l’optimisme à de nombreux Libyens,’ relate-t-il. ‘Le nouveau président a une toute autre vision du rôle des USA à l’étranger. D’après Trump, l’intervention militaire en Libye était une erreur. En matière de lutte contre le terrorisme, il se situe sur la même longueur d’onde que la Russie. En ce moment, l’Égypte tente d’assurer la médiation entre Fayez el-Sarraj du gouvernement d’union nationale et le général Khalifa Haftar, l’homme fort de l’ouest du pays. Si Le Caire y parvient, il y a de grandes chances que la Libye sorte de la crise et que des élections soient organisées en 2018.  En revanche, si la crise politique n’est pas résolue en 2017, nous sommes repartis pour une très longue période d’instabilité,’ prévoit l’universitaire Moustapha Elfetouri.

Traduction : Marie Gomrée

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