Assassinat au Burundi

Le Roi Baudouin au créneau pour les démocrates-chrétiens

Le 13 octobre 1961 le Grec Jean Kageorgis assassine le Premier ministre burundais Louis Rwagasore, fils de mwami Mwambutsa, le Roi du Burundi. Quelques semaines auparavant, le prince Rwagasore et son parti Uprona ont remporté les élections. Après examen des archives des Affaires étrangères, Guy Poppe a constaté en 2011 déjà, dans son livre L’assassinat de RWAGASORE, le LUMUMBA Burundais, une implication belge qui n’a jamais été révélée. Un document est particulièrement important : celui que le Roi Baudouin envoie au ministre des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak. Il mentionne que le 21 septembre, lors d’une réunion trois jours après les élections, Roberto Regnier, le résident du Burundi à l’époque, affirme ouvertement qu’il veut la mort de Rwagasore : « il faut tuer Rwagasore ».

Côté belge, il n’y eut aucune réaction officielle à ces révélations. MO* entre dans les détails de la connexion belge. Guy Poppe découvrit des sources dans les archives de feu Regnier et dans celles de Mwambutsa. Elles contiennent des indices confirmant la thèse que Baudouin a voulu mettre la démocratie chrétienne, qui n’avait pas la conscience tranquille, à l’abri des soupçons. Raison de plus pour examiner enfin l’affaire à fond, après plus de cinquante ans.

C’est une curieuse lettre que le chef de cabinet de Baudouin, André Molitor, écrit le 26 juin 1962 au chef de cabinet de Paul-Henri Spaak, Robert Rothschild. En annexe se trouve un document anonyme de dix pages. L’auteur, qui est compétent en la matière, mentionne une réunion lors de laquelle le résident Regnier, face à des fonctionnaires de tutelle haut placés, prononce au vu et au su de tous les invités les mots « il faut tuer Rwagasore ». Cinq jours plus tard, le 1er juillet, le Burundi accède à l’indépendance et le Roi sait que Paul-Henri Spaak veut que l’assassin de Rwagasore soit exécuté avant cette date.

Baudouin veut persuader le ministre de gracier Kageorgis et de commuer sa peine capitale en réclusion à perpétuité. Des tentatives précédentes se sont soldées par un échec. En dernier ressort, le Roi n’hésite pas à faire parvenir à Paul-Henri Spaak un rapport anonyme qui accable la Belgique. Il dévoile tout, notamment un jugement impitoyable du résident, qui représente la plus haute instance dans ce territoire de tutelle. Comme si Baudouin voulait rappeler à Paul-Henri Spaak que la Belgique porte la responsabilité de l’assassinat de Rwagasore et qu’il ne serait pas convenable que seul l’homme qui a appuyé sur la détente soit condamné.

Lacunes

À la lumière du dossier judiciaire dans l’affaire Rwagasore, il apparait que le parquet de Bujumbura n’a jamais interrogé Regnier, ni Harroy, le résident général du Ruanda-Urundi. Même si 48 heures après l’assassinat, immédiatement après son arrestation, l’un des conspirateurs a fait une déclaration dans laquelle il signale l’engagement possible de Harroy. Ce n’est que pendant le procès en appel en avril 1962, que le témoin-clé Madame Belva et Regnier s’affrontent. Le tribunal considère ses dires comme des boutades prononcées à la légère et en tient compte à titre de circonstance atténuante. L’affaire est close. L’assassin, ses complices et les autres conspirateurs, ont été appréhendés et punis. La justice ne revient plus sur des pistes qui indiquent une complicité belge.

Dans mon livre je suis parvenu à la conclusion, sur la base des lacunes de l’enquête, que «“il est plus qu’évident que la justice burundaise, à l’époque entièrement entre les mains des Belges, a passé soigneusement sous silence tout ce qui concerne les Belges, qu’ils soient actifs en métropole ou au Burundi. Il y a trop d’indices pour accepter que toutes ces pistes n’auraient mené à rien. »

A l’heure actuelle j’ai pu mettre la main sur des pièces qui peuvent éclaircir le rôle de l’autorité de tutelle belge dans l’affaire Rwagasore, notamment celui de Regnier. Dans ses archives nous avons trouvé trois documents de sa main. Le premier date du 20 avril 1962. Il revient sur son témoignage devant la cour d’appel l’avant-veille, la première fois qu’il a été obligé de commenter les propos qu’il avait tenus immédiatement après les élections. Le deuxième document date du 2 juillet, quelques jours après que le parquet de Bruxelles l’a interrogé.

Ces interrogatoires ont lieu le jour de l’exécution de Kageorgis et la veille, en d’autres mots : assez tardivement pour qu’elles ne produisent plus aucun effet. Les procès-verbaux n’ont pas été divulgués jusqu’à présent. Au moins 25 ans après ces évènements, Regnier a en outre pris des notes non datées. Elles peuvent être écrites au plus tôt en 1987, parce qu’il cite les mémoires de Harroy concernant le Burundi. Mémoires qui ont été publiés au cours de cette année.

Ces documents nous fournissent un témoignage posthume du résident. En outre j’ai déniché des informations des archives de Mwambutsa, notamment des comptes-rendus du témoignage de Regnier devant la cour d’appel. J’ai également parlé avec des témoins de cette période. Ils ont clarifié certains aspects de l’affaire.

L’argumentation de Regnier

« J’ai prononcé les mots “Il faut tuer Rwagasore” » C’est ainsi que Regnier achève ses notes du 2 juillet. Mais il esquisse également le contexte de ses propos. À la réunion du 21 septembre il veut décider avec tous ceux qui étaient présents, tous des Belges, comment ils réagiront à la victoire électorale, à laquelle la tutelle ne s’attendait pas. Le désarroi est à son comble. L’autorité de tutelle était favorable à une victoire des adversaires de Rwagasore, qu’elle avait soutenus financièrement. Regnier signale la réputation détestable dont jouissait Rwagasore.

Ceci explique pourquoi pendant la campagne on a fait des remarques malheureuses dans le genre de « ce serait un bon débarras » et des comparaisons comme « un nouveau Lumumba ». Il les appelle des boutades imprudentes mais anodines, prononcées avant les élections et jamais devant des Burundais.

Regnier présente trois scénarios aux fonctionnaires. La liquidation du prince y occupe une place essentielle.  Non pas en tant que mission formelle, mais en tant qu’élément d’une possible solution pour se débarrasser de Rwagasore. Le résident lui-même est partisan de l’idée de se mettre à la disposition du nouveau gouvernement. Aussi choisit-on ce scénario.

Bref, même si la résistance à l’égard de Rwagasore avant les élections a été forte et même si on est accablé par sa victoire, l’autorité de tutelle amorce un tournant le 21 septembre et accepte le bouleversement électoral. Regnier convainc les adversaires du prince de faire de même. Ses propos imprudents (dixit Regnier) « Il faut tuer Rwagasore » relèvent d’un chapitre clôturé. Regnier tourne la page.

L’énigmatique Savine Belva

Il a fait un mauvais calcul en oubliant madame Belva. Elle est la secrétaire de Jean Ntidendereza, l’adversaire politique le plus important de Rwagasore, qui mènera le bal contre celui-ci dans la conspiration. Par ailleurs, Belva est plus que la collaboratrice de Ntidendereza et leur relation rend la façon d’agir de la femme compréhensible. Belva discrédite Regnier. Un dimanche après-midi fin octobre 1961, quelques jours après l’assassinat, elle se rend auprès du substitut Jacques Bourguignon, qui mène l’investigation et qui plus tard occupera la fonction de procureur du Roi en première instance. Elle le met au courant des propos de Regnier, mais elle ne fait pas de déclaration officielle. Bien que Bourguigon en discute avec Regnier, il n’existe pas de note, et encore moins un procès-verbal.

Pendant la séance de la cour d’appel du 18 avril, Belva revient sur le propos de Regnier. Elle admet toutefois que celui-ci s’est tenu en petit comité, parmi des Européens, ce qui incite les juges à se montrer plus indulgents. Ensuite, constate Regnier,  elle change de cap. Elle le prie de transférer Ntidendereza en Belgique pour qu’il puisse y purger sa peine. Elle lui annonce que, si elle essuie un refus, elle compromettra Harroy comme Regnier (« Je mettrai la tutelle dedans »). Deux mois plus tard Belva accuse Regnier d’avoir émis une injonction en sa présence et celles d’autres fonctionnaires.

Une injonction qui doit s’entendre comme une nécessité absolue (« Elle m’a accusé d’avoir émis une injonction formelle, à la cantonade (…) se ramenant à un impératif catégorique : ‘Il faut tuer Rwagasore’ »). Belva suppose que ces mots ont dû être répétés, que quelqu’un a pu les entendre, les prendre pour un ordre et passer à l’exécution. « Il faut tuer Rwagasore », ces propos poursuivent Regnier.

La démocratie chrétienne en action

Retour à la note anonyme que Baudouin envoie à Paul-Henri Spaak. Le Roi joint sa voix à un texte dans lequel toute nuance a disparu et qui met en évidence les paroles de Regnier. Ce qui saute aux yeux, c’est que sa version de ce dernier importe peu. L’auteur de la note la néglige, bien qu’elle soit connue au moins partiellement, étant donné que Regnier avait été cité à la barre au procès d’appel. L’auteur de la note ne se donne guère la peine de tenir compte du contexte dans lequel le résident a prononcé ces mots. Pas plus que les conseillers de Baudouin, d’ailleurs. Après que celui-ci a personnellement pris la plume, une tentative vaine, ils n’hésitent pas à utiliser une pièce anonyme pour sauver la peau de Kageorgis, même si Regnier doit servir de bouc émissaire. Il faut coûte que coûte que l’on gracie l’assassin. Que se passe-t-il ?

Avant tout un mot au sujet de Robert Scheyven, l’ancien résident. Dans mon livre, j’ai démontré qu’il est l’auteur de ce document. Il est le descendant d’une famille enracinée dans la démocratie chrétienne.  Son cousin Raymond fut ministre dans le gouvernement Eyskens jusqu’en 1960, chargé des affaires économiques et financières du Congo belge et du Ruanda-Urundi. À cette époque, le Parti Social-Chrétien, encore unitaire, était de loin la plus grande formation politique, avec des ramifications à tous les niveaux de la société et de la Cour.

Ntidendereza, le cerveau du complot, est lui aussi démocrate chrétien, étant le leader du Parti Démocrate Chrétien, le parti frère au Burundi du PSC belge. Jusqu’à la défaite électorale de septembre 1961, ce parti et l’alliance du Front Commun construite autour de lui soutiennent le gouvernement burundais. Le frère de Ntidendereza, Joseph Biroli, l’un des autres conspirateurs contre Rwagasore, occupe tout comme lui un rôle primordial dans la démocratie chrétienne burundaise.

Le dossier judiciaire contient d’autres signes d’une implication d’hommes politiques de la démocratie chrétienne. Dans un témoignage écrit et détaillé, Max Vanderslyen, le partenaire économique et politique de Rwagasore, réfère à des fonctionnaires de tutelle, une banque et une personnalité politique belge comme des piliers et des bailleurs de fonds du PDC de Ntidendereza. Vanderslyen écrit que jusqu’à quelques jours avant l’assassinat des sommes importantes ont été transférées. Toutefois, lorsqu’il accuse un homme politique démocrate chrétien, il ne cite pas de nom.

Qui lit bien sa déclaration, comprend qu’il vise une personne haut placée dans la démocratie chrétienne belge, quelqu’un qui en amont de l’indépendance de la colonie et des territoires de tutelle s’intéressait à l’Afrique Centrale, en raison soit de sa fonction, soit de ses liens familiaux. Il est vrai que  Vanderslyen est une personnalité douteuse. Néanmoins, le fait qu’aucune suite n’a été donnée à son témoignage est une lacune de plus dans l’enquête.

Autrement dit, il y a abondance d’indices confirmant l’hypothèse que la démocratie chrétienne a instrumentalisé Baudouin, ayant des raisons importantes pour étouffer l’affaire. Le fait que dans l’offensive définitive elle ait carrément utilisé la « boutade » de Regnier contre lui, en est la confirmation.

Plaidoyer pour une nouvelle commission Lumumba

Rien n’est certain à cent pour cent. Cela est dû principalement aux défauts dans l’enquête judiciaire, mais aussi au fait que tous les documents qui peuvent éclaircir cette affaire n’ont pas encore surgi. Toutefois, grâce à l’analyse des notes de Regnier et des sources complémentaires, je suis capable d’affiner mes idées. Les erreurs que le parquet a commises ont surement dissimulé l’implication de l’autorité de tutelle, comme on le savait déjà. A l’heure actuelle, nous sommes certains qu’elles ont évité que la démocratie chrétienne ne soit démasquée. A la suite de ses manœuvres dans la partie d’échecs politique, c’était à Baudouin de jouer. Il est impossible de discerner s’il était plus qu’un pion, mais il est bien clair qu’il s’est acharné en s’acquittant de sa mission.

Pour que l’affaire soit claire, des documents qui jusqu’ici n’ont pas été divulgués, comme les procès-verbaux des interrogatoires de juin 1962, doivent être rendus publics. Par ailleurs, les intéressés qui sont encore en vie, comme le procureur Bourguignon et Etienne Davignon, la main droite de Paul-Henri Spaak dans le dossier Burundi, doivent témoigner sous serment. La méthode la plus évidente serait une enquête parlementaire, d’après le modèle de la commission Lumumba.

Il est grand temps qu’on l’érige. L’enquête qu’a menée la Chambre au début du siècle sur le rôle de la Belgique dans l’assassinat du premier ministre de Congo a, une fois pour toutes, généré la transparence. A présent, les Congolais sont au courant de ce qui s’est déroulé le 17 janvier 1961 au Katanga, quels en sont les antécédents, et quel est la responsabilité de la Belgique dans cette affaire. Les Burundais ont droit aux mêmes informations sur ce qui s’est passé le 13 octobre de la même année à Bujumbura.

Aussi, je plaide pour que la commission de vérité et de réconciliation au Burundi fasse débuter la période à examiner plus tôt que prévu dans la proposition de loi introduite au parlement. Le texte actuel la fait commencer au 1er juillet 1962, jour de l’indépendance du Burundi. La commission est ainsi privée de la possibilité d’étudier les circonstances de l’assassinat du premier ministre Louis Rwagasore, commis le 13 octobre 1961. Ce serait une occasion manquée.

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