L’Arabie saoudite, le pays qui peut tout se permettre

Au Yémen, le président fuit devant l’avancée de la rébellion armée. L’Arabie saoudite réagit en bombardant le pays. D’où cette question : peut-on, au 21e siècle, attaquer un pays voisin et violer sa souveraineté en toute impunité ? Si l’on s’appelle l’Arabie saoudite, la réponse est oui.

Le monde s’est tellement recroquevillé que les vieux principes des Etats souverains sont continuellement mis à rude épreuve. Epidémies, pollution et catastrophes climatiques, idées révolutionnaires et culture commerciale : le poids des vieilles frontières s’amenuise. Ainsi, la désagrégation du pouvoir étatique en Irak et en Syrie, respectivement provoquée par une intervention militaire et une révolte armée, a des répercussions jusqu’à Vilvorde.

Zuhair A. Al-Traifi (CC BY-NC-SA 2.0)

Si l’on se plaît à brandir les droits de l’homme, le respect des règles internationales et de bonne gouvernance à la face des capitales africaines, on se garde bien d’en faire autant à l’égard de nos alliés.

Des exceptions restreintes en matière de souveraineté subsistent toutefois encore. Autrement, on ouvrirait la boîte de Pandore car tout le monde en profiterait pour s’ingérer dans les affaires de pays voisins ou éloignés, prétextant les souffrances ou les dérives des autorités, de la population ou des entreprises. A cet égard, même la déclaration solennelle des Nations unies de 2005 n’envisage la responsabilité de protéger que dans le cadre d’une intervention humanitaire avalisée par le Conseil de sécurité. Et encore, cette intervention est circonscrite à des cas extrêmement précis et soumise à des conditions strictes. Dans le contexte syrien, cette situation aboutit à une impasse fatale mais préserve aussi le monde de l’impérialisme brutal des Etats les plus puissants.

Absence de mandat

Les Saoudiens ont-ils soumis leur opération militaire à l’approbation du Conseil de sécurité ? Non.

L’Arabie saoudite échappe cependant à la règle, une nouvelle fois. Le pays qui peut tout se permettre s’est ainsi mis à bombarder des positions appartenant aux rebelles houthistes dans le Yémen voisin. Non pas que ces derniers menacent d’envahir le royaume saoudien. Non, leur tort réside plutôt dans l’éviction d’un chef d’Etat allié. Les Saoudiens ont-ils soumis leur intervention militaire à l’approbation du Conseil de sécurité ? Pas le moins du monde. Leur opération ne repose donc sur aucun mandat. « La communauté internationale » les a-t-elle incidemment condamnés pour violation de la souveraineté nationale du Yémen ? Que nenni.

Dans un communiqué, Federica Mogherini, la représentante de l’UE pour les affaires étrangères, affirme que la violence militaire ne constitue pas une solution. Sa critique ne vise pas ici l’Arabie saoudite mais bien les Houthis. Selon son raisonnement, l’intervention découle directement des actions inqualifiables perpétrées par les Houthis. Depuis quand un tel motif justifie-t-il, dans le monde d’aujourd’hui, l’envoi de bombardiers dans un pays voisin ?

Reynders: « une action très positive »

Notre ministre des Affaires étrangères se trouve justement dans la région pour une mission commerciale, où s’invitent toutefois des discussions politiques autour de l’actualité brûlante du moment. Peut-on s’attendre à ce qu’il ait déjà fustigé les manœuvres saoudiennes ? Non. Au contraire, il les qualifie de « très positives ». Sur le site deredactie.be [site de la chaîne VRT, ndt], on apprend ainsi que le ministre a conscience que la coalition des pays arabes sous la houlette de l’Arabie saoudite « craint une intervention de l’Iran sur la scène régionale ».

Il va plus loin. « Ils redoutent également la présence de forces terroristes sur leur territoire. Troisièmement, il y a le danger de voir le conflit s’étendre à l’Arabie saoudite ou à l’Oman. » Comme si les terroristes guettaient la chute du régime en vue de pénétrer sur le territoire saoudien.

Les frappes aériennes menées par Riyad bénéficient également du soutien de la France et de la Grande-Bretagne. En d’autres mots : la perspective d’un regain d’influence iranien par le biais du coup d’Etat houthiste au Yémen suffit à autoriser une campagne militaire effective, et ce au mépris de toutes les conventions de l’ONU.   

CC RA.AZ (CC BY-NC-SA 2.0)

Pour le moment, rien n’entrave les agissements de l’Arabie saoudite, quand bien même ce pays bafoue règles de droit internationales et droits de l’homme universels.

Alliés

Si l’on se plaît à brandir les droits de l’homme, le respect des règles internationales et de bonne gouvernance à la face des capitales africaines, on se garde bien d’en faire autant à l’égard de nos alliés.

Ce n’est pas la première fois que l’Occident accorde un sauf-conduit international à ses alliés arabes désireux d’intervenir militairement dans la région. Il y a quatre ans, les troupes saoudiennes avaient ainsi maté une révolte populaire à Bahreïn. A l’époque, l’évènement avait été largement snobé par les médias occidentaux, donnant à penser que la violation des droits de l’homme n’était soudain plus une cause digne de leur indignation morale. 

Même indifférence envers les droits des femmes en Arabie saoudite et au sein des autres Etats du Golfe, fréquemment foulés au pied lors de missions économiques ou discussions de coopération. Si l’on ne se prive pas d’agiter les droits de l’homme, le respect des règles internationales et de bonne gouvernance au nez des capitales africaines ou des pays jugés rétifs, c’est, par contre, le silence radio quand il en va de nos « alliés ».  

Les capitales d’Amérique du Nord et d’Europe considèrent l’Arabie saoudite, les Etats du Golfe et l’Egypte comme le meilleur moyen d’endiguer (pour ne pas dire opprimer) toutes sortes de mouvements qui agacent les puissances régnantes. Au rang des moutons noirs : radicalisme islamiste, spectre iranien, Printemps démocratique et révolution économique.

Gare pourtant aux retombées de la mise à nu d’une telle hypocrisie car elle entache la crédibilité de l’Occident, non seulement au sein des pays victimes de ces ingérences, mais aussi auprès de larges pans de la population des pays « habilités » à intervenir militairement. En effet, le mécontentement croissant face à la connivence des dirigeants nationaux avec les grandes puissances internationales touche également l’Arabie saoudite et les autres Etats du Golfe, l’Egypte, la Jordanie et le Maroc.

Un apprenti devenu maître

Pour le moment, rien n’entrave les agissements de l’Arabie saoudite, quand bien même ce pays bafoue règles de droit internationales et droits de l’homme universels.  

En matière d’interventionnisme, l’Arabie saoudite a été à bonne école puisqu’elle a appris les ficelles du métier grâce aux Etats-Unis. A l’époque de l’opération antisoviétique en Afghanistan, étalée sur plusieurs années, Riyad, en tandem avec les Etats-Unis, avait financé les moudjahidines et le service de renseignement pakistanais. Pour chaque dollar allongé par Washington, Riyad déboursait l’équivalent. Si l’apprenti-sorcier a depuis lors joui d’une telle liberté d’action, il la doit en partie à un certain retrait des Américains, échaudés par leurs interventions en Afghanistan et en Irak au cours de la dernière décennie. 

Un allié régional se propose de faire le sale boulot, alors pourquoi s’en priver, voyons. Quant au lien entre la montée de l’agressivité saoudienne et l’exacerbation mortelle des crispations sectaires opposant sunnites et chiites, il est copieusement passé sous silence. Il n’en demeure pas moins que l’extrémisme islamiste qui sévit au Moyen-Orient résulte en partie de ces évolutions complexes.   

Pour l’heure, l’Arabie saoudite a tout le loisir de poursuivre ses manœuvres, et ce au mépris des règles de droit internationales et des droits de l’homme universels. Au fil des années pourtant, les conséquences néfastes de cette politique d’apaisement s’accumulent, tandis que nos dirigeants pratiquent la politique de l’autruche. Tiens donc, ils n’aperçoivent donc pas l’épouvantail d’un ayatollah iranien derrière la dune ?

Traduit du néerlandais par Julien-Paul Remy

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