‘Une bonne gouvernance créerait la prospérité du Congo’

Dans le monde de l’entreprise, une bonne gouvernance signifie : respecter la loi et prendre soin de ses employés. Dans la République démocratique du Congo, cette combinaison n’est pas une évidence. Et pourtant. Trois jeunes entrepreneurs ont décidé de prendre le taureau par les cornes. ‘Une bonne gouvernance créerait la prospérité du Congo.’

  • © Fondation Roi Baudouin, Michel Katompa Les frères Laurent (à gauche) et Frédéric Mwashirwa présentent leur assortiment de jus Jambo Congo © Fondation Roi Baudouin, Michel Katompa
  • © Fondation Roi Baudouin, Michel Katompa Yvonne Kusuamina (à gauche) de Pay Network, en compagnie d’une de ses 134 collaborateurs. © Fondation Roi Baudouin, Michel Katompa

Je suis curieuse, très curieuse, en me rendant à mon entretien avec les lauréats du Prix de gouvernance d’entreprise de la RDC. Ce prix bisannuel décerné par la fondation Roi Baudouin récompense les entrepreneurs congolais qui dirigent leur société selon les principes de la responsabilité sociale des entreprises et de la bonne gouvernance.

Le prix leur avait été remis l’année dernière au Congo, mais les gagnants sont cette année nos invités. L’une des deux initiatives récompensées attire particulièrement mon attention. Jambo, l’entreprise de production de jus de fruits lancée par les frères Mwashirwa. Il y a de cela quatre ans, j’avais fait leur connaissance lors d’une réception de l’ambassade belge à Kinshasa. Un de leurs partenaires belges était un ami à moi.

Depuis, cet ami s’est distancé de leur projet. J’ignore sa véritable motivation, mais – d’expérience personnelle – je sais à quel point il est difficile d’entreprendre au Congo. L’enchevêtrement de règles ex/implicites dans lequel il faut évoluer n’est pas le meilleur moyen de stimuler la création d’entreprise ou de lui permettre d’être prospère.

Voir que Jambo Congo ne se contentait pas de toujours exister, mais qu’il grandissait et qu’il avait reçu le Prix de gouvernance d’entreprise titillait donc ma curiosité. Comment Laurent et Frédéric Mwashirwa s’y étaient-ils donc pris ? Ils ne sont par ailleurs pas seuls sur le podium, ils le partagent avec Yvonne Kusuamina, la femme derrière Pay Network. Elle propose des services de gestion des ressources humaines sur mesure, les gens l’appellent le ‘secrétariat social’ de Kinshasa.

© Fondation Roi Baudouin, Michel Katompa

Les frères Laurent (à gauche) et Frédéric Mwashirwa présentent leur assortiment de jus Jambo Congo

Secrétariat social

‘Au départ, je voulais me concentrer uniquement sur le calcul des salaires. Mais les entreprises me sollicitaient aussi pour des conseils concernant la législation fiscale et sociale ou me confiaient l’intégralité de la gestion de leur personnel. C’est pourquoi Pay Network propose aujourd’hui des services dans tous les domaines des services RH et administratifs. Nous guidons des organisations dans la législation du travail congolaise et leur montrons comment l’appliquer correctement à leurs activités.’

Yvonne vend de la ‘bonne gouvernance’

Environ 80 % de la clientèle d’Yvonne se compose de multinationales et d’organisations internationales. Les clients congolais sont beaucoup plus rares, mais elle ne s’en étonne pas. ‘Les partenaires internationaux ont l’habitude d’opérer dans un cadre juridique. Pour les Congolais, en revanche, le concept de RH est assez nouveau. Le système leur a trop longtemps permis d’entreprendre de manière informelle.’

J’opine du chef. Avec un ami congolais, j’ai un jour voulu monter ma petite entreprise. Le projet périclita dans le bureau d’un avocat, quand la jungle juridique nous fit perdre notre objectif de vue. Il en faut moins que ça pour privilégier une entreprise informelle. Yvonne : ‘Le problème, ce n’est pas la loi en tant que telle, mais le fait de trouver les textes et de les interpréter correctement.’

Frédéric connaît bien cette situation : ‘En tant qu’entrepreneur, vous avez envie de vous consacrer à votre métier, pas au décodage de la législation. De plus, il n’existe pas d’aide pour les débutants au Congo, de service qui vous dise comment vous y prendre.’ Yvonne lui lance un clin d’œil. Les frères sont venus frapper à la bonne porte.

Le Congo occupe la 177ème place du classement Ease of Doing Business.

La Banque mondiale publie chaque année un Ease of Doing Businesss Ranking (Facilité de faire des affaires). Ce classement passe en revue les règles pouvant limiter ou favoriser l’entreprenariat et met en lumière l’économie la plus favorable aux entreprises. Cette année, la République démocratique du Congo occupe la 177ème place (sur 190).

C’est dommage, car plus la législation sera avenante, plus le nombre de personnes décidant d’entreprendre sera grand, estime Laurent. ‘Nous avançons déjà dans la bonne direction. Aujourd’hui, se lancer comme entrepreneur ne coûte que trois jours. Il existe une formule one-stop-shop pour cela. Mais la législation ne prévoit pas – contrairement à d’autres pays – d’exonération d’impôt pour les starters. Pour ce genre de choses, on peut déposer une demande à l’ANAPI (l’Agence nationale pour la promotion des investissements), mais il faut présenter tout un dossier devant un jury.

Manœuvre de séduction

Un cadre juridique stimulant ne séduit pas que les starters. Laurent est convaincu qu’un tel cadre inciterait les entrepreneurs déjà en activité à sauter le pas de l’organisation informelle à formelle. Les deux autres acquiescent, ils partagent son avis. Il continue : plus les entrepreneurs seront nombreux à observer les règles, plus la société congolaise progressera.  Frédéric : ‘Nous avons aussi débuté notre production dans un cadre informel, avec du matériel de base, dans notre cuisine. Nous avons vendu nos premières bouteilles de jus à notre famille, à nos amis. Mais dès que nous avons voulu les livrer à des supermarchés et des hôtels, nous avons dû formaliser notre entreprise.’

La bonne gouvernance attire la clientèle

La bonne gouvernance attire donc plus de clientèle. D’après Laurent, elle peut également améliorer la législation. ‘Plus il y aura d’entrepreneurs qui formalisent leur fonctionnement, plus il nous sera aisé d’interpeller les pouvoirs publics sur des normes contre-productives. Beaucoup de nos lois se basent encore sur le droit belge et ne sont pas adaptées à la réalité de notre pays. Le monde des affaires et les pouvoirs publics devraient pouvoir entrer en dialogue sur ces points. Aujourd’hui, cette rencontre n’a pas vraiment lieu.’

Le besoin de renouveau se fait sentir, lis-je entre les lignes. Avec sa population composée à plus de 50 % de mineurs, le Congo est un tout jeune État. Les jeunes peuvent-ils apporter ce renouveau ?  ‘La jeunesse congolaise peut être comparée à un diamant brut. Elle détient une force créatrice qui n’est actuellement pas valorisée, faute d’accès à un enseignement de qualité ou au monde du travail’, répond Frédéric. ‘Les pouvoirs publics devraient créer un cadre dans lequel les jeunes pourraient développer et échanger leurs idées.’

© Fondation Roi Baudouin, Michel Katompa

Yvonne Kusuamina (à gauche) de Pay Network, en compagnie d’une de ses 134 collaborateurs.

Modèle

La jeunesse manque aussi de modèles leur prouvant que les rêves ne sont pas des châteaux en Espagne mais des réalités du domaine des possibles, déplore Frédéric. Les murs des chambres des frères Mwashirwa n’étaient pas décorés de posters d’idoles, mais bien d’un portrait de leur grand-père belgo-congolais. ‘Architecte, il nourrissait une véritable passion pour son travail et n’acceptait aucune mauvaise excuse. Après la chute, il fallait se remettre en selle. Face à un mot inconnu, il fallait en chercher le sens. Il nous mettait au défi de tout donner de notre personne et de poursuivre nos ambitions. Il ne fallait pas se contenter de penser, mais aussi agir.’

‘Notre grand-père n’acceptait aucune excuse’

C’est ainsi que Frédéric trouva un travail étudiant chez un producteur de jus de fruits. Lui vint alors l’idée de Jambo Congo. Quand, plus tard, il commanda un jus de fruits frais dans un hôtel congolais, il découvrit que la carte ne proposait que des sodas, l’idée prit peu à peu la forme d’un projet. ‘Pourquoi pouvais-je choisir un soda importé de l’étranger, mais pas une option fraîche et locale ?’ Il appela alors son frère. On connaît la suite.

Pour Yvonne aussi, la révélation eu lieu en cours de route. Après ses études, elle travailla comme gestionnaire de paye, pour les Nations Unies au départ et pour une multinationale ensuite. ‘Un collaborateur RH doit défendre les intérêts de l’employeur et des employés à la fois. Ce n’est pas si évident. On remarque que beaucoup d’entreprises ont besoin d’un bon in-between.’ Yvonne décida de se lancer dans ce domaine jusque-là inexistant sur le marché et de se spécialiser dans les services RH. Elle loua un bureau et engagea un collaborateur. Elle était prête à accueillir ses propres clients.

Entreprendre, c’est aussi des BBQ et des cartes de visites

Mais entreprendre, c’est aussi réseauter : ‘participer à des barbecues’ et distribuer ses cartes de visite. C’est comme cela qu’Yvonne attira son premier client, lors d’une fête d’anniversaire. ‘Mon cousin était également présent, il me présenta un homme d’affaires. Nous avons un peu discuté et je lui ai donné ma carte. Quelques semaines plus tard, je signais mon premier contrat, la gestion complète de son personnel.’ Cette anecdote me rappelle la réception de l’ambassade de Belgique, où j’avais rencontré les frères Mwashirwa pour la première fois.

Salaire décent et bonnes conditions de travail

Depuis, quelques années ont passé, Jambo Congo s’est fait un nom. À quoi puis-je m’attendre pour notre prochaine rencontre ? Naturellement, ils souhaitent que leur entreprise grandisse, tant au Congo qu’hors de ses frontières. Attendez-vous à trouver des bouteilles Jambo – 100 % Congolais, 100 % bio – au rayon boissons fraîches du Delhaize.

Mais, pour les frères Mwashirwa, entreprendre n’est pas qu’une affaire de profit. C’est aussi fonder une société dont les collaborateurs sont fiers et avec laquelle ils peuvent évoluer. Frédéric : ‘Pour nous, il est important que tous se sentent bien et reçoivent ce à quoi ils ont droit : un salaire décent et de bonnes conditions de travail. Ça aussi, c’est de la bonne gouvernance, comme le respect des lois.’

‘Il est très facile de se reposer sur ses lauriers’

Un entrepreneur n’évolue pas dans un environnement aseptisé, mais dans la vraie vie. Yvonne croit elle aussi que les entrepreneurs doivent investir dans cette composante. Pour cette raison, elle s’est engagée avec une vingtaine de collègues du réseau Makutano dans un projet de ramassage des déchets dans les rues de Kinshasa.

‘Il est plus facile de se reposer sur ses lauriers et de se contenter de se plaindre’, comme le résume Laurent. ‘Nous ne pourrons pas tout changer en une fois. Mais chaque petite action compte.’ Et son frère de conclure habilement : ‘D’ailleurs, derrière chaque plainte se profile une occasion de faire des affaires.’

Traduction : Marie Gomrée

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