Syriens en Égypte : des réfugiés au statut de touristes

Autrefois accueillis à bras ouverts pour être ensuite rejetés. Pendant un temps, il ne fut pas bon être réfugié syrien en Égypte. Aujourd’hui, le calme est revenu, mais leur situation reste d’une grande fragilité.

  • © Samira Bendadi​ © Samira Bendadi​
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‘Nous habitons ici depuis quatre ans, déjà,’ confie Ahmed. ‘Nous sommes bien ici,’ continue Soleiman, quand je les interroge sur leur situation en Égypte. Ces deux jeunes hommes viennent de Damas. Ils y tenaient aussi un petit restaurant. ‘Du même style que celui que nous avons ici,’ confirme Soleiman. Leurs phrases sont laconiques. Sur leur visage, je vois de larges sourires mais je lis aussi une pointe de tristesse, à moins que ce ne soit de la gêne. Tous deux insistent pour que je goûte leurs préparations. Ils m’offrent des falafels. Leurs plats traditionnels syriens sont à la fois délicieux et très bon marché.

‘Les Syriens ont fait revivre l’activité économique’

Nous nous trouvons dans le quartier syrien de la Ville du 6 octobre, fondée en 1979, à 35 kilomètres du Caire. D’après les données du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 37 485 réfugiés syriens résident dans cette ville. Un recensement des réfugiés enregistrés qui ne reprend pas tous les Syriens sur place. Toutefois, c’est là la plus grande concentration de Syriens en Égypte après le Caire, où ils sont plus de 60 000.

‘Ici, les loyers sont plus bas qu’au Caire. Ça explique beaucoup de choses,’ déclare Mohamed Saeed, avocat et responsable de la section de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés (CEDL) d’Alexandrie. Cette organisation de défense des droits de l’Homme défend également les minorités et les réfugiés.

Dans cette partie de la ville, connue pour sa zone industrielle étendue, une véritable rue commerçante est née de la poussière. La nourriture y est la marchandise principale ; la gastronomie, la première activité. ‘Les Syriens ont fait revivre l’activité économique de cette ville,’ affirme Mohamed Saeed.

Statistiques officielles et réalité

Les données officielles de l’UNHCR indiquent qu’au total, 197 000 réfugiés vivent en Égypte, dont 118 000 Syriens. Ce nombre n’englobe que les personnes enregistrées auprès de l’organisation pour les réfugiés de l’ONU. Mohamed Saeed estime que ‘le nombre réel de réfugiés syriens se situe autour des 300 000.’ Une estimation nettement inférieure au compte de Syriens qui avaient fui pour l’Égypte après l’éclatement de la guerre civile dans leur pays. ‘Fin 2012, l’Égypte abritait plus d’un demi-million de réfugiés syriens,’ rappelle l’avocat. À l’époque, le visa n’était pas exigé.

© Samira Bendadi​

 

La situation bascula après les événements de septembre 2013. À la suite du coup d’Abdel Fattah Al-Sissi, l’actuel président, et des manifestations qui suivirent, les réfugiés syriens servirent de bouc-émissaires. Ils furent accusés de soutenir les Frères musulmans. Les médias les diabolisèrent tant et si bien qu’ils furent nombreux à quitter le pays pour la Turquie ou à entamer une traversée illégale de la Méditerranée, direction l’Europe.

‘Si tous ne sont pas inscrits, c’est parce que beaucoup de Syriens, des étudiants et des hommes d’affaires notamment, étaient déjà installés en Égypte avant le début de la guerre,’ explique Tarik Argaz, le porte-parole du UNHCR au Caire. ‘La principale raison est toutefois qu’avant septembre 2013, l’attitude de l’État et de la population leur était plus favorable, il ne leur semblait donc souvent pas nécessaire de s’adresser au Haut-Commissariat,’ complète Mohamed Saeed.

Pas de statut de réfugié

Bien qu’elle soit l’un des États signataires de la Convention de Genève de 1951, l’Égypte n’a jamais transposé le contenu du traité dans sa législation nationale. En 1954, elle a conclu un protocole avec le UNHCR prévoyant que l’organisation était responsable de l’enregistrement et de la détermination du statut des réfugiés.

Une fois enregistrés auprès du UNHCR, les réfugiés reçoivent une carte valable 18 mois qui leur octroie le droit de demander aux autorités égyptiennes l’accès à certains services, comme l’enseignement ou les soins de santé. Les chances dont dispose un réfugié dépendent d’accords bilatéraux, elles varient en fonction du pays d’origine.

‘Un réfugié peut séjourner légalement sur le territoire de trois manières,’ explique Mohamed Saeed. ‘Il peut obtenir une autorisation de séjour par mariage, pour ses études ou pour la création d’un projet touristique. La constitution prévoit que le réfugié politique détient les mêmes droits que les autres citoyens ; la pratique prouve que ce n’est pas le cas.’

Statut de touriste

Avant l’éclosion du printemps arabe en 2011, l’Égypte comptait à peine 50 000 réfugiés, en provenance du Sud-Soudan, de Somalie et d’Érythrée. Quelques-uns venaient du Yémen et d’Irak, beaucoup étaient des étudiants libyens.

‘Certains étudiants syriens ont fait leur première année en Égypte. Depuis leur diplôme, ils sont allés grossir les rangs des sans-emplois.’

Après 2011, les Libyens furent plus nombreux à traverser la frontière, accompagnés d’un flot de Syriens. ‘À ce moment, les Syriens n’avaient pas besoin de visa. La loi relative au séjour approuvée du temps de la République arabe unie les couvrait.’ (La République arabe unie réunissait la Syrie et l’Égypte en un seul État, de février 1958 au 28 septembre 1961.)

‘L’autorisation de séjour que les Syriens reçoivent doit être renouvelée tous les six mois. Ils bénéficient d’un statut de touriste, qui leur donne accès à une éducation et à des soins de santé, mais pas le droit de travailler,’ déclare l’avocat de la CEDL. ‘Lors de la signature de la Convention de Genève, l’Égypte s’est abstenue sur le point du travail,’ déclare Tarik Argaz.

Actuellement, tous les réfugiés syriens exercent un travail illégal. Leurs entreprises commerciales ne sont pas reprises dans les comptes officiels, ce qui est néfaste pour eux, mais aussi pour l’État, d’après Mohamed Saeed.

‘La situation socio-économique des réfugiés syriens est identique à celle des Égyptiens. À ce niveau, il n’y a aucune différence,’ déclare Tarik Argaz du UNHCR. ‘Cela fait déjà plus de cinq ans que ça dure. Certains étudiants syriens ont fait leur première année en Égypte. Depuis, ils sont diplômés et sans emploi, comme leurs frères égyptiens,’ relève Mohamed Saeed.

Pour sa part, l’avocat et activiste des droits de l’Homme syrien Firas Haj Yehia distingue ‘deux catégories de Syriens : il y a les riches, ce sont les hommes d’affaires. Ils représentent environ 20 pour cent du total des Syriens en Égypte. Et puis il y a les autres. Ceux qui ont peu de moyens.’

D’après lui, les riches ne s’impliquent pas assez pour améliorer le sort de leurs compatriotes. ‘Ils disent craindre des problèmes avec le régime syrien et les autorités égyptiennes. Ce qui n’a évidemment aucun sens,’ rapporte-t-il.

© Samira Bendadi​

 

Bouc-émissaires

La diabolisation des réfugiés syriens à la suite du coup d’État contre Mohamed Morsi a poussé des personnes déjà installées, qui avaient monté leur petite entreprise, à déménager pour une vie meilleure. Bon nombre d’entre eux sont partis la chercher de l’autre côté de la mer, en Europe.

Des réfugiés syriens partis par bateau, plus de la moitié étaient des femmes et des enfants

‘Il va sans dire que les passeurs ont abusé de la situation pour augmenter démesurément leurs prix. Chaque embarcation peut accueillir cent à cent cinquante passagers à son bord. Le prix dépend de la place demandée et du degré de protection que le réfugié peut se permettre de payer. Chaque voyage rapporte environ cinq cent mille dollars au passeur. Entre les mois d’avril et d’octobre, cinq ou six bateaux font chaque jour la traversée en direction de l’Italie. Seuls dix pour cent des embarcations sont interceptées,’ explique Mohamed Saeed.

Des réfugiés syriens partis par bateau, plus de la moitié étaient des femmes et des enfants. En Égypte, la proportion de femmes, d’enfants et de personnes âgées d’origine syrienne dépasse celle des hommes. ‘Les hommes restent au pays à cause de la guerre ou ont pris de l’avance sur le voyage à la recherche d’une solution. Ils envoient de l’argent à leur famille en Égypte,’ déclare Mohamed Saeed.

Avant octobre de l’année dernière, aucune loi égyptienne ne condamnait l’immigration illégale. L’arrestation d’un migrant se soldait toujours par son relâchement. Désormais, la loi qui existe pénalise surtout les passeurs. ‘La loi est bien faite,’ estime l’avocat, ‘mais reste à voir si elle sera correctement appliquée.’

Palestiniens de Syrie

‘Une large proportion des réfugiés syriens partis par bateau étaient en fait palestiniens,’ déclare Mohamed Saeed. Comment cela se fait-il ? ‘Tout d’abord, parce que les circonstances d’ici sont plus rudes pour eux que pour les Syriens et, peut-être, parce qu’ils n’ont aucun espoir de rentrer chez eux. Où pourraient-ils aller ? Ensuite, accéder au statut de réfugié en Europe est presque impossible pour un Palestinien. En partant de Syrie, ils fuient une nouvelle guerre : ils ont à nouveau droit à ce statut,’ explique l’activiste égyptien des droits de l’Homme.

‘Les difficultés sont doubles pour les Palestiniens de Syrie’

‘Les difficultés sont doubles pour les Palestiniens de Syrie,’ résume donc Mohamed Saeed. ‘L’organisation de l’ONU, l’UNHCR, proclame qu’ils relèvent de la compétence de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). Mais l’UNRWA n’a pas de siège en Égypte. Qui doit donc leur venir en aide ? Personne ne le sait. En attendant, ils sont provisoirement inscrits auprès du UNHCR.’

Arrestations et expulsions

Les conséquences des événements de 2013 et de l’incitation à la haine envers les Syriens sont toujours palpables. ‘La peur est toujours bien présente,’ confirme Firas Haj Yehia, l’avocat et activiste syrien. ‘La société civile ne se préoccupe plus autant qu’avant des réfugiés. Même les organisations engagées pour la protection des femmes et des enfants ou qui offrent une assistance psychosociale, elles ont toutes abandonné les Syriens.’

L’administration n’est pas en mesure d’accueillir de grands groupes de réfugiés. La pression qui pèse sur ses collaborateurs est importante et responsable du mauvais traitement des réfugiés.

‘L’accord conclu entre la Turquie et l’UE a des répercussions négatives sur les réfugiés syriens en Égypte’

Les arrestations posent également problème. Pour les Syriens, elles sont de trois types. Le premier motif d’arrestation est l’entrée illégale sur le territoire à partir du Soudan. Depuis que les Syriens ont l’obligation d’être en possession d’un visa, ils sont nombreux à emprunter cette voie pour entrer en Égypte.

‘Cette voie d’accès est extrêmement pénible et périlleuse,’ raconte Mohamed Saeed. ‘Les réfugiés traversent le désert pendant quatre jours, à pied, pour arriver dans le pays. En chemin, ils courent constamment des risques, allant du vol à la mort, en passant par le viol.’

Les réfugiés syriens peuvent aussi être arrêtés pour migration illégale en Europe ou pour absence de permis de séjour. Ils sont alors refoulés vers la Syrie ou le Soudan. ‘Je connais deux Palestiniens de Syrie emprisonnés depuis un an et sept mois, parce qu’ils ne savent pas à qui s’adresser,’ regrette Firas Haj Yehia.

Ensuite, il faut mentionner la problématique du regroupement familial. La loi l’autorise mais à certaines conditions. ‘Le problème, c’est que des personnes corrompues, tant du côté syrien qu’égyptien, peuvent abuser de ce droit. Un visa peut coûter jusqu’à trois mille dollars par personne,’ alerte Firas Haj Yehia.

‘L’accord migratoire entre la Turquie et l’UE a des répercussions négatives sur les réfugiés syriens en Égypte. Depuis sa conclusion, l’Europe ne relocalise plus les réfugiés. La Grande-Bretagne n’accepte plus que les personnes souffrant d’un problème médical et au mois de juin dernier, les USA ont refusé 150 dossiers de personnes pouvant bénéficier d’une relocalisation.’

Firas Haj Yehia insiste cependant sur le fait que, depuis 2016, les médias ont révolutionné la manière dont ils traitent les réfugiés syriens dans leurs informations. Ils sont à nouveau présentés sous un jour favorable. Après cinq ans, il constate que les réfugiés syriens ont formé leur propre communauté. Ils ont fondés leurs organisations et s’intègrent sans heurt dans la société égyptienne.

Deux solutions

Le directeur de la CEDL à Alexandrie entrevoit deux possibilités. La première est qu’une zone de la Syrie se sécurise et que ces personnes puissent rentrer chez elles. ‘Mais le monde entier se livre au combat en Syrie. Une résolution ne viendra pas du jour au lendemain,’ déclare-t-il.

‘Les sommes considérables d’argent que les passeurs empochent pourraient être investies dans l’État’

En attendant, reste la possibilité d’offrir un meilleur statut aux réfugiés. ‘Si l’Égypte refuse de leur accorder un séjour définitif, qu’elle leur propose au moins un permis de séjour valable d’un à trois ans. Elle devrait également leur octroyer un permis de travail sans condition, et donner la chance aux entrepreneurs de figurer au registre du commerce. Cette mesure serait bénéfique aux réfugiés, mais aussi à l’économie égyptienne, elle permettrait à l’État d’encaisser des impôts. Les sommes considérables d’argent que les passeurs empochent pourraient être investies dans l’État,’ dit Mohamed Saeed.

Pour des pays comme l’Égypte, qui n’ont pas de statut spécifique pour les réfugiés, l’ONU pourrait rendre permanent le concept de demandeur d’asile, aujourd’hui temporaire, et leur offrir une meilleure protection juridique et financière, estime l’activiste pour les droits de l’Homme. Surtout quand on sait que la relocalisation n’est pas efficace. ‘Seul un pour cent des réfugiés relocalisés est effectivement accueilli par un pays tiers,’ déplore-t-il.

Outre le fait que l’Égypte ne peut ou ne veut pas assumer les conséquences financières d’une politique d’asile, sa gouvernance est confuse. ‘En octobre, notre pays a voté deux lois contradictoires au Conseil de Sécurité de l’ONU. Une favorable à l’arrêt des attaques aériennes à Alep, l’autre contre le même arrêt. Sommes-nous pour ou contre Bachar Al-Assad, à la fin ? C’est risible. Une grande première,’ commente Mohamed Saeed.

Traduction : Marie Gomrée

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