Comment le tourisme de masse et la spéculation immobilière conduisent à une crise du logement

Ces architectes au chômage confrontent les touristes à la réalité

Charis Bastin

On appelle “Fachadismo” ou façadisme la tendance qui consiste à conserver la façade des bâtiments , mais à démolir et à reconstruire l’arrière.

«Regardez ces façades » dit notre guide en désignant quelques façades dans la rue. Belles et authentiques, aux carreaux bigarrés typiques appelés azulejos. Puis cela saute progressivement aux yeux : il n’ y a plus rien derrière les façades. Seules des poutres ou des constructions métalliques les maintiennent encore debout.

Pedro Figueiredo nous explique que ce phénomène s’appelle Fachadismo , le façadisme. Il fait visiter sa ville, Porto, à un groupe de touristes belges, espagnols et américains. Les façades tiennent toujours debout, pour masquer une inoccupation, à laquelle de riches investisseurs et développeurs de projets peuvent remédier avec des appartements Airbnb ou des hôtels. Tant que la façade a toujours un parfum d’histoire.

En pleine période de récession, Pedro a remarquablement changé de carrière : l’architecte est devenu guide touristique. Il n’y avait plus aucun emploi lié à ses études pour le jeune Portugais hautement qualifié. Mais il trouva heureusement du travail dans le secteur touristique, bien que cela soit plutôt un hobby qui a dévié pour Pedro. Contrairement à un demi-million de ses concitoyens, il n’a pas choisi d’aller tenter sa chance ailleurs. Sa ville lui tenait bien trop à cœur pour cela.

The Worst Tours vous montrent l’effet déstabilisateur du tourisme de masse et de la spéculation sur le marché immobilier pour une ville et ses habitants.

Il en est de même pour les deux autres architectes avec lesquels il fonda la visite guidée The Worst Tours en 2012. Depuis lors, des centaines de touristes se sont aventurés avec eux dans Porto. L’histoire que vous en retirez, est une de l’effet déstabilisateur du tourisme de masse et de la spéculation sur le marché immobilier pour un centre-ville historique et ses habitants. Des choix politiques pour tirer un pays de la crise et qui affectent profondément le tissu social, et surtout M. et Mme Tout-le-Monde.

Car les conséquences sont encore visibles même si le pire de la crise est passé au Portugal, et qu’une coalition de gauche a annulé les mesures d’austérité de son prédécesseur de centre-droit.

Bulle du marché de l’immobilier portugais

Au cours de la visite au nord-ouest de la ville, nous nous arrêtons près d’une magnifique villa verte, entourée d’un jardin aux plantes exotiques tout aussi somptueux. Elle fait penser à la Villa Kakelbont et témoigne encore de la splendeur d’une autre époque.

Charis Bastin

La villa verte inoccupée depuis des années

Les premiers propriétaires étaient de riches marchands brasilo-portugais qui prenaient un trop grand plaisir à exhiber leur richesse acquise par leur commerce transatlantique. Mais la maison aujourd’hui est surtout le reflet d’une lointaine époque fastueuse. Cela fait des années qu’elle est vide et, selon le voisinage, serait mise en vente pour 1 milion d’euros.

Des montants extrêmes, selon Pedro. « Des appartements non rénovés sont aujourd’hui à louer dans ma rue pour 700 euros. Ce montant est absurde quand on connaît le salaire minimum dans le pays. » Pour celui qui ne le sait pas : Eurostat le chiffre à 590 euros en 2015 et 700 euros en 2019. Selon Pedro, il s’agit même d’une évolution de 485 euros en 2014 pour 600 euros en 2019.

Mais le loyer a augmenté de 56 pourcents dans cette partie historique de Lisbonne entre 2012 et 2017. Et même de 88 pourcents à Porto.

Ce n’est dès lors pas un hasard si en 2012 le Premier ministre de l’époque Pedro Passos Coelho prit quelques mesures d’assainissement budgétaire, comme convenu avec –ou plutôt dicté par- la troïka européenne (le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne). Il facilita la propriété afin de modifier les prix du loyer. Ceux-ci étaient restés stables pendant des années, ce qui fait que les habitants – souvent des personnes d’âge mûr – vivaient dans un même logement de la ville historique pendant des dizaines d’années.

En 2018, le Portugal accueillit près de 13 millions de touristes, sur une population de 10,3 millions d’habitants.

La conséquence de cette mesure ? Au moins 4300 personnes furent expulsées de leur maison entre 2012 et 2017 parce qu’ils n’arrivaient plus à payer ce loyer à la hausse. Deux mille neuf cent soixante-huit personnes à Lisbonne et 1348 à Porto pour être précis. Il n’était plus rare de trouver un appartement pour 2000 euros par mois à Lisbonne en 2018.

Parallèlement, les propriétaires pouvaient également plus facilement expulser des locataires d’un logement en fonction des rénovations, ce qui avait également une influence sur les prix de l’immobilier. Cela incita en outre les propriétaires à ne plus louer les appartements rénovés aux locaux, mais à des touristes via Airbnb.

Car le développement du tourisme faisait également partie de la politique de Pedro Passos Coelho. Ces chiffres ne laissent aucun doute non plus : en 2018, le Portugal accueillit près de 13 millions de touristes, sur une population de 10,3 millions d’habitants. Ce nombre est encore plus frappant à Lisbonne : 4,5 millions de touristes, pour 500 000 habitants locaux. « Mais le tourisme a seulement fourni une réponse temporaire à l’abandon des bâtiments. Il reste toutefois le problème de l’absence d’économie capable de soutenir une ville et sa population. » déclare Pedro.

Charis Bastin

Tourisme à Porto

Migration, la crise 2.0

Le Premier ministre portugais de l’époque n’avait par contre qu’une recommandation pour la jeunesse portugaise hautement qualifiée : partir. Le chômage avait en effet explosé à cause de la récession et c’était donc la seule solution qu’il proposait. « C’était la crise 2.0 » raconte Pedro à propos de cette fuite des cerveaux. « Ce n’est pas une politique acceptable pour un Premier ministre. »

« Nous avons seulement besoin de dix pourcents des 20 000 logements inoccupés pour fournir un toit aux sans-abris. Cela laisse encore nonante pourcents disponibles à la spéculation. »

Cet exode massif a ainsi provoqué cette inoccupation croissante à Porto, continue le guide. Et cette désertion des bâtiments a permis aux investisseurs étrangers et aux développeurs de projets d’acheter des bâtiments vides et souvent délabrés pour une bouchée de pain.

Pedro Passos Coelho avait également une mesure désignée à cet effet : les investisseurs hors Union européenne qui plaçaient au moins 500 000 euros dans l’immobilier portugais recevaient un « visa doré » ou un permis de séjour pour cinq ans. Neuf mille de ces visas ont déjà été distribués.

Le gouvernement préfère que des logements à l’abandon soient transformés en hôtels plutôt que d’y ajouter une fonction sociale, pouvait-on entendre comme critique lors des Worst Tours. « Selon les ONG locales, il y a environ 2000 sans-abris à Porto », raconte Pedro. « Nous avons seulement besoin de dix pourcents des 20 000 logements inoccupés pour leur fournir un toit. Cela laisse encore nonante pourcents disponibles à la spéculation. »

Mais les citoyens de l’Union européenne contribuent aussi à l’augmentation constante des prix immobiliers. Le Nord-Européen qui séjourne au Portugal pendant sa pension et y achète une maison, profite non seulement de la vie relativement meilleure marché au Portugal, mais reçoit encore énormément d’avantages fiscaux.

L’achat d’une propriété est devenu dès lors inabordable pour la plupart des Portugais. Les citoyens de l’Union européenne plus nantis et plus avantagés peuvent enchérir plus facilement contre eux, ce qui provoque aussi une hausse des prix du logement.

Charis Bastin

Bâtiments à l’abandon dans Porto

« Le logement devient un droit social »

Depuis 2015, un gouvernement minoritaire est au pouvoir au Portugal, sous la direction du Premier ministre Antonio Costa du parti socialiste de centre-gauche. Ce gouvernement est soutenu par des partis d’extrême gauche. Le salaire minimum et la pension de base ont été revus à la hausse, le chômage et la dette publique ont fortement diminué, mais la crise de l’immobilier subsiste.

Une amélioration semble néanmoins en vue. Le Parlement portugais a approuvé une nouvelle loi fondamentale. La base de cette loi est que le logement doit être à nouveau vu comme un droit citoyen. « Il existait déjà des lois fondamentales dans le domaine de la santé, de l’enseignement et de la sécurité sociale et à partir de maintenant, le logement est également devenu un droit social » explique la députée parlementaire Helena Roseta qui s’est battue pour l’introduction de la loi, après le vote. « Il y a une véritable crise du logement et elle ne concerne pas seulement les pauvres, mais également la classe moyenne et la jeunesse. »

« Cela peut encore prendre jusqu’à trois ans avant d’obtenir un logement social. Alors que le besoin est grand »

Pedro, le guide des Worst Tours, se réjouit de l’existence de la loi, mais se montre seulement timidement optimiste. Les années d’investissement dans le tourisme et la politique d’attraction du capital étranger se firent aux dépens d’initiatives sociales et d’une politique d’aménagement du territoire bien définie.

L’absence d’une loi fondamentale relative au logement telle que celle-ci a permis à la spéculation de se développer pendant 43 ans, pense Pedro. « Et depuis la dérégulation du marché privé de l’immobilier en 2012, le plan de sauvetage du Portugal (par le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne) a mené à une gentrification et un boum de nouveaux hôtels – auberges –appartements Airbnb. » Cette loi arrive donc à vrai dire trop tard.

« Nous encourageons absolument la loi fondamentale, car elle incite les gouvernements suivants à prévoir des logements sociaux supplémentaires et à limiter la spéculation immobilière. Mais cela peut encore prendre jusqu’à trois ans avant d’obtenir un logement social. Alors que le besoin est grand » déclare Pedro.

La loi fondamentale oblige les gouvernements futurs à élaborer une politique axée sur le droit au logement, avec des mesures de protection des groupes les plus vulnérables sur le marché de l’immobilier. Cela sera encore matière à travailler pour le Premier ministre Costa, sorti vainqueur du scrutin début octobre et reconduit à la tête du gouvernement.

Le guide Pedro s’arrête à un bâtiment moderne à la fin de son tour. Le cinéma Batalha était encore un véritable cinéma jusqu’en 2000. Il fut aménagé en tant que centre culturel entre 2006 et 2010, mais est depuis – évidemment — à nouveau inoccupé.

Il existe bien des projets, mais la réaffectation du bâtiment se fait difficilement. En avril, les autorités de la ville ont lancé un appel aux architectes intéressés de participer à la rénovation du bâtiment. Il devrait être à nouveau aménagé en tant que cinéma. « J’espère qu’ils n’en feront jamais un hôtel.»

The Worst Tours. Réserver via le formulaire sur le site internet. Avertissement : si vous cherchez une visite de la ville en tuk-tuk, incluant une visite aux caves de Porto pour une dégustation, cherchez ailleurs.

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

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