L'homme d'affaires derrière le président ukrainien prévoit le plus grand domaine skiable d'Europe dans les Carpates

Ces forêts vierges doivent faire place à une méga station de ski. À qui profite le déboisement ?

© Xander Stockmans

En résumé

  • L’homme d’affaire qui a lancé la carrière télévisée du président ukrainien Volodymyr Zelensky, souhaite construire la plus grande station de ski d’Europe dans le dernier grand espace sauvage européen : les Carpates. Le massif montagneux Svydovets est l’un des domaines naturels les plus uniques d’Europe. Zelensky est-il l’énième président à laisser l’État ukrainien se faire gouverner par des intérêts commerciaux privés ?
  • Des centaines d’hectares de forêt seraient abattus, y compris la forêt vierge identifiée par le WWF. Il y a quelques jours, l’agence forestière publique s’est mise à abattre ces forêts vierges. Même si encore aucune analyse de l’impact sur l’environnement n’a été effectuée et même si ces forêts attendaient d’être officiellement protégées. Un acte illégal. C’est pourquoi l’agence forestière publique dissimule le déboisement en le faisant passer pour ‘gestion de la forêt’. L’Ukraine réussit-elle à respecter les normes environnementales européennes ?
  • Les autorités régionales et locales, les gardes forestiers, les investisseurs privés et les scientifiques chargés de l’analyse de l’impact environnemental entretiennent une relation étrange. Tous défendent la station de ski par des théories du complot bizarres. Ils appellent la résistance contre le domaine skiable « activisme professionnel rémunéré », une « conséquence fâcheuse de la révolte du Maïdan ». Ils séduisent les habitants locaux en leur promettant que la station de ski est un moyen miracle contre l’émigration massive et le chômage, qui sont pourtant largement le résultat de leur propre corruption.
  • Ils sont confrontés à un activisme citoyen inattendu. Le propriétaire d’une scierie dans le petit village de montagne de Lopukhiv a lancé un mouvement de protestation, qui s’est entre-temps réuni dans le mouvement Free Svydovets. Un citoyen ordinaire a ainsi amené les plus puissants de son pays devant la Cour suprême. Il est prêt à aller devant la Cour européenne des droits de l’homme.


Le soir tombe. Les yeux du bourgmestre Ivan Pavlyuchok semblent lancer des éclairs. « Quel est le but de cette interview ? Ne vous mêlez pas de nos affaires internes », rugit-il. Il nous attend avec quatre de ses membres du conseil communal dans une ruelle sombre près d’un restoroute, le long de la chaussée entre le massif des Carpates et la capitale de la province. L’atmosphère est menaçante.

Il a agressé le scientifique Bohdan Prots l’été dernier. M. Prots était membre d’une délégation officielle du ministère de l’Écologie dans le village de Pavlyuchok, Chorna Tysa. La délégation est venue identifier des forêts vierges, près du massif montagneux protégé de Svydovets. Ces forêts appartiendraient à un régime de protection strict après une initiative de WWF Ukraine.

« Comment nos agriculteurs peuvent-ils produire leur fromage typique », tonne le bourgmestre Pavlyuchok, « s’ils ne peuvent plus accéder aux pâturages au sommet de la montagne avec leurs moutons ? Car c’est cela le problème avec ces forêts vierges. »

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Le bourgmestre de Chorna Tysa n’est pas content que l’on pose des questions sur la station de ski prévue :« Quel est le but de cette interview ? Ne vous mêlez pas de nos affaires internes. »

Au téléphone, le scientifique nie que c’est le cas : « La véritable raison de sa résistance se trouve ailleurs. Ses mots menaçants à mon encontre laissent peu de doutes : ‘Je sais ce que vous avez prévu ! Vous voulez bloquer la station de ski !’ Ils menacent même de brûler nos voitures. Nous avons dû partir, pour notre propre sécurité. »

M. Pavlyuchok avait mobilisé des conseillers communaux et des habitants pour interdire à la délégation l’accès à la forêt. Jusqu’à ce que le gouvernement envoie une nouvelle délégation, le déboisement est interdit. Mais la semaine passée, M. Prots s’est fait une frayeur : l’agence forestière publique avait commencé à couper dans ces forêts vierges. Et les parcelles se situent précisément à l’emplacement de la future station de ski.

Ihor Kolomoysky, troisième homme le plus riche d’Ukraine souhaite construire la plus grande station de ski d’Europe dans les Carpates ukrainiennes.

Ce n’est pas n’importe quelle station de ski. L’homme d’affaires Ihor Kolomoysky, troisième homme le plus riche d’Ukraine et propriétaire de la chaîne de télévision qui a lancé la carrière du président Volodymyr Zelensky, souhaite construire la plus grande station de ski d’Europe dans les Carpates ukrainiennes. Il y en a déjà une : Bukovel, dont il détient 91 pourcents des actions. Il souhaite agrandir ce domaine à la province de Transcarpatie, à la frontière avec la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie.

L’ancien gouverneur provincial a publié un message de victoire sur son site internet : « Nous sommes parvenus à un accord avec les propriétaires de Bukovel. Ils continuent le plan de la station de ski dans notre province. J’ai donné mon feu vert pour la construction de 60 hôtels, 390 appartements, 33 téléphériques, 230 kilomètres de pistes de ski, 89 kilomètres de nouvelles voies, 120 restaurants et magasins, des centres de fitness, des agences bancaires, des parkings et une piste d’atterrissage. »

« Ils préparent déjà les permis », continue-t-il. « Cela va devenir un grand domaine nommé Svydovets, qui va pouvoir accueillir 28 000 touristes à la fois. Cela va créer 5000 emplois pour la population locale, et donner un coup de pouce à l’économie locale. »

Le président Zelensky parlait des « Alpes de l’Europe de l’Est », sans toutefois parler de Svydovets.

La route de liaison

L’aurore se profile entre les crêtes montagneuses recouvertes de forêts. Le soleil apparaît à l’horizon et laisse doucement disparaître la lueur bleue. Le bruit des scies à chaînes des innombrables scieries, et le tintement des cloches autour du cou des vaches qui paissent dans les prés sont toutes deux caractéristiques de la vie à Lopukhiv. Tout comme Chorna Tysa, il s’agit d’un des villages qui accueillerait la station de ski.

Des camions chargés de troncs d’arbres arrivent et partent, de la forêt vers les scieries, et retour. Des planches, des troncs d’arbres et du bois à brûler se trouvent sur le côté de la route et dans les jardins des gens. On peut apercevoir des flancs de montagne déboisés à l’arrière-plan, comme si un géant avait dévoré un morceau du bois.

Il faut utiliser un camion militaire pour se rendre au sommet. Nous arrivons soudainement à une voie nouvellement aménagée dans le coin de la source de la rivière la Tisza noire. Des tracteurs se trouvent sur le côté ainsi que des troncs coupés, des kilomètres plus loin.

« La construction de cette voie va fortement améliorer la logistique de la station de ski », a écrit le gouverneur il y a deux ans sur son site internet.

« La construction de cette voie va fortement améliorer la logistique de la station de ski »

L’entreprise de M. Kolomoysky investirait 1,5 milliards de dollars sur une période de douze ans. Cette route qui rend accessible le domaine naturel inhospitalier, est bizarrement financée par les autorités locales. Le mouvement de protestation Free Svydovets détient une lettre des autorités du district qui le confirme.

Il est pourtant illégal de construire si l’investisseur n’est pas encore été rendu public, et si aucune analyse de l’impact environnemental n’a été effectuée. «C’est la raison pour laquelle les agences forestières publiques font passer cela pour une exploitation des forêts dans le cadre de plans de gestion forestière, et comme travaux d’infrastructure pour les villages avoisinants. Ils construisent une infrastructure privée avec des moyens publics », dénonce le militant Oreste Del Sol du mouvement Free Svydovets.

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« La construction de cette voie va fortement améliorer la logistique de la station de ski », a écrit le gouverneur il y a deux ans sur son site internet. La voie rend accessible au tourisme de masse un domaine naturel inhospitalier.

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« La construction de cette voie va fortement améliorer la logistique de la station de ski », a écrit le gouverneur il y a deux ans sur son site internet. La voie rend accessible au tourisme de masse un domaine naturel inhospitalier.

Nature menacée

Au total, plus de 1400 hectares de bois et de forêt vierge seraient transformés en un complexe de tourisme de masse. Près de là, se trouvent les « forêts primaires et anciennes de hêtres des Carpates », classées au patrimoine mondial de l’Unesco.

C’est ici que se trouvent les plus grandes forêts primaires continues de hêtres d’Europe. Lorsque le domaine a été proposé en 2007, l’Unesco a écrit : « Autrefois, ces forêts couvraient quarante pourcents du continent européen. L’activité humaine les a fait disparaître presque totalement. C’est surtout dans les Carpates que l’on en trouve des vestiges. L’ours brun, le lynx et le bison y vivent. »

Du même document de 2007 : « Le massif montagneux de Svydovets abrite la flore la plus riche des Carpates ukrainiennes. Il n’est pas menacé par le développement car la loi ukrainienne veille à une stricte protection. Des plans locaux de gestion forestière respectent cette protection. Le tourisme est limité. »

« Ils veulent faire de la neige artificielle avec l’eau du massif montagneux de Svydovets. »

Cela devrait pouvoir changer dix ans plus tard. « Dois-je révéler un secret ? », déclare la conseillère de l’administration provinciale et de district, Jaroslavna Ivanova, avec sarcasme. « Je prenais personnellement part à la constitution du plan territorial détaillé. Nous n’allons rien construire dans le massif montagneux protégé. » Cependant, le secret d’Ivanova cache trois autres secrets.

Premièrement : les forêts vierges que l’agence forestière publique a commencé à couper sous la catégorie légale de « coupe sanitaire » — enlever les arbres malades – ne sont pas encore protégées. Mais tant que la procédure du ministère est en cours, toute exploitation forestière est interdite.

Si ces forêts étaient finalement ajoutées à la réserve naturelle protégée, aucune forme de tourisme de masse ne serait autorisée. C’est ce qui explique le comportement agressif du bourgmestre selon Bohdan Prots. Il souhaite bloquer cette procédure.

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En route vers le sommet du massif montagneux de Svydovets, nous croisons souvent des camions remplis de troncs d’arbres coupés

Deuxièmement : la construction aurait effectivement lieu dans des zones naturelles protégées, des zones que le gouvernement ukrainien a lui-même enregistré dans le réseau Émeraude du Conseil de l’Europe, où sont d’application les normes de l’Union européenne du réseau Natura 2000.

Et troisièmement : des constructions seraient prévues juste à côté de la réserve de biosphère des Carpates, zone tampon autour de la réserve de l’Unesco. Elle abrite précisément des écosystèmes uniques, les mieux préservés de toute l’Europe. C’est ce qu’a déclaré le biologiste Fedir Hamor, directeur-adjoint de la réserve de biosphère.

« Ces merveilles naturelles phénoménales sont des points chauds de la biodiversité, avec 93 espèces menacées du Red Data Book. Le Convention sur la diversité biologique des Nations unies de 1992 contient des règles strictes relatives aux projets de développement dans des domaines voisins des réserves protégées. Il sera difficile de construire une infrastructure pour le tourisme de masse dans ces domaines naturels vulnérables sans violer la législation environnementale ukrainienne et internationale. »

« De vieux lacs glaciaires et des domaines entiers vont s’assécher. La biodiversité va disparaître. »

Oksana Stankevych, botaniste et directeur de l’ONG Ekosfera, ajoute : « Kolomoysky veut l’eau de Svydovets. Plus de la moitié des lacs glaciaires ukrainiens s’y trouvent, et la rivière la Tisza noire y prend sa source. Ils souhaitent transporter l’eau par irrigation vers sept lacs artificiels afin de produire de la neige artificielle et d’alimenter en eau un village de ski de 28 000 touristes. »

« Des lacs glaciaires vieux de plusieurs siècles et des domaines entiers à travers lesquels la Tisza noire circule, vont s’assécher. La biodiversité va disparaître. »

Le registre ukrainien des analyses d’impact planifiées sur l’environnement mentionne en outre que la station de ski produira chaque jour six mille mètres cubes d’eaux résiduaires. «Même si les plans prévoient un système d’épuration d’eau, une partie de cette eau va quand même finir dans la rivière », déclare Fedir Hamor.

D’abord analyser l’impact sur l’environnement

Suite à la révolte du Maïdan de 2014, le parlement ukrainien a pris de nouvelles mesures législatives pour l’environnement afin de satisfaire à l’accord d’association avec l’Union européenne. En tant que député parlementaire, Ostap Jednak était l’auteur de la législation. « Ce projet mégalomane d’Ihor KoIomojski est un test pour l’Ukraine : notre pays est-il aussi en état de faire réellement respecter une législation environnementale moderne ? » demande-t-il.

Un mauvais présage est déjà que l’administration provinciale responsable de l’analyse de l’impact sur l’environnement de la station de ski n’a sélectionné aucun scientifique de la réserve de biosphère des Carpates, pourtant partenaire officiel de l’Unesco en Ukraine.

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Le coordinateur de l’analyse d’impact environnemental Stepan Pop montre une photo de sa visite au domaine de la station de ski prévue, accompagné de Yaroslavna Ivanova, conseillère de l’administration provinciale, qui fait la promotion des plans de la station de ski. On peut dès lors s’interroger sur la neutralité de l’analyse d’impact sur l’environnement. Sous sa main, le Red Data Book des espèces menacées en Ukraine. La station de ski menace 93 espèces de plantes et d’animaux repris dans le livre

Le physicien Stepan Pop est le coordinateur de l’analyse de l’impact sur l’environnement. Derrière son bureau à l’université de Oujgorod se trouve une grande carte du « plan territorial du complexe touristique et récréatif de Svydovets ».

Pour renforcer sa neutralité scientifique, il prend le Red Data Book des espèces menacées de la bibliothèque. Mais M. Pop a visité le domaine avec Jaroslavna Ivanova, conseiller du district et de la province promotrice des plans de la station de ski. On peut dès lors s’interroger sur la neutralité de l’analyse d’impact sur l’environnement.

Le physicien minimalise tous les risques. « Cela devient une magnifique station de ski, aussi belle que Courchevel en France », affirme-t-il. « Notre rôle n’est pas d’empêcher le projet, mais de le rendre possible en limitant au maximum son impact sur la nature. Nous étudions par exemple l’influence que peut avoir le changement climatique sur l’avenir de la station de ski. »

« Toute cette agitation des activistes et journalistes, c’est une campagne de propagande soutenue depuis l’étranger, » ajoute-t-il encore. « Ils oublient que des personnes vivent aussi ici, dans la pauvreté. Est-ce que ces personnes n’ont pas droit au développement ? »

Promesse de développement

La station de ski de Bukovel se prépare pour la prochaine saison de ski. Elle est en pleine expansion. Des excavateurs creusent de nouvelles voies. On sent partout l’odeur de l’asphalte fraîche, et les blocs d’appartements et les hôtels poussent comme des champignons.

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La station de ski de Bukovel se prépare pour la prochaine saison de ski. L’expansion bat son plein.

Derrière la ville hôtelière se trouve Polyanytsya. Le village de campagne engourdi et pittoresque semble bien englouti par la station de ski. Les immeubles à appartements laissent entrevoir ce qu’il reste des pâturages, des vaches et des routes du village.

Une femme trait une vache près d’une petite maison ancienne et traditionnelle. Une plus grande maison moderne se trouve à côté. « Veuve et mère célibataire, j’ai élevé sept enfants dans cette petite maison d’un étage, avec des lits dans le salon », explique Sofia Bodnaruk tout sourire.

« Le domaine de ski ? Il a changé notre vie. J’y ai travaillé dix ans comme chef dans un restaurant italien. Mon salaire m’a permis de payer les études de mes enfants et leur a permis de construire de nouvelles maisons. »

« Les autorités corrompues, qui sont responsables de la pauvreté, promeuvent le méga-investissement comme un moyen miracle. Seulement parce qu’ils y trouvent aussi un avantage. »

La fille de Sofia a commencé l’école de ski de Bukovel à neuf ans. Dix ans plus tard, elle se retrouve tout le temps sur le podium des championnats de snowboard. Fière, Sofia soulève la série de médailles, avant de verser du lait frais. « Presque tous mes enfants ont des diplômes universitaires », dit-elle. « Et ils sont tous revenus au village. »

Cela fait de Polyanytsya une exception. L’émigration devient une catastrophe sociale pour la Transcarpatie et cela laisse de profonds stigmates chez ceux qui restent.

La moitié des jeunes émigrent, vers la Pologne ou la Tchéquie, en quête d’emploi. « Les gens sont tellement désespérés qu’ils attendent un miracle », explique Svetlana Dzoenzjyk, habitante active de Yasinya, un village sous-développé qui, tout comme Polyanytsya serait englouti par l’extension de la station de ski.

« Ils voient en Kolomosjki un magicien capable de les rendre riches d’un jour à l’autre. Mais les mêmes autorités responsables de la pauvreté et de l’émigration avec leur corruption et mauvaise gouvernance font la publicité du méga investissement comme d’un moyen miracle, parce qu’ils en retirent des avantages pour eux-mêmes. Pas parce qu’ils se soucient de leur population. »

Vassyl Telychuk est directeur de l’agence forestière publique de Yasinya. Il fait partie des personnes qui selon Svetlana tireraient profit de la venue de Kolomoysky.

« Les terres vont être vendu à l’investisseur », déclare M. Telychuk. « Il décide lui-même où couper. Ils vont nous dédommager pour les revenus perdus. Ils vont acheter environ mille de nos 27 000 hectares. »

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Vassyl Telychuk est le directeur de l’Agence forestière de Yasinya : “La station de ski signifie la fin de l’émigration, des touristes pour vendre des produits locaux, des hôtels, des recettes fiscales pour le budget local, de nouvelles écoles, des routes, un système de purification des eaux usées et d’assainissement.”

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Yasinya, petit village encore paisible pour l’instant. La station de ski serait construite sur le territoire de ce village. Comme les autorités locales et l’agence forestière publique y verraient des avantages (parfois personnels), ils soutiennent fortement sa construction. Tout comme à Poljanytsja, qui s’est fait engloutir par la station de ski de Boekovel, ces scènes champêtres pourront bientôt définitivement appartenir au passé.

Le directeur fait également référence à l’émigration et au chômage inquiétants : « La station de ski mettra un terme à l’émigration ; l’arrivée de touristes auxquels on pourra vendre des produits locaux et à accueillir dans les hôtels ; des recettes fiscales pour le budget local ; de nouvelles écoles, des voies, un système d’épuration d’eau et des égouts. »

Pourtant, cela fait déjà dix ans qu’il y a une station de ski à Polyanytsya, et le village n’est toujours pas équipé d’un système d’égouts central.

M. Telychuk promeut aussi la station de ski comme un moyen d’arrêter l’exploitation forestière illégale. « Si vous donnez aux habitants des perspectives économiques, ils ne devront plus couper de bois », affirme-t-il.

C’est étonnant, car l’ONG britannique Earth Sight a révélé dans une étude pionnière l’année dernière que l’exploitation forestière illégale est l’œuvre des agences forestières publiques mêmes. On voit partout autour de Yasinya et Chorna Tysa des flancs de montagne dénudés.

« L’émigration, la pauvreté, l’exploitation forestière illégale : la station de ski semble être un moyen miracle pour masquer son propre échec », déclare Svetlana Dzoenzjyk. Elle voit un autre avenir pour son village. Elle souhaite faire de Yasinya un centre de l’écotourisme durable. La Convention des Carpates de 2003 oblige d’ailleurs l’Ukraine à promouvoir uniquement des projets de développement durable et à préserver les écosystèmes uniques dans les Carpates.

L’ancien député parlementaire Ostap Jednak prétend que les plans pour ce faire se trouvent depuis longtemps sur la table : « Mais ils ne sont pas exécutés parce que tout le monde est aveugle. Les autorités locales n’accueillent que trop volontiers l’argent d’un oligarque dans leurs petits villages. »

Qui sont Ihor Kolomoysky et Oleksandr Shevchenko ?

L’entreprise Skorzonera est propriétaire de la station de ski. Ihor Kolomoysky détient 91 pour cent des actions. Il est le troisième homme le plus riche d’Ukraine. Sa fortune est estimée à 1,2 milliard de dollars. Il a investi 500 millions de dollars dans Bukovel depuis 2004. Le reste des actions se trouve dans la famille de l’ancien député parlementaire Oleksandr Shevchenko et cinq entreprises offshore à Chypre.

« Personne ne sait qui va être l’investisseur de la station de ski de Svydovets », déclare Yaroslavna Ivanova, conseillère de l’administration provinciale. « Les candidats investisseurs vont pouvoir se présenter via un appel d’offres public, après que l’analyse de l’impact sur l’environnement est terminée. »

C’est ainsi que devrait être la procédure, mais il y a des preuves du contraire. L’entreprise investisseuse est déjà connue : Skorzonera. Le 21 avril 2017, Skorzonera a introduit une demande officielle auprès du district local, pour réaliser un plan territorial pour l’agrandissement de Bukovel. Un an auparavant, Skorzonera avait créé un nouveau département à cet effet. La banque PrivatBank de Kolomoysky a encore rapidement attribué un prêt au directeur, nommé par Kolomoysky en personne juste avant que sa banque ne soit nationalisée pour fraude à grande échelle. C’est ce qu’il ressort d’une enquête du renommé Organized Crime and Corruption Reporting Project

Ensemble sur la photo

Oleksandr Shevchenko a lancé fin décembre 2017 une offensive de charme auprès des agences forestières des régions où il souhaite agrandir la station de ski. L’agence forestière publique a publié le message suivant avec des photos sur leur page Facebook : « Notre directeur-adjoint a rencontré le député parlementaire et investisseur Shevchenko pour discuter de la construction de la station de ski de Svydovets, et de son impact sur l’environnement et l’industrie du bois. »

Sur les photos, Shevchenko explique le plan du domaine skiable prévu. Se trouvent à côté de lui :

  • Le directeur de l’agence forestière publique de Yasinya, Vassyl Telychuk
  • Le directeur de l’agence forestière publique nationale, Volodymyr Bondar
  • Et le directeur d’une autre agence forestière publique, qui a été renvoyé pour cause de coupe illégale dans des domaines protégés, Valery Moerga

Faire intervenir des juges

« Pensez-vous vraiment qu’une entreprise normale participerait à cet appel d’offres public ? Pour un projet de douze ans, dans un pays aux perspectives incertaines ? » , demande Oksana Stankevych, directeur de l’ONG Ekosfera. « Seul un oligarque corrompu avec des connexions politiques peut y arriver. »

Les connexions vont directement au président. Depuis que Volodymyr Zelensky contrôle la présidence et le parlement, les propriétaires de la station de ski de Bukovel sont maintenant davantage ancrés dans la politique qu’auparavant. Zelensky est devenu président grâce à son émission de télévision populaire sur la chaîne de Kolomoysky. De nombreux membres du parti politique de Kolomoysky UKROP ont rejoint le nouveau parti de Zelensky.

Il s’avérait déjà que Kolomoysky n’avait pas grand-chose à craindre car il est revenu d’un exil à Londres immédiatement après la victoire de Zelensky aux élections.

« Je ne pense pas que Kolomoysky va directement collaborer avec le président Zelensky pour rendre possible la construction de la station de ski, ce serait trop étonnant », déclare l’ancien député parlementaire Ostap Yednak. « Mais son compagnon Shevchenko est bien occupé activement à manipuler d’autres institutions : les juges, les autorités locales, les agences forestières publiques.  Kolomoysky même fait tout en son pouvoir pour regagner le contrôle de la PrivatBank. Le Fonds Monétaire International exhorte le gouvernement ukrainien à empêcher cela, mais Kolomoysky peut manipuler des juges. S’il y parvient, il investira son argent directement dans la station de ski. »

 

Activisme

L’ancien député parlementaire Ostap Jednak se trouve dans la dernière ligne droite pour devenir directeur- adjoint national à l’agence forestière publique. « Il y a quelques semaines, des journalistes des médias de Kolomoysky ont commencé à cracher du venin à mon sujet », dit-il. « Je suppose que Kolomoysky ne serait pas content si je reprenais la tête de l’agence. Je vais m’opposer à cette station de ski. »

M. Jednak donne des cheveux blancs à Kolomoysky depuis la capitale de Kiev. Et dans le petit village de montagne, Lopukhiv, un homme normal commence à se rebeller : Valera Pavlyuk, propriétaire d’une scierie.

© Xander Stockmans

Valera Pavlyuk, propriétaire d’une scierie dans le petit village de montagne de Lopukhiv, a lancé la révolte contre les plans mégalomanes d’une station de ski dans le domaine naturel protégé des Carpates ukrainiennes.

« J’ai traîné les autorités des districts devant le juge parce que le plan territorial de la station de ski n’avait pas été publié », explique-t-il lors d’une visite guidée dans sa scierie. Le 18 janvier 2018, le juge lui a donné raison. Mais les autorités du district sont allés en appel.

Le propriétaire de la scierie a demandé l’aide d’Oreste Del Sol, un agriculteur franco-italien qui a émigré vers les Carpates ukrainiennes il y a vingt-cinq ans. Ensemble, ils ont mobilisé l’opposition locale et internationale contre la station de ski Svydovets prévue.

Actuellement, Free Svydovets est un mouvement constitué d’une dizaine d’ONG, de coopératives, de scientifiques et de fondations.

« Je comprends que Kolomoysky ne serait pas content si je revenais à la tête. Je vais m’opposer à cette station de ski. »

Les activistes ont filmé une scène absurde pendant l’audience à la Cour d’appel : Jaroslavna Ivanova a donné dix minutes tout compté aux parties présentes pour examiner le plan territorial. Mais aucune salle d’audience n’était suffisamment grande pour dérouler le document entier, qui mesure en effet huit mètres sur dix.

« Elle a dit que c’était pour cela que le document ne peut pas être publié », déclare Oreste Del Sol. « La planète entière est mise en ligne, mais un document de huit mètres sur dix, cela ne fonctionne pas. La loi ukrainienne exige de publier de tels plans. »

« C’est aussi ce que nous avons fait », réagit Mme Ivanova. « Nous avons présenté le plan territorial pendant des audiences publiques à Chorna Tysa, Yasinya et Lopukhiv. » Mais seuls 33 des 3317 habitants de Lopukhiv sont venus à l’audience. Elle n’avait pas été publiée d’une manière suffisamment large. La Cour d’appel a cependant donné raison à Jaroslavna Ivanova.

« C’est la raison pour laquelle nous sommes partis devant la Cour suprême », déclare M. Pavlyuk. « Et si nécessaire, nous irons devant la Cour européenne des droits de l’homme. Mais cela n’empêche pas les agences forestières publiques de déjà couper les forêts vierges et d’aménager des voies pour la station de ski. »

Menaces

« C’est un test pour le système juridique ukrainien », déclare Ostap Jednak. « Kolomoysky ne se préoccupe pas trop de l’activisme citoyen. C’est seulement lorsque la Cour suprême annulerait les permis qu’il prendrait vraiment peur. Kolomoysky va donc bien sûr étendre ses tentacules. »

Un petit entrepreneur issu d’un petit village de montagne contrecarrerait ainsi le troisième homme le plus riche du pays. Cela n’arrive pas tous les jours en Ukraine.

« J’en ressens les conséquences », déclare M. Pavlyuk. « Le lendemain du jour où nous avons intenté le procès, l’agence forestière publique nous a envoyé un contrôleur financier. Le chef d’une agence forestière publique locale a un grand pouvoir sur les habitants de son village. Il peut nous soumettre à toutes sortes de contrôles. Il menace de ruiner nos entreprises si nous ne laissons pas tomber le procès. Mais je n’abandonnerai jamais. »

« Complot de l’Europe occidentale »

Tous les partisans de la station de ski – la conseillère Jaroslavna Ivanova, le scientifique Stepan Pop, les agences forestières publiques et les bourgmestres – utilisent les mêmes théories du complot bizarres :

« Ces pseudo activistes et pseudoscientifiques sont payés par des fondations occidentales et les entreprises responsables des stations de ski en Europe occidentale, par peur de concurrence ukrainienne. Et par les gouvernements d’Europe occidentale des pays où les Ukrainiens travaillent pour de bas salaires. Si l’Ukraine se développe économiquement, ces pays perdront en effet une main-d’œuvre bon marché. Ces activistes sont les ennemis de leur propre pays. Cette sorte d’activisme professionnel a fortement augmenté en Ukraine depuis la révolte du Maïdan de 2014. »

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