Les Belges et leurs paradis fiscaux

Pas moins de 732 personnes belges ou domiciliées en Belgique ont fondé de très nombreuses sociétés – 1144 au total – par l’intermédiaire de Mossack Fonseca dans onze paradis fiscaux.  

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Les Panama Papers indiquent que ces sociétés offshore sont établies dans les lieux exotiques tels que les Îles Vierges britanniques, Panama et les Seychelles.

Cette fuite d’informations – la plus importante de toute l’histoire du journalisme – lève le voile sur un univers parallèle fait de sociétés-écrans, de prête-noms et d’intermédiaires. ­­Ce monde discret, habituellement invisible pour le grand public, repose sur des structures offshore: des sociétés, des fondations, et des trusts établies dans les pays offrant un régime fiscal avantageux – en d’autres mots, dans des paradis fiscaux .

L’utilisation de structures offshore est tout à fait légale pour autant qu’on n’y entrepose pas d’argent sale, qu’on déclare ses avoirs offshore et qu’on administre soi-même la société sur place. 

Pourquoi ces sociétés offshore sont-elles si secrètes ?
La discrétion est au cœur du système offshore. Les paradis fiscaux tirent parti d’un secteur rentable et générateur d’activité économique. Ces pays se tireraient une balle dans le pied s’ils communiquaient soudainement aux autres pays toutes les informations relatives aux sociétés-écrans. Lorsque le fisc belge – l’Inspection spéciale des impôts (ISI) – demande des informations à des instances étrangères de contrôle fiscal, des mois peuvent s’écouler avant d’obtenir une quelconque réponse. La cellule belge de lutte contre le blanchiment d’argent, le parquet et Europol rencontrent le même problème : les informations ne circulent pas assez rapidement. Dans ce contexte, une société incriminée peut très bien avoir disparu avant que les instances compétentes aient rassemblé  toutes les informations nécessaires. En outre, une société offshore peut en cacher une autre, ce qui demande l’ouverture d’une nouvelle enquête.

Selon les experts en finance, la création d’entreprises offshore est dans la plupart des cas motivée par une pression fiscale moindre, mais ces structures offrent également d’autres avantages, comme par exemple l’anonymat. Vous pouvez placer argent et autres avoirs à l’étranger et laisser un prête-nom administrer votre société. De cette façon, personne ne peut savoir que vous en êtes le propriétaire et, même si la police, le fisc et la cellule de lutte contre le blanchiment d’argent ouvrent une enquête, ils auront beaucoup de mal à obtenir des informations. Ce genre de structures est donc très pratique pour les gens qui désirent cacher certaines choses aux autorités, à leurs associés, à leur conjoint(e) ou au grand public. La confidentialité est le maître-mot dans le monde des sociétés offshore.

Un des documents de Mossack Fonseca est riche en conseils sur la façon de communiquer avec les clients. Il montre l’importance que le cabinet attache à la confidentialité : « N’utilisez que des enveloppes ordinaires, sans aucun cachet de Mossack Fonseca, et ne mentionnez nulle part le nom de la société offshore. N’envoyez aucune lettre sans accord préalable du client. » Ou encore : « Téléphonez toujours à votre client avant de lui envoyer des informations par écrit. Ne faxez jamais des informations. Ce peut nuire à la confidentialité du dossier traité et créer de très gros problèmes ! » Et un peu plus loin : « Les noms des actionnaires ne peuvent être inscrits sur l’acte de constitution de la société. Ces informations ne peuvent être communiquées qu’à la demande expresse du client. »

Les sociétés offshore ne sont pas illégales en soi et constituent même  un choix logique pour certaines transactions financières internationales. L’utilisation de structures offshore est tout à fait légale pour autant qu’on n’y entrepose pas d’argent sale, qu’on déclare ses avoirs offshore (une obligation en Belgique depuis 2013) et qu’on administre soi-même la société sur place. Cependant, les 11,5 millions de documents dont nous disposons montrent que ces règles ne pas toujours respectées.

L’analyse des 1144 sociétés offshore liées à la Belgique met en lumière un recours courant à des « administrateurs désignés », c’est-à-dire à des prête-noms. Cette pratique consiste à utiliser sur les papiers officiels le nom d’un habitant du paradis fiscal qui n’a en réalité absolument aucun lien avec la société. Certains administrateurs de sociétés offshore fondées par des Belges se trouvent ainsi être administrateurs de milliers d’autres sociétés.

Les Belges et le monde offshore

La mention For your files only apparaît sur de nombreux documents. Le mot Belgique revient quant à lui 35000 fois, mais le nombre d’e-mails, de pdf, de tableaux Excel, d’actes de constitution de société, de rapports de conseil d’administration et de factures mettant en cause des personnes belges ou établies en Belgique est bien plus conséquent.

Les équipes de MO*, du Knack, du Soir et du Tijd ont inspecté 10000 documents et ont dressé une liste des personnes impliquées. L’analyse de cette liste a permis de déterminer le profil type des Belges propriétaires de sociétés offshore.

Un premier constat : ces dernières années, pas moins de 732 Belges ou ressortissants étrangers domiciliés en Belgique (notamment des Français, des Néerlandais et des Britanniques) ont fondé une société offshore par l’intermédiaire de Mossack Fonseca. Si l’implication de certains grands noms de la haute finance belge ne surprendra personne, la liste des personnes impliquées comprend également de petits indépendants et des citoyens ordinaires propriétaires d’une ou de plusieurs sociétés offshore. Nous révélerons dans les semaines à venir des noms de personnes célèbres mêlées à cette affaire.

Les Belges impliqués proviennent de divers secteurs, mais principalement de la finance, du secteur diamantaire, du monde des entreprises et de l’immobilier. On retrouve également dans la liste des médecins, des dentistes, des gynécologues, des informaticiens, des avocats, des scientifiques, des intellectuels, des développeurs graphiques, des bouchers, des architectes, des agents immobiliers, des assureurs, des sportifs, un marchand ambulant et un producteur de films. Si toutes les catégories d’âge sont représentées, la majorité de ces propriétaires de sociétés offshore ont entre cinquante et septante ans. En outre, il semble que l’univers offshore soit a man’s world : seulement 20 % des Belges impliqués sont des femmes.

Les belges exposés par les Panama papers habitent pour la plupart dans la Région Bruxelles-Capitale et dans la province d’Anvers. Á titre de comparaison, dans la province de Namur, on ne dénombre qu’un seul propriétaire de société offshore. À Uccle, 52 habitants entretiennent des liens avec des paradis fiscaux. Ainsi, dans cette commune de quelque 80000 habitants, près d’une personne sur 1530 est directement impliquée.

Les citoyens belges et les ressortissants étrangers en Belgique cités dans la fuite d’informations du cabinet d’avocats Mossack Fonseca ne sont pas à strictement parler tous propriétaires de sociétés offshore. Cette position est en revanche incontestable pour les « bénéficiaires effectifs » (79). Les rôles joués au sein des sociétés offshore sont divers : actionnaire (175), mandataire (158) ou encore directeur (157). Il est cependant tout à fait possible que ces fonctions aient été remplies à la demande d’autrui. Chaque affaire est différente. Les documents du cabinet d’avocats ont notamment mis en lumière les liens de deux citoyens belges avec respectivement 21 et 17 sociétés offshore.

La fuite d’informations a permis d’établir les liens entre 1144 sociétés offshore, telles que Zorba, Rocalmox, Superman SA, Gentle Smile Limited et Rapunzel SA, et la Belgique. Près de la moitié de ces sociétés-écrans ont été fondées dans les Îles Vierges britanniques (539), pouvant désormais être qualifiées de paradis fiscal de premier choix pour les Belges. Ces îles situées au cœur des Caraïbes ne comptent même pas 25000 habitants. Leur économie repose sur le tourisme et l’offre de services financiers. « Peu importe les affaires ou les transactions qu’effectue votre société en dehors des Îles Vierges britanniques,  vous serez complètement exempté de taxes », souligne Mossack Fonseca dans une brochure en ligne qui fait l’éloge de ce paradis fiscal.

La deuxième destination offshore préférée des Belges est Panama (314 sociétés liées à la Belgique). Ce pays d’Amérique centrale, dont la population s’élève à près de 3,5 millions d’habitants, est essentiellement connu chez nous pour son canal, qui relie l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. À la troisième place, on retrouve les Seychelles, un groupe d’îles situé à l’est du Kenya comptant près de 90 000 habitants.  On y dénombre 177 sociétés offshore liées à la Belgique. Des sociétés offshore belges ont également été enregistrées dans six autres endroits: les Bahamas, Niue (une île de Polynésie comptant un peu plus de 1000 habitants), les Antilles britanniques (dans les Caraïbes), les îles Anglo-Normandes (le long des côtes françaises), Chypre, Hong Kong et les îles Samoa (Polynésie).

Créer sa société offshore pour à peine 1790 dollars

La plupart des Belges impliqués n’ont même pas eu besoin de mettre un pied dans ces régions exotiques pour y créer une société. Il leur a suffi de frapper à la porte de cabinets d’avocats, de banques, de notaires et d’experts en services financiers. Ces Belges ont pu entreprendre ces démarches en Belgique même, mais ils sont aussi parfois passés par des intermédiaires basés au Grand-Duché de Luxembourg, en Suisse ou encore à Curaçao. Tous ces intermédiaires ont ensuite pris contact avec une des succursales du bureau d’avocats Mossack Fonseca, un acteur de premier plan dans le secteur offshore.

Mossack Fonseca s’adapte aux  demandes de ses clients. Ils peuvent vous aider à enregistrer une société offshore auprès des autorités locales. Le cabinet d’avocats peut en outre fournir une entreprise prête à l’emploi avec un nom, un cachet, un acte de constitution de la société, des administrateurs, une boîte aux lettres et même, si besoin, une personne pour s’occuper du courrier. Dans le jargon, on appelle ce genre de sociétés des «Off the shelf companies ».

Dans de nombreux cas, les sociétés offshore sont liées à un compte en banque enregistré en Suisse ou au Grand-Duché de Luxembourg. Cette stratégie présente des avantages : si le compte en banque vient à faire l’objet d’une enquête, les autorités concernées ne pourront pas directement remonter vers le nom du Belge en question car leurs recherches les mèneront vers une boîte aux lettres sans nom située dans un pays lointain.

Tout le monde peut-il créer une entreprise offshore ? Lorsqu’on calcule le coût total des frais, cela reste raisonnable. En mai 2014, un informaticien bruxellois a fait appel à un intermédiaire pour savoir combien coûterait la création d’une société offshore au Panama avec Mossack Fonseca. La réponse : 1790 dollars pour les frais de constitution de la société. Ce tarif ne permet pas de s’offrir une société off the shelf mais il inclut tous les documents nécessaires au conseil d’administration en espagnol et en anglais. Il faut ajouter à cette somme des frais annuels : 520 dollars pour conserver son statut d’agent enregistré chez Mossack Fonseca et 300 dollars pour le fisc panaméen. Il faut également compter 98 dollars pour obtenir un sceau et 1500 dollars pour pouvoir ouvrir un compte en banque au nom de l’entreprise. Un autre document de Mossack Fonseca fait également mention de prix encore plus avantageux. En conclusion, il ne faut nullement être millionnaire pour créer une société offshore.

Nous constatons qu’il existe souvent des liens étroits entre, d’une part, les sociétés offshore et, d’autre part, le monde du crime et la corruption.

Les intermédiaires (les cabinets d’avocats, les bureaux de conseil,…) et Mossack Fonseca – qui agit en tant que contact officiel pour les autorités dans les paradis fiscaux ­– ont des obligations à respecter. Ils doivent savoir qui sont leurs clients et vérifier à cet effet leurs antécédents. Si les fonds investis dans la société offshore sont liés à des activités criminelles ou à de la corruption, ils sont tenus d’en avertir les autorités compétentes. Dans certains cas, des clients belges ont dû signer un papier où ils inscrivaient « Je soussigné Monsieur X, habitant à Uccle, en Belgique, suis le bénéficiaire effectif de la société sus-citée, enregistrée dans les îles Vierges, et je m’engage par la présente à ne jamais utiliser cette société à des fins illégales. En outre, la société n’utilisera jamais des fonds issus de la vente d’armes, du trafic de drogue, de transactions frauduleuses ou d’autres activités illégales. »

Nous constatons toutefois qu’il existe souvent des liens étroits entre, d’une part, les sociétés offshore et, d’autre part, le monde du crime et la corruption. Igor Angelini, directeur du Financial Intelligence Group d’Europol s’est exprimé à ce sujet: « Dans la plupart des affaires de blanchiment d’argent sur lesquelles nous enquêtons, les structures offshore sont un moyen utilisé par les criminels pour cacher l’origine criminelle de leur argent. Les sociétés offshore permettent également de cacher l’identité des bénéficiaires effectifs. Ce sont essentiellement ces deux aspects – l’origine de l’argent et la dissimulation des identités des bénéficiaires effectifs – qui, dans un contexte criminel, pousse quelqu’un à utiliser des sociétés offshore. Mais bien loin de moi l’idée d’assimiler tous les acteurs du secteur offshore à des criminels. »

 « Le recours à des structures offshore est également courant dans des affaires de corruption. Les sociétés offshore permettent de canaliser les pots-de-vin : il est difficile de déterminer l’origine des versements lorsqu’ils sont destinés à des sociétés basées au bout du monde et soumises une autre juridiction.

M. Angelini attire l’attention sur le coût que représentent les sociétés offshore pour la société dans un contexte criminel : « Il s’agit d’un des systèmes largement exploités par les criminels et nous devons nous y attaquer si nous voulons vivre dans un monde meilleur. Il faut bien se rendre compte que de nombreuses menaces à notre sécurité vont de pair. La corruption est malheureusement un phénomène très répandu dans certains pays en voie de développement. La population de ces pays perd espoir et cherche le salut dans d’autres idéologies. Ils voient que les richesses de leur pays leur ont été volées et se réfugient dans des idéologies dangereuses. Le blanchiment d’argent, la corruption, la crise des migrants et le terrorisme international sont des problèmes intimement liés. » S’il y a bien une chose que montrent les Panama Papers, c’est que ces tendances sont loin de se limiter aux pays en voie de développement. Des gens de par le monde créent chaque jour des sociétés offshore. Et à cet égard, la Belgique ne fait pas figure d’exception.

La réaction de Mossack Fonseca

Nous avons envoyé une liste de questions au sujet des 732 personnes citées à Mossack Fonseca. En réponse, Carlos Sousa, responsable des relations publiques du cabinet d’avocats, a affirmé que les parties citées n’étaient nullement des clients de Mossack Fonseca. Et pour cause, le cabinet d’avocats n’entrait jamais en contact direct avec ses clients et travaillait seulement avec des intermédiaires expérimentés, tels que des banques et des agences spécialisées. Ce sont ces intermédiaires que Mossack Fonseca considère être ses clients.

 « Nous offrons à nos clients une aide à la création d’entreprises ainsi que des services administratifs largement disponibles et communément utilisés dans le monde. La création d’entreprises est l’activité normale de nombreux avocats et agents de par le monde », lit-on dans le rapport de M. Sousa. « Nos services sont contrôlés à différents niveaux par diverses agences et nous mettons un point d’honneur à nous conformer à leurs exigences. » Et un peu plus loin : « En tant qu’acteur dans le monde de la finance et des affaires, Mossack Fonseca veille toujours à maintenir une attitude responsable. »

« Notre société n’a jamais été accusée ou condamnée pour quelque crime que ce soit. »

Mossack Fonseca maintient que les activités du cabinet à Panama et à l’étranger au cours de ces quarante dernières années étaient irréprochables. « Notre société n’a jamais été accusée ou condamnée pour quelque crime que ce soit.» Le cabinet d’avocats dit déplorer toute utilisation de ses services à des fins illégales et lutter activement contre de telles activités. Carlos Sousa insiste sur le fait que toutes les activités suspectes et toutes les infractions ont été rapportées à l’autorité compétente et que Mossack Fonseca a toujours collaboré avec les autorités lorsqu’elles suspectaient une possible infraction. 

Selon Mossack Fonseca, la cumulation de titres d’administrateur au sein de plusieurs sociétés basées dans différents pays est une pratique « parfaitement légale et communément admise, notamment lorsqu’il est question d’un groupe d’entreprises ou d’une entreprise détenant des biens meubles et immeubles ».

PanamaPapers est le résultat d’une collaboration entre le magazine Knack, l’ICIJ, le Süddeutsche Zeitung, De Tijd, MO* et Le Soir. Traduction: Salomé Laviolette.

 

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