La Belgique doit-elle (encore) bombarder la Libye ?

Peter de Roover (N-VA), représentant à la Chambre, appelait en mars dernier à organiser une nouvelle intervention militaire en Libye. Même si cette nouvelle intervention n’est pas encore officielle, certains États ont déjà lancé des opérations. La situation ne peut donc qu’escalader, selon Samira Bendadi, qui suit de près le chaos libyen.

  • Maher27777 (CC 0) "Les clans libyens forment un seul bloc", Benghazi 2011 Maher27777 (CC 0)
  • Essam Mohamed (CC by 2.0)​ Des rebelles après leur victoire dans la ville de Beni Walid, en octobre 2011. Essam Mohamed Essam Mohamed (CC by 2.0)​

Tout est possible en Libye, surtout à la lumière des événements de ces derniers jours. Le Conseil de Sécurité des Nations unies s’est complètement rangé du côté du gouvernement d’unité nationale mis en place par l’ONU, mais ce gouvernement n’a toujours pas été reconnu par les deux autres gouvernements libyens.

Le Conseil de Sécurité a déclaré jeudi dans un communiqué de presse que le gouvernement d’unité nationale est la seule autorité légitime en Libye. Il a en outre prié le nouveau gouvernement, actuellement basé en Tunisie, un pays voisin, de prendre les mesures de sécurité indispensables pour déménager à Tripoli.

De plus, le Conseil de Sécurité a demandé à tous les membres de l’ONU de suspendre toute forme de coopération avec les structures non reprises dans l’accord politique et de faire tout le nécessaire afin d’aider le gouvernement d’unité nationale à s’installer.

Un nouveau gouvernement envers et contre tout

La reconnaissance du gouvernement d’unité nationale par la communauté internationale est une décision audacieuse mais elle ne surprend personne. Les différents acteurs libyens ont négocié pendant des mois dans la ville balnéaire de Skhirat, située au Maroc. Les parties sont finalement arrivées à un accord fin de l’an dernier.

L’accord a donné lieu à la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Martin Kobler, le représentant des Nations Unies en Libye, n’est cependant pas parvenu à remplir sa mission. Les membres du Parlement international légitime, basé à Tobrouk, à l’est du pays, ont refusé de reconnaître le gouvernement.

L’idée qu’il ne s’agit que d’un gouvernement fantoche reste très présente.

Samedi dernier, le gouvernement d’unité nationale s’est autoproclamé gouvernement officiel de Libye. L’Union européenne et la Ligue arabe ont reconnu sur-le-champ le nouveau gouvernement. La Communauté internationale place ainsi les deux autres gouvernements libyens devant le fait accompli.

Cette reconnaissance sur la scène internationale pourrait accélérer la motion de confiance du Parlement, mais il n’est pas encore certain que toutes les milices se soumettront aux ordres du nouveau gouvernement. L’idée qu’il ne s’agit que d’un gouvernement fantoche reste très présente, surtout à Tripoli, à l’ouest du pays.

Les États-Unis et les États européens, plus particulièrement la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, ont été très clairs quant à ce qu’ils attendaient du nouveau gouvernement. À leurs yeux, la priorité est d’endiguer l’EI (Daech), qui a tiré parti du chaos ambiant pour s’établir à Syrte, l’ancienne base de Mouammar Kadhafi, et dans les environs. Une autre source d’inquiétude pour l’Union européenne est l’immigration illégale, qui a pris d’énormes proportions en raison de l’absence de contrôles. À l’approche de l’été, le nombre de personnes qui essaient de traverser la mer Méditerranée va probablement à nouveau monter en flèche.

Faut-il bombarder ou envoyer des troupes ?

Les derniers événements alimentent les spéculations au sujet d’une intervention militaire imminente en Afrique du Nord. Il serait même question d’envoyer des troupes en Libye afin de faciliter l’installation du nouveau gouvernement. Cependant, les États occidentaux démentent systématiquement ces rumeurs. Le ministre britannique des Affaires étrangères a déclaré le 15 mars qu’il n’était pas question d’envoyer des milliers de soldats en Libye, contrairement à ce que prétendent certaines sources. Il n’existe également aucun projet d’étendre à la Libye les bombardements effectués par la coalition combattant l’EI (Daech) en Irak et en Syrie. Le gouvernement doit avant toute chose s’installer à Tripoli, ce qui peut prendre plusieurs semaines voir plusieurs mois. Le ministre britannique a expliqué que ce ne serait qu’à ce moment-là, et pas avant, que l’éventualité d’une intervention militaire pourrait être examinée si le gouvernement libyen en faisait la demande.

Même s’il n’est pas question dans l’immédiat d’une intervention de grande envergure en Libye, des États tels que la France, la Grande-Bretagne et l’Italie conservent une présence militaire sur le sol libyen. Les États européens effectuent des vols de reconnaissance et disposent d’unités spéciales de terre qui rassemblent des informations et établissent des contacts avec l’armée libyenne et des milices actives dans certaines parties du pays.

(CC by 2.0)​

Des rebelles après leur victoire dans la ville de Beni Walid, en octobre 2011. Essam Mohamed

Le 19 février, les États-Unis ont lancé une opération militaire et ils ont bombardé un camp de l’EI à Sabratha, une ville côtière située à environ soixante-dix kilomètres à l’ouest de la capitale de Tripoli. L’attaque provoqua la mort d’une quarantaine de combattants. En outre, deux civils serbes, un employé de l’ambassade serbe et son chauffeur qui avaient été enlevés par l’EI sont décédés.

Le double jeu de la communauté internationale

Les acteurs internationaux jouent donc un double jeu en Libye. D’un côté, ils favorisent les voies diplomatiques pour former un gouvernement d’unité nationale qui pourrait, en cas de nécessité, légitimer une intervention militaire contre l’EI (Daech). De l’autre, ces acteurs n’éliminent pas la possibilité d’une intervention militaire si nécessaire. Lorsque les États-Unis ont bombardé Sabratha, l’opinion publique a remis en question le choix de la cible : pourquoi Sabratha avait-elle été visée alors que la majorité des combattants de l’EI (Daech) se trouvaient dans la ville de Syrte ? La réponse donnée à l’époque était que l’opération avait pour objectif de mettre hors d’état de nuire le cerveau derrière l’attentat terroriste qui avait visé des touristes en Tunisie. Cette mission avait visiblement été remplie avec succès.

« Chaque État agit en fonction de ses priorités et essaie de défendre ses intérêts propres. »

Selon l’analyste et journaliste émérite Mustafa Fitouri, les contacts directs avec des milices de Libye — initiés non seulement par des États occidentaux mais également par des États tels que le Qatar, l’Égypte, les Émirats arabes unis — n’ont pas fait avancer le pays. Ces relations n’ont fait que nourrir une guerre par procuration et complexifier la recherche d’une solution.

Malgré l’embargo sur les armes mis en place après le renversement de Kadhafi en 2011, des armes continuent d’être vendues clandestinement. « Chaque État agit en fonction de ses priorités et essaie de défendre ses intérêts propres. »

« La France, la Grande-Bretagne et l’Italie désirent un pied à terre en Libye. Leurs motivations ne se limitent pas aux ressources naturelles et aux nombreuses possibilités que représente la reconstruction du pays : ces États veulent par la suite pouvoir accéder à des équipements et des infrastructures sur le sol libyen. »

« Pour un pays comme la France, cela revient à s’assurer de pouvoir utiliser les infrastructures libyennes dans le cadre de la lutte contre les extrémistes, au sud de la Libye. L’Égypte, elle, espère que les travailleurs égyptiens qui avaient fui la Libye après la chute de Kadhafi pourront y travailler à nouveau », poursuit Mustafa Fitouri.

Il existe en Libye mais également dans de nombreux pays arabes des rumeurs selon lesquelles les pays occidentaux souhaiteraient diviser la Libye en trois, mais, selon Mustafa Fitouri, ces histoires ne tiennent pas la route. « Une division de la Libye ne serait pas dans l’intérêt de la communauté internationale », remarque-t-il. « Les États occidentaux ne souhaitent pas vraiment diviser la Libye mais plutôt réaliser leurs objectifs stratégiques au sein d’une Libye unie. »

Un homme fort à la tête d’une puissante armée

« Les Libyens se rendent compte que le gouvernement d’unité nationale a d’autres priorités que de régler les problèmes devant leurs yeux. Et pourtant, ils applaudissent la venue du nouveau gouvernement car ils espèrent qu’il va rétablir un peu l’ordre », explique Mustafa Fitouri. « Malgré la présence de deux gouvernements, un certain nombre de services de base sont assurés. »

« Les écoles et les universités sont ouvertes, la police est plus ou moins présente en rue et l’appareil judiciaire fournit un service minimal. Il n’y a toutefois pas d’État. Toutes les milices ne coopèrent pas avec la police et l’armée, les prix se sont envolés et, bien plus préoccupant encore, on observe un retard de paiement des salaires de trois mois environ, mais cela pourrait durer 6 mois encore », déplore M. Fitouri.

« Nous n’avons pas besoin d’un énième gouvernement », s’écrie Ahmed Jabir, un activiste âgé de vingt-sept ans. « Nous avons besoin d’une puissante armée dirigée par un homme fort, mais nous avons déjà cela. Le problème est que la Communauté internationale se refuse à la reconnaître. »

Ahmed Jabir ne comprend pas pourquoi la Communauté internationale assimile l’armée libyenne aux autres milices et la soumet elle aussi à un embargo sur les armes. Il ne comprend pas non plus que certaines personnes en Libye ne soutiennent pas le général Hifter, actuellement à la tête de l’armée libyenne. « Le général Hifter est très apprécié par certains Libyens, c’est un fait », souligne Mustafa Fitouri. « Surtout dans l’est du pays. Et ce sont des radicaux au sein des deux gouvernements qui ont entravé la signature d’un accord. »

La popularité du général Hifter a augmenté ces derniers temps, surtout à Benghazi, où l’armée a libéré plusieurs quartiers contrôlés par les groupements armés. Nadia Ramadan, ancienne journaliste et activiste, raconte que de nombreux habitants de Tripoli n’ont pas de problème avec la personnalité du général. « Ils ont juste peur de le crier haut et fort. »

De la sueur, du sang et des larmes

Il n’existe pas de formule magique pour régler les problèmes en Libye. « Quelle que soit la solution choisie, elle demandera beaucoup de temps et aura un coût humain. Ce gouvernement parviendra peut-être à trouver une solution sur le long terme mais ce n’est pas en soi le gouvernement qui pose problème », souligne M. Fitouri. « La polarisation politique et sociale a divisé le peuple. Tant qu’il n’y aura pas de vraie réconciliation, la situation restera incertaine. »

« Si l’on soutient le processus de réconciliation organisé par les clans, cela revient à admettre que la révolution a échoué. »

En Libye, les clans jouent traditionnellement un rôle important lors des processus de réconciliation. D’importants représentants des clans ont récemment servi de médiateurs entre différents groupes. Ce phénomène est courant, aussi bien dans le nord que dans le sud du pays.

Mais ce genre d’initiatives a du mal à percer à l’étranger ou à bénéficier du soutien de la communauté internationale. Selon Mustafa Fitouri, ceci s’explique par le fait que les clans qui jouent un rôle de médiateur ne se sont jamais opposés à Kadhafi. « Leur intervention ne correspond pas au discours de la révolution — ce que j’appelle le “projet de février” — soutenu par les États occidentaux. À mes yeux, ce projet est un échec », confie M. Fitouri. « Si l’on soutient le processus de réconciliation organisé par les clans, cela revient à admettre que la révolution a échoué. Mais personne n’est prêt à avouer cet échec. »

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