Les élections sauveront-elles le régime algérien ?

Les Algériens ne souhaitent pas seulement des élections, mais un nouveau système : « Il faut qu’ils partent tous ! »

Steve Eason (CC BY-NC-SA 2.0)

Depuis le 22 février, les Algériens descendent dans les rues chaque semaine. Les mesures prises depuis lors par le puissant dirigeant, le général Ahmed Gaed Salah, n’ont pas encore réussi à éteindre les protestations dans la rue. Le peuple continue à défendre le slogan « Il faut qu’ils partent tous ». Et par « tous », ils entendent non seulement les figures connues du système, mais aussi le système dans son intégralité. Ils souhaitent s’approprier l’État et ses institutions.

Les protestations ont déjà été reportées deux fois. Mais maintenant, tout le monde semble être d’accord qu’elles ne peuvent plus empêcher les élections. Le régime ne peut pas se permettre de les repousser une troisième fois.

« La question qui se pose maintenant, n’est pas de savoir si les élections se tiendront ou non, mais bien si ces élections sont légitimes », déclare Amel Boubekeur, chercheuse à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) de Paris.

« Le Hirak, le mouvement de protestation, va se concentrer sur la légitimité des résultats », explique-t-elle.

Depuis l’indépendance de l’Algérie, l’armée détient le pouvoir politique. « Comme dans d’autres pays dans la région, le régime réussit à conserver les apparences de légitimité en organisant des élections », affirme Mme Boubekeur. « Même quand les résultats étaient faibles, on pouvait dire que les personnes qui n’avaient pas donné leur voix n’étaient pas intéressées par la politique et qu’il faut surtout tenir compte des personnes qui ont au contraire voté. Ce qui n’est pas tout à fait faux, car le régime a encore beaucoup de partisans dans les villages retirés. »

« Mais, aujourd’hui, les dirigeants ne peuvent plus tenir ce discours et prétendre que la population ne s’intéresse pas à la politique. Les Algériens sont descendus en masse dans la rue pour clamer qu’ils ne voulaient pas d’élections. Ils souhaitent que le régime arrête d’utiliser les élections afin de se maintenir en place. Ils demandent une période de transition où l’on améliore les institutions publiques et où l’on jette la base d’un véritable système démocratique afin de pouvoir organiser ensuite des élections présidentielles et parlementaires équitables et transparentes. Le peuple souhaite prendre en mains l’ État et ses institutions », conclut la chercheuse de l’EHESS.

Depuis l’indépendance de l’Algérie, l’armée détient le pouvoir politique.

« Il faut qu’ils partent tous »

Les protestations en Algérie durent depuis déjà 41 semaines, proviennent d’un mécontentement général qui couve déjà depuis des années. Le manque de clarté sur la personne réellement au pouvoir, est depuis des années une source de soucis. L’enrichissement effréné des proches du pouvoir pose également depuis longtemps un problème au citoyen lambda. Le successeur de Bouteflika est longtemps resté inconnu. Beaucoup partaient du principe que Said Bouteflika, le frère du président, et selon certains le véritable dirigeant du pays, se présenterait peut-être en tant que candidat.

Le traumatisme de la guerre civile des années nonante en tête, et au moment où le peuple ne semblait exiger qu’une amélioration de la situation socio-économique, l’annonce de la candidature de l’ancien président pour un cinquième mandat était la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Abdelaziz Bouteflika avait déjà allongé sa présidence et s’est succédé à lui-même malgré la forte protestation contre sa candidature. Le cinquième mandat fut la douche froide, comme l’expression du mépris pour la population. Les Algériens sont spontanément descendus dans les rues et ont continué à le faire chaque semaine.

Bouteflika retira sa candidature, si bien que le dirigeant influent, le général Ahmed Gaed Salah s’est retrouvé propulsé au pouvoir. Il a activé l’article 102 de la Constitution pour provoquer la destitution du président malade. Depuis lors, une série de mesures sont prises pour absorber la colère populaire. Un certain nombre de haut placés, dont le frère de Bouteflika, ont été arrêtés. Des grands noms du monde des affaires sont aussi actuellement en prison.

Ali Haddad, ex directeur du forum des chefs d’entreprise (FCE) et directeur du groupe ETRHB (Entreprise des travaux routiers, hydrauliques et bâtiments), a été arrêté début avril lorsqu’il essaya de quitter le pays. Le patron des patrons est sous les verrous pour « violation du règlement concernant les adjudications publiques, l’octroi de privilèges illégitimes, exercice d’influence et abus de fonction ». Douze fonctionnaires haut placés ont été arrêtés dans le cadre de l’affaire. L’un d’entre eux est l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahya.

Mais aucune de ces mesures n’a réussi à calmer les protestations. Sans surprise pour les observateurs algériens. « Car si le peuple dit « il faut qu’ils partent tous », le peuple ne renvoie pas aux personnes, mais bien aux conditions qui ont créé cette personnes », explique l’économiste et ancien directeur de la Banque nationale d’Algérie Abderrahmane Hadj Nacer dans une interview à la radio fin juin.

Ahmed Gaed Salah a octroyé un certain nombre de compensations à la population, mais a aussi réprimé fortement les voix dissidentes, ce qui a entraîné des répercussions sur le mouvement de protestation. « Nous avons vu ces derniers jours que la protestation s’élève contre les mandats d’arrêt. Certaines personnes ont écopé de 18 mois de prison pour avoir protesté contre le candidat à la présidence dans leur ville. »

Steve Eason (CC BY-NC-SA 2.0)

« La protestation prend de l’ampleur, passant d’hebdomadaire à quotidienne  et organisée à différents endroits : hors des tribunaux, dans les universités et aussi dans les villes lointaines. Il y a aussi une plus grande présence des forces de l’ordre. Elles reçoivent des instructions pour exercer un plus grand contrôle afin que les campagnes des candidats à la présidence puissent se dérouler dans les meilleures conditions », déclare Yasmine Allouche, chercheuse pour TRTWorld, un centre d’études basé à Istanbul.

Le mouvement de protestation s’est dans un premier temps appuyé sur la Constitution afin d’empêcher un cinquième mandat de Bouteflika. Et maintenant, l’armée se base sur la Constitution pour organiser des élections.

Qui va pouvoir négocier au nom du peuple avec Gaed Salah ou avec Ali Benflis s’il est élu ? Il n’y a aucun représentant de l’Hirak

Il y a maintenant cinq candidats aux élections présidentielles. « Et tous les cinq sont autorisés par le régime », affirme Mme Allouche. Ce sont des visages connus qui ont tous rempli de hautes fonctions par le passé. « Les opposants manquent de capacité à diriger. Qui va pouvoir négocier au nom du peuple avec Gaed Salah ou avec Ali Benflis s’il est élu ? Il n’y a aucun représentant de l’Hirak, déplore Mme Allouche. « Celui qui pourrait gagner des adhérents parmi la population se retrouve maintenant enfermé. »

Steve Eason (CC BY-NC-SA 2.0)

La deuxième république

Mais la question de la capacité à diriger n’est pas le problème en soi. Au contraire. Pour l’ancien directeur de la Banque nationale d’Algérie, par exemple, un mouvement de protestation signe son arrêt de mort s’il se fait représenter par quelqu’un. Amel Boubekeur pense également que le mouvement Hirak n’a pas pour mission ou ambition de proposer des représentants, de négocier ou de lancer un programme. Le mouvement Hirak est surtout présent pour exercer une pression sur le gouvernement afin qu’il accepte de lancer un processus de reconstruction institutionnelle. »

Et c’est précisément ce que l’ancien directeur de la Banque nationale algérienne avait déjà fait savoir en juin. Il trouve que la question doit être retournée. Ce n’est pas au peuple d’apporter des solutions, a-t-il alors annoncé. La population a des exigences claires. Le peuple souhaite un pouvoir formel et non informel, une économie formelle et non informelle, une armée au rôle défini par la Constitution, des services conçus pour le peuple, une situation institutionnelle capable de subvenir aux besoins futurs. C’est au système de prendre sa responsabilité et d’arriver avec des solutions. Le peuple peut les juger, car il y a un référendum chaque vendredi, déclare-t-il dans l’interview renvoyant à la protestation hebdomadaire de vendredi.

La constitution du nouvel État et des nouvelles institutions – ou ce que les Algériens appellent la deuxième république – est selon cette vision une collaboration entre les militaires et le peuple. Une première étape serait que l’armée désigne une personne ou un groupe de personnes pour définir la position de l’armée. C’est seulement après que le travail peut commencer. Cette personne ou ce groupe doit trouver un équilibre entre les différentes instances du système militaire. C’est seulement après que peut commencer le travail, raisonne l’ancien directeur de la Banque nationale algérienne.

Ce ne sont pas des partis politiques qui vont œuvrer à la reconstruction des institutions. « Ils n’interviennent plus », estime la sociologue Amel Boubakeur. « Mais si nous regardons la société civile, ce que les jeunes font pour empêcher l’organisation d’élections dans les bureaux locaux, les discussions concernant la Constitution… alors nous voyons une énergie énorme qui émane du peuple. Il y a de la créativité. La question est : comment fait-on pour rassembler les initiatives prises au niveau local ? Comment pouvons-nous les coordonner pour créer quelque chose de nouveau ? » Car la reconstruction d’une vision ou d’une idéologie va se jouer au niveau local selon la chercheuse, et c’est très difficile, ajoute-t-elle. « La transition ne peut pas avoir lieu du jour au lendemain. La transition va prendre des années. »

« La transition va prendre des années. »

« L’Algérie est dans une situation critique », affirme Yasmina Allouche de TRTWorld. « Le régime a choisi des candidats à la présidence et les a présentés. Le futur président doit parler avec le peuple et convaincre de la manière par laquelle il va redresser la situation économique. Mais comment peut-il y arriver si le peuple ne veut aucun des candidats présentés comme représentant ?, se demande-t-elle.

Les Algériens sont fiers du caractère pacifique du mouvement Hirak et de son unité. Et tant qu’il reste pacifique, aucune mesure forte comme la déclaration d’une situation d’urgence ne peut être prise.

 

 

Mais le peuple craint que la situation ne bascule. Le 27 novembre, des jeunes ont lancé des pierres sur le candidat à la présidence Benflis dans la ville de Bouira, où il faisait campagne. La peur que cela finisse mal s’infiltre et s’oppose à la ténacité de la protestation. Et c’est la dernière chose que souhaitent les Algériens. 

Steve Eason (CC BY-NC-SA 2.0)

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