Les Américains tiennent à leurs poulets au chlore et OGM

Pas question de négocier les normes européennes relatives à la sécurité alimentaire, ne cesse de marteler la Commission européenne. Il n’empêche, les Américains ne voient pas les choses du même œil. Vincent Harmsen suit de près le dossier : « Les Américains espèrent s’engouffrer dans la brèche du TTIP, le traité de libre-échange négocié actuellement entre l’UE et les Etats-Unis, dans le but de remettre sur la table des points de discussion tels que la viande aux hormones, le poulet au chlore et les OGM. »

  • Sarah Twitchell (CC BY-ND 2.0) A travers le TTIP, un traité censé revigorer une économie européenne chancelante, les Américains désirent remettre le poulet au chlore à l’ordre du jour. Sarah Twitchell (CC BY-ND 2.0)

La liberté de choix. Voilà l’argument-phare que les diplomates américains ont brandi à Bruxelles, à l’occasion du huitième cycle de négociation du traité de libre-échange transatlantique, organisé il y a deux semaines.

« Personne n’essaye de refiler des aliments nocifs à qui que ce soit », alléguait James Higgiston du département de l’Agriculture des Etats-Unis (USDA) lors d’une grande conférence (sponsorisée par le groupe Pfizer) axée autour du TTIP. « La sécurité de notre système alimentaire est avérée. Nous voulons simplement donner au consommateur le choix. » Plus tôt dans la journée, l’ambassadeur américain avait émis le même son de cloche lors du discours d’ouverture, affirmant que la viande américaine pourrait faire l’objet d’un étiquetage sur le marché européen. « Le consommateur doit pouvoir faire son choix en toute liberté. »  

« Sans fondement scientifique »

« Là où le bât blesse, c’est qu’en Europe nous avons la fâcheuse manie de refuser certains produits sans raisons scientifiques valables. Nos choix sont dictés par l’émotion. »

Mais de quel choix parle-t-on ? Eckart Guth, ambassadeur de l’UE auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) jusqu’en 2009, est bien au fait des ambitions américaines. Il a en effet négocié durant des années avec les Etats-Unis à propos des normes alimentaires. « Là où le bât blesse, c’est qu’en Europe nous avons la fâcheuse manie de refuser certains produits sans fondement scientifique valable. Nos choix sont dictés par l’émotion. Il s’agit ici de bœuf aux hormones de croissance, de poulet au chlore et d’OGM, des produits reconnus par le Codex Alimentarius (commission commune aux Nations unies et à l’OMC chargée d’élaborer des normes alimentaires internationales), dont le système repose intégralement sur des critères scientifiques. Si la nocivité d’un produit pour la santé publique n’est pas démontrée, il n’y a dès lors aucune raison d’en empêcher la commercialisation. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’OMC doit constamment remettre à l’ordre l’UE. »

Guth fait allusion aux litiges commerciaux intervenus entre l’UE et les Etats-Unis au sein de l’OMC. A titre d’exemple, l’UE avait décidé de bannir la viande aux hormones en 1996. L’OMC avait alors tranché en faveur des Etats-Unis, et statué que les hormones contenues dans la viande ne menaçaient pas la santé publique. L’UE (s’arc-boutant sur le principe de précaution) a toutefois maintenu son interdiction, à la suite de quoi les Etats-Unis ont imposé des taxes à l’importation sur les produits européens. La problématique des OGM ne date pas non plus d’hier. En 2006, l’OMC a ainsi donné raison aux Etats-Unis et jugé la procédure d’autorisation européenne trop lente. Bravant ce verdict, l’UE n’a, à ce jour, pas approuvé de nouvel organisme génétiquement modifié. 

Les Américains escomptent cependant s’engouffrer dans la brèche du TTIP, le traité de libre-échange négocié actuellement entre l’UE et les Etats-Unis, dans le but de remettre sur la table des points de discussion tels que la viande aux hormones, le poulet au chlore et les OGM. A cet égard, il faudra aussi compter sur le Congrès américain, censé approuver une version finale du traité et dont le rôle s’avère considérable. « Je pense qu’il sera très difficile de faire passer le TTIP », déclarait le sénateur républicain John Tune le 27 janvier dernier devant le comité des finances du Sénat américain, « à moins que l’on offre plus de garanties aux agriculteurs américains concernant l’autorisation des produits biotechnologiques. »

Toujours dans le domaine de l’agriculture, les Américains souhaiteraient voir progresser un autre dossier : les pesticides. Depuis 2012, l’Europe adopte en la matière une approche fondée sur les dangers (ou hazard-based approach), ce qui signifie que toute substance chimique considérée dangereuse pour la santé publique sur la base de données scientifiques solides, est formellement interdite. On comprend dès lors mieux pourquoi 82 pesticides utilisés sur le sol américain ne sont pas tolérés en Europe.

« Les Etats-Unis soulèvent régulièrement des objections à l’encontre de cette approche basée sur les dangers », explique Baskut Tancuk, chimiste et juriste au Center for International Environmental Law, une ONG basée à Washington DC. « Au sein de l’OMC, ils ne se privent pas pour critiquer, rapports à l’appui, la réglementation européenne, assimilée à une barrière technique au commerce. »

Les revendications du monde de l’industrie

« Les prises de position du monde de l’industrie convergent avec les objectifs des Etats-Unis. »

Selon Tancuk, l’industrie des pesticides (représentée entre autres par BASF, Bayer et Monsanto, des entreprises actives à la fois en Europe et en Amérique du Nord) voit dans le TTIP l’occasion idéale de faire pression avec les Etats-Unis pour contester le régime européen en matière de pesticides.

« Les prises de position du monde de l’industrie convergent avec les objectifs des Etats-Unis », poursuit-il. « C’est l’occasion rêvée de faire table rase des normes européennes. »

ECPA et CropLife America, des clubs de lobbying présents respectivement en Europe et aux Etats-Unis, ont ainsi transmis à la Commission européenne une pléthore de requêtes concernant le TTIP. Les principales ? Rayer l’approche basée sur les dangers, augmenter les quotas autorisés sur les résidus de pesticides contenus dans les fruits et légumes, et s’aligner sur le système d’autorisation des pesticides en vigueur aux Etats-Unis.

Mises en oeuvre, ces mesures entraîneraient de facto un nivellement par le bas des standards européens, selon Baskut Tancuk, notamment parce que le système américain autorise la circulation de pesticides sans contrôle effectif préalable. Tancuk estime d’ailleurs que 85% des pesticides commercialisés aux Etats-Unis ne sont pas soumis à un contrôle satisfaisant en termes de santé et de sécurité alimentaire. Une situation rendue possible en raison d’exceptions prévues par la loi qui permettent de contourner l’analyse des risques exercée par l’Agence américaine de protection de l’environnement (APE).

Les Etats-Unis et l’industrie agro-alimentaire comptent justement sur le TTIP pour que ces mesures deviennent réalité. La détermination de la Commission européenne à résister, contre vents et marées, ne fait cependant aucun doute. N’est-ce pas ?

Eckart Guth émet à ce titre d’importantes réserves. « L’UE exporte principalement des produits raffinés à destination des Etats-Unis. Vin, spiritueux, fromage et jambon par exemple. Les Etats-Unis, en revanche, exportent surtout des produits en vrac comme le fourrage, les céréales, la viande de bœuf et la viande de poulet. Il s’agit là de plusieurs domaines de prédilection des Etats-Unis, où ils se montrent très compétitifs. Or, on s’aperçoit que ces produits stratégiques se heurtent à la barrière de la réglementation européenne. Raison pour laquelle l’Europe devra bien finir par faire un pas de côté au niveau des OGM, des poulets ou encore de la viande de bœuf. Dans le cas contraire, la perspective d’un accord de traité s’éloignerait. »

Principe de précaution vs approche fondée sur les risques

En matière de protection de l’homme et de l’environnement, les systèmes américain et européen divergent sensiblement. Alors que les Etats-Unis adoptent une « approche fondée sur les risques », l’UE s’appuie, quant à elle, sur le « principe de précaution ». En bref, le fossé qui sépare les deux systèmes concerne la charge de la preuve. Ainsi, une approche fondée sur les risques part du principe qu’un produit est conforme aux normes de sécurité tant que le contraire n’est pas démontré. Le principe de précaution, lui, inverse la charge de la preuve : interdiction d’avaliser un produit dont la sécurité n’aurait pas été établie sur la base de critères scientifiques préalables. Outre les Etats-Unis, la commission du Codex Alimentarius commune aux Nations Unies et à l’OMC favorise également l’approche fondée sur les risques.

Agir dans l’ombre

Mais comment infléchir le cours de négociations soumises aux projecteurs de l’opinion publique, et dont le moindre changement de cap serait aussitôt dénoncé à cor et à cri par les ONG ? En agissant dans l’ombre, si l’on en croit Eckart Guth.

« Je constate que l’UE a déjà ouvert la voie aux OGM, en décidant récemment de déléguer les mesures d’autorisation aux Etats membres. Difficile de dire si le TTIP y est pour quelque chose, et c’est là tout l’avantage : l’introduction de telles mesures ne peut pas laisser transparaître les pressions exercées par un autre pays car cela pourrait les compromettre. Au lieu de quoi, il faut donner l’impression que ces décisions bénéficient d’une pleine légitimité et ont été prises de manière totalement indépendante. »

L’évolution du dossier OGM rappelle à Guth les années 80 et 90, lorsqu’il officiait comme négociateur de l’UE dans le cadre du Cycle Uruguay organisé par l’OMC. « On avait affaire à une situation semblable, à la seule différence que les négociations portaient sur la politique agricole commune de l’UE. Comme celles-ci patinaient, il a fallu les faire avancer. Comment ? En adaptant la PAC. Pour des raisons politiques, nous avions pris cette décision sous prétexte qu’elle nous serait favorable, alors qu’en réalité nous ne faisions que nous plier aux exigences internationales. Un tel scénario pourrait se répéter avec le TTIP, car c’est l’une des pistes possibles pour redynamiser le dossier.

La Commission Juncker s’est par ailleurs engagée à fournir une nouvelle proposition relative à la procédure d’autorisation visant les OGM d’ici à l’été. Entretemps, les négociations autour du TTIP ont connu un coup d’accélérateur.

Article traduit du néerlandais par Julien-Paul Remy.

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