Le monde s'en prend au corps des femmes

Aux quatre coins du monde, le corps féminin suscite débats idéologiques et conflits sanglants. Julie Reniers dissèque pour vous six cas précis.

‘Mieux vaut ne plus avoir de clitoris que plus de famille’

En Belgique, il y a environ 14 000 femmes ayant été victimes de mutilation génitale. La mutilation génitale féminine (MGF) est la plus cruelle des formes d’excision qui soit. Elle implique l’ablation totale ou partielle du clitoris et des petites lèvres. Généralement, elle entraîne une vie de douleurs et d’infections pour ses victimes.

MARVI LACAR via vimeo

Une pression énorme pèse sur les parents pour qu’ils excisent leurs filles. Même sur les familles installées depuis longtemps en Belgique.

Comment se peut-il qu’une telle pratique existe encore aujourd’hui ? Sophie Forrez est juriste chez Intact, une organisation qui vient en aide aux filles et aux femmes de Belgique qui ont été ou risquent d’être victimes de MGF. D’une part, Intact essaye d’entrer en contact avec les parents qui envisagent toujours d’exciser leur fille et, d’autre part, elle soutient les femmes venues demander l’asile en Belgique de crainte d’être victime de MGF.

‘Bien sûr, nous sommes des spectateurs extérieurs, mais nous entendons la pression énorme que certains ressentent, malgré le fait qu’ils résident depuis longtemps en Belgique. Beaucoup de mythes circulent : s’il n’est pas excisé, le clitoris continuera à grandir et se transformera en pénis, les femmes non-excisées sont incapables de se concentrer, elles sont maladroites ou encore mauvaises à l’école. Elles ont grandi avec ces idées.’

Mais, puisque les mères sont elles-mêmes excisées, elles ont conscience de ce qu’elles infligent à leurs filles, non ? ‘Quand bien même, elles préfèrent souvent faire ce choix, pour continuer à appartenir à la communauté. Dans leur pays d’origine, la communauté est extrêmement importante, elles ne peuvent bien souvent pas survivre toutes seules. De plus, la douleur est souvent associée à la féminité, comme les douleurs menstruelles chez nous.’

Sepur Zarco : une lueur de justice au Guatemala

1982, Guatemala. Un régime militaire soutenu par les USA dirige le pays. À Sepur Zarco, un petit village du nord-est, vit une communauté d’indigènes mayas q’eqchi’s. Quand quelques hommes du village revendiquent les droits officiels sur les terres que leur peuple occupe depuis des siècles, ils sont enlevés par des soldats de la base militaire locale. Ces hommes ne reviendront jamais, à l’inverse des soldats : ils forcent les femmes et les filles du village à devenir des esclaves domestiques et sexuelles.

2016. Le tribunal prononce un verdict favorable pour onze des femmes q’eqchi’es de l’époque. Deux militaires sont condamnés à un total de 360 ans d’emprisonnement pour leurs actes commis il y a 34 ans. Carla Sandoval, une Guatémaltèque travaillant pour l’ONG Le Monde selon les femmes, qualifie ce jugement d’historique.

‘Le pays est encore empreint de machisme ; nulle part ailleurs, ou presque, ne sont assassinées autant de femmes qu’ici.’

‘Pendant la guerre civile, l’État militaire utilisait systématiquement le viol comme une arme, et ce dans l’ensemble du pays, mais plus particulièrement dans les régions peuplées de groupes indigènes, qui vivaient sur des terres fertiles. Depuis les accords de paix de 1996, nous avons progressé, mais le pays est encore empreint de machisme ; nulle part ailleurs, ou presque, ne sont assassinées autant de femmes qu’ici.’

‘D’habitude, notre système juridique défend les intérêts de l’élite, pas ceux du peuple, des populations indigènes et encore moins ceux des femmes indigènes. Ce jugement nous redonne de l’espoir. Il prouve que même au Guatemala, l’État de droit peut fonctionner. Ces femmes et leurs avocats sont des exemples de courage et de persévérance.’

Femen, ces féministes qui plaisent surtout aux hommes

L’année passée, elles simulaient une pendaison sous un pont de Paris, à l’occasion de la visite du président iranien. En 2013, elles s’étaient jetées sur Poutine et Merkel à Hanovre. En 2012, elles manifestaient dans la neige de Stockholm contre la nouvelle constitution égyptienne. Toujours seins nus.

Femen (CC BY-SA 2.0)​

‘Femen est une interprétation très blanche, néocoloniale et limitée de l’activisme. Elles parlent à peu de femmes, même aux femmes féministes,’ analyse Sofie Van Bauwel, professeure genre et média à l’UGent.

Les activistes de Femen se lancent à corps demi-nu dans l’espace public pour que les médias relayent leurs messages. Et ça fonctionne ; leurs actions attirent invariablement les photographes de presse. Le groupe né en Ukraine a élu domicile à Paris et des filiales ont vu le jour un peu partout dans le monde. Sur leur site internet, les Femens décrivent leur philosophie comme du sextrémisme : ‘la sexualité féminine qui se rebelle contre le patriarcat, incarnée par des actions politiques extrêmes.’

‘C’est une interprétation très blanche, néocoloniale et limitée de l’activisme.’

Cette approche n’englobe toutefois pas toutes les femmes. Jusqu’où le féminisme de Femen va-t-il exactement ? Sofie Van Bauwel, professeure genre et médias de l’UGent : ‘Le fait qu’elles se revendiquent féministes nous oblige à le leur accorder, en partie. Je constate pourtant que ce sont surtout les hommes qui apprécient ces actions bien sympathiques et que plus d’articles sont consacrés aux seins exposés qu’à leur message.’

‘C’est une interprétation très blanche, néocoloniale et limitée de l’activisme. Elles parlent à peu de femmes, même aux femmes féministes. Les activistes de Femen utilisent leur corps comme objet du désir, elles s’adressent donc une fois de plus au regard patriarcal de l’homme. Qui plus est, une rumeur circule sur des règles strictes déterminant qui peut participer. Ce sont toujours de belles jeunes femmes. Femen est une marque plus qu’un mouvement.’

Frapper sa femme, un acte politique ?

Au début de cette année, la Douma (le parlement de Russie) a approuvé une nouvelle loi proclamant que la violence domestique n’est dorénavant plus un crime condamnable. Autrement dit, celui qui lève la main sur son épouse ou ses enfants s’exposera à une amende, mais plus à peine de prison. La proposition émanait de la parlementaire Elena Mizulina, qui estime que dans ces cas, l’emprisonnement est néfaste pour les familles et renie les valeurs traditionnelles. Elena Mizulina était déjà à l’origine de la controversée loi contre la “propagande homosexuelle”.

EP / Pietro Naj-Oleari (CC BY-NC-ND 2.0)​

 

La loi n’attend plus que la signature du président Poutine. D’après The Economist, la Russie en devient le troisième pays d’Europe et d’Asie centrale à ne pas pénaliser les violences domestiques. Se basant sur des statistiques du gouvernement, The Moscow Times écrit que chaque jour, 36 000 femmes sont battues par leur partenaire en Russie.

La même tendance à la dépolitisation de la violence conjugale s’observe aussi aux États-Unis. La sociologie emploie le terme médicalisation. Les abus domestiques sont considérés comme un symptôme d’une maladie et plus comme un acte criminel. L’attention se concentre sur les blessures de la victime et sur sa guérison en tant que patient ; l’auteur des faits importe peu. Chaque cas est un cas isolé, chaque individu peut être aidé avec des pilules adaptées.

Les chercheurs avertissent que cette tendance compromet une vision plus large des structures sociales dans lesquelles les faits s’inscrivent et éclipse la possibilité d’une réelle solution au problème. Le Center for Disease Control a évalué que chaque année, 4,8 millions de femmes américaines sont victimes de violence conjugale.

Marche noire en Pologne

En octobre, plus de cent mille femmes sont descendues dans les rues de Pologne, vêtues de noir. Elles manifestaient leur indignation contre une proposition de loi pénalisant l’avortement. Depuis la chute du communisme en 1989, la Pologne n’avait pas connu de manifestation de l’ampleur de la czarny protest, la marche noire. Les femmes l’emportèrent, la loi n’alla pas plus loin que le parlement.

Iga Lubczańska (CC BY 2.0)​

 

Nous sommes en 1989. L’Église catholique polonaise a toujours été une alliée dans la lutte contre le communisme. À la chute de ce régime, elle est récompensée de ses efforts. En 1993, le gouvernement abroge la loi libérale en vigueur : à partir de ce jour, l’avortement n’est plus autorisé qu’en cas exceptionnel.

La proposition de loi de 2016 visait non seulement à annuler ces exceptions, mais aussi à introduire une peine de cinq ans d’emprisonnement pour les femmes et les médecins pratiquant l’avortement.

L’un comme l’autre sont des conséquences du vent conservateur soufflant sur la Pologne. Depuis 2015, le parti populiste de droite Prawo i Sprawiedliwość (PiS, “Droit et justice”) siège au parlement et à la présidence du pays. L’autoritaire président du parti Jarosław Kaczyński prédit la “contre-révolution conservatrice” : pour les valeurs traditionnelles, contre les libertés individuelles.

‘La marche noire fut la première manifestation de cette ampleur de l’opposition des Polonais contre le régime,’ analyse Jacek Kucharczyk de l’Institut des affaires d’État. ‘Beaucoup d’électeurs de PiS n’avaient pas prévu que leur parti irait si loin. Cela dit, les femmes polonaises n’ont pas encore gagné : Jarosław Kaczyński et les siens tenteront d’atteindre leur objectif via d’autres moyens.’

Sois forte, femme : achète nos vêtements

Le féminisme, c’est cool, l’émancipation, c’est trendy. Une marque pakistanaise d’habillement a organisé l’année passée un flash-mob à Lahore, sur le thème “les femmes font ce qui leur plaît”. En Europe et aux USA, H&M a lancé à la même époque un spot publicitaire montrant des femmes de tout âge, couleur et taille, avec pour slogan “She’s a lady”.

La BBC rapporte que la marque pakistanaise, cible d’un flot de critiques des camps conservateur et féministe, a fini par annuler sa campagne sur internet. L’initiative d’H&M lui valut au contraire des applaudissements.

‘Il s’agit bien entendu d’une forme très étriquée de féminisme de la classe moyenne. Ce n’est pas une raison suffisante pour la rejeter d’emblée.’

‘Avec le pull adéquat, devenez une femme forte’ : cela veut-il dire que l’émancipation est établie, puisqu’un message du cru peut rapporter de l’or ? Ou, au contraire, ce type d’affirmation décrédibilise-t-elle l’ensemble du mouvement féministe ? Sofie Van Bauwel : ‘Un peu des deux. D’une part, ces campagnes rendent le féminisme positif aux yeux du plus grand nombre, qui ne le perçoit plus comme ce mouvement de “femmes de mai 68 qui luttaient pour des droits acquis depuis longtemps”. D’autre part, le département marketing d’une marque aussi importante ne donnerait jamais le feu vert s’il n’existait pas déjà un public, ce n’est donc rien de plus qu’une affaire capitaliste.’

De plus, H&M et associés paient un salaire de misère aux femmes fabriquant leurs vêtements au Bangladesh, en Chine ou en Turquie. Qu’est-ce que cela trahit de leur position ? ‘Il s’agit bien entendu d’une forme très étriquée de féminisme de la classe moyenne. Ce n’est toutefois pas une raison suffisante pour rejeter d’emblée ses actions. Être vendeur n’est pas mauvais en soi : cela ouvre le débat, apporte des idées à un public plus large.’

Cet article est paru en néerlandais dans le dernier numéro de MO*magazine. Abonnez-vous ici pour 28 € seulement !

Traduction : Marie Gomrée

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