Small is beautiful ? De Croo épargne sur la coopération au développement

‘Tous les secteurs publics doivent faire des économies. Logiquement, la coopération au développement n’y échappe donc pas,’ déclare le ministre Alexander De Croo. Il comprend que les restrictions sont difficiles à mettre en place, mais y voit également une occasion de se réinventer, d’être plus innovant. ‘C’est fini de compter sur nos béquilles,’ annonce-t-il dans une entrevue accordée à MO*.

  • CC Andrea Moroni (CC BY-NC-ND 2.0)​ CC Andrea Moroni (CC BY-NC-ND 2.0)​
  • CC UNMEER / Pierre Peron (CC BY-ND 2.0)​ CC UNMEER / Pierre Peron (CC BY-ND 2.0)​

Le 24 janvier, Alexander De Croo a formulé ses vœux pour la nouvelle année lors de la fameuse réception de l’Agence belge de développement (CTB), principal volet exécutif de la politique de développement en Belgique. Responsables d’ONG, universitaires impliqués dans les question de développement, hauts fonctionnaires, partenaires, etc : le Tout-Développement est là (en français dans le texte).

Ce fut un long discours – trop long, le ministre lui-même s’en est rendu compte – et il ne fut pas évident d’en faire un discours marquant. En effet, après plus de deux ans au gouvernement, l’époque des annonces de révolution politique est révolue et l’effet des nouvelles décisions reste trop limité pour pouvoirs impressionner avec des résultats – à moins de prendre en compte les autocongratulations formulées lors de conférences et autres plateformes internationales. Une large part de l’audience n’y était décidemment pas encline, à en croire les conversations échangées durant la réception qui suivit.

Arrêtons de toujours pester sur la quantité d’argent dépensée en coopération au développement et concentrons-nous sur les résultats de cet investissement.

Le discours de nouvelle année se conclut sur l’annonce du changement de nom de la CTB. À partir du 1er janvier 2018, il faudra parler de Enabel, à prononcer à l’anglaise, comme enable, pour permettre, soutenir, renforcer. Reste à voir si le ministre parviendra à porter ce subtil jeu de mot de part et d’autre de la frontière linguistique… À en juger par les réactions d’indifférence du public, la question ne paraît pas si cruciale.

Une petite phrase de ce long discours en concentre avec justesse l’essence et déterminera les conversations des semaines à venir. Cette phrase disait quelque chose comme : arrêtons de toujours pester sur la quantité d’argent dépensée en coopération au développement et concentrons-nous plutôt sur les résultats de cet investissement dans la vie des gens et dans les pays concernés.

35 % d’économie, un “gain en efficacité” ?

Si l’espoir et l’excitation n’étaient pas au rendez-vous en cette réception 2017, c’est entièrement la faute aux restrictions budgétaires imposées à la coopération au développement, dont les conséquences au niveau du fonctionnement et des projets des divers acteurs dans la salle sont d’ores et déjà palpables. La CTB, organisatrice de l’événement, se serre la ceinture depuis plusieurs années, à la suite d’économies budgétaires et de la vile manœuvre introduite en son temps par Johan Vande Lanotte au ministère du Budget : la sous-utilisation. Après le deuxième contrôle budgétaire, les dépenses furent gelées pour que les moyens budgétisés, économies comprises, ne puissent être totalement dépensés. Le gouvernement actuel a refondu cette politique de double râpe (à fromage) en une double guillotine structurelle.

La CTB doit économiser sur trois de ses projets dans le Nord : Annoncer la Couleur, Infocycle et Trade for Development Centre.

Dans une lettre du 31 octobre adressée au conseil d’administration de la CTB, le ministre lui demandait explicitement d’économiser en 2017 sur trois de ses projets dans le Nord : Annoncer la Couleur, Infocycle et Trade for Development Centre. Dans sa lettre, Alexander De Croo décrit les économies en question comme des “gains en efficacité”. Pourtant, si les économies atteignent l’année prochaine leur vitesse de croisière, elles représenteront 2,5 millions d’euros de moins pour un budget total annuel de 7 millions d’euros (en 2016, le budget s’élevait initialement à 7,6 millions, dont moins de 6,5 millions furent finalement dépensés).

Quand on lui demande si des économies de près de 35 pour cent relèvent toujours de “gains en efficacité” et s’il n’aurait dans ce cas pas mieux fait d’indiquer à la CTB les aspects superflus de ses missions dans le Nord, le ministre De Croo commence par citer un montant différent. D’après lui, les programmes mis en place par la CTB dans le Nord bénéficient d’un budget annuel commun de 13 millions d’euros. Alexander De Croo devait confondre le budget annuel total des programmes “Nord” de la CTB avec les budgets pluriannuels d’Annoncer la couleur ou de Trade for Development, s’élevant tous deux en effet à 13 millions d’euros, pour 2014-2019 et 2014-2017 respectivement.

Le marché l’emporte sur le monopole

Alexander De Croo : ‘Mon core business, c’est faire la différence sur le terrain, non pas dans les écoles de Belgique, mais dans le Sud. Pour davantage promouvoir la citoyenneté du monde en Belgique, nous devons être plus innovants dans nos investissements. Parfois, il me semble que les TED talks de Hans Rosling atteignent et changent plus de monde que toutes les campagnes de sensibilisation jamais ficelées chez nous.’

L’avenir du secteur dépend plus de la logique du marché que de l’initiative publique, selon De Croo.

Le ministre remet en question l’utilité des programmes du Nord de la CTB, à l’exception notable de Trade for Development. Dans le cadre étatique belge, la formation et la sensibilisation incombent aux communautés, rappelle Alexander De Croo. Si cette responsabilité devait revenir aux pouvoirs publics, ce serait aux différents ministères de l’Éducation de prendre l’initiative. Cela dit, le ministre estime qu’à l’avenir, le secteur devrait plutôt s’en remettre à une logique de marché qu’à l’initiative des pouvoirs publics.

Est-il cependant raisonnable de saper, voire de détruire, une initiative déjà existante, tel l’Infocyle – qui forme chaque année un millier de personnes – quand une offre similaire n’existe nulle part ailleurs ? Alexander De Croo : ‘Pour les universités et les hautes écoles, il n’est tout de même pas bien compliqué de regrouper la connaissance et les compétences dont elles disposent dans une offre de formation ouverte, si ? S’il leur fallait deux ou trois ans pour l’organiser, je serais extrêmement déçu des institutions d’enseignement de ce pays. J’attends d’elles plus de créativité et d’innovation face à des opportunités nouvelles.’

À mon avis, il est utile que les jeunes suivent une formation sur la problématique du développement international et les objectifs du développement durable.’

Le 15 février, le minsitre a précisé sa position devant la commission Coopération au développement de la Chambre : ‘Attention, qu’il n’y ait pas de malentendu sur ce point ! Je pense qu’il est utile que les jeunes suivent une formation sur la problématique du développement international et les objectifs du développement durable. À l’avenir, je souhaite continuer à les y encourager et même participer au financement. Je pense que ces jeunes devraient pouvoir choisir eux-mêmes où ils suivent ces formations. Mon administration pourra évidemment compiler une liste des programmes de formation de qualité. Les gens intéressés par une formation pourront ensuite choisir parmi cette liste.’

Els Van Hoof (CD&V) et Rita Bellens (N-VA) s’alignent à la logique de restrictions et de réforme du ministre, tandis que Wouter De Vriendt (Groen) et Gwenaëlle Grovonius (PS) s’y opposent fermement. Wouter De Vriendt : ‘Je ne comprends pas pourquoi, quand un de leurs aspects peut être amélioré, les programmes doivent être sanctionnés et voir leur budget diminué.’

D’après Gwenaëlle Grovonius, c’est un cercle vicieux : ‘Si l’on diminue les budgets destinés à la sensibilisation de la population à la coopération au développement, de moins en moins de citoyens auront conscience des enjeux, et en définitive, ils seront de moins en moins nombreux à soutenir les investissements et les projets de ce département.’

CC UNMEER / Pierre Peron (CC BY-ND 2.0)​

 

Appuyer où ça fait mal

Le 7 février, la nouvelle des restrictions budgétaires opérées dans leurs programmes a été communiquée aux “acteurs de la coopération non-gouvernementale” (ACNG).

Au total, les ONG recevront pour la période 2017-2021 minimum 136 millions d’euros de moins que demandé.

Les ONG, le secteur universitaire de la coopération, l’Institut de médecine tropicale et de nombreux autres acteurs “institutionnels” avaient jusqu’ici échappé aux mesures draconiennes imposées depuis 2015 par le gouvernement au budget de la coopération au développement. Cette même année, 327 millions d’euros ont été épargnés sur le budget de la coopération au développement, peut-on lire dans le rapport annuel de 11.11.11.

La nouvelle période négociée entre le gouvernement et les ONG, concernant les programmes entre 2017 et 2021, met un terme à cette “préservation”. Au total, les ONG recevront pour cette période minimum 136 millions d’euros de moins qu’elles n’en avaient fait la demande. Le ministre rappelle qu’il ne s’agit pas uniquement d’économies, mais aussi d’une demande excédant de 27 pour cent les sommes disponibles.

En revanche, les restrictions ne touchent pas en premier lieu les organismes qui en demandaient “trop”. Aux économies structurelles s’ajoutent cette année 14 millions de “participation de la part des ONG” aux 120 millions d’économies du budget approuvé.

‘Nous vivons à une époque où tout le monde doit faire des économies,’ réagit Alexander De Croo quand on lui demande s’il a suffisamment défendu son budget. ‘Tous les secteurs publics doivent faire des économies. Logiquement, la coopération au développement n’y échappe donc pas.’

Les ONG font preuve de prudence dans leurs réactions aux économies pourtant sévères annoncées concrètement à chaque organisation ce 7 février. Contrairement à ce qu’imagine le ministre, cette circonspection ne témoigne pas d’un sentiment de solidarité allant de soi. ‘Il est évident que les restrictions budgétaires [appliquées à la coopération au développement] auront des conséquences tangibles pour les personnes sur le terrain,’ conclut le rapport annuel de 2015.

Si les directions s’étaient préparées à la nouvelle, des voix en colère, où point une profonde déception, résonnent dans les couloirs.

Ce qui pourrait expliquer le calme apparent du secteur, c’est que les ONG ont eu la possibilité de négocier les mesures annoncées avec le ministre compétent ; pour certaines, le résultat final est d’ailleurs moins grave qu’elles ne le craignaient. De plus, les directions s’y étaient préparées.

Dans les voix qui résonnent le long des couloirs, on ne perçoit pas qu’une légère grogne, mais aussi de la colère et une profonde déception. Surtout quand le ministre présenta 35 millions d’économies supplémentaires, ‘imposées par le gouvernement’, après l’annonce des économies structurelles. De ces 35 millions, 17 sont pour le compte des ACNG.

Aux économies imposées aux ACNG ont précédés un large screening (du grand bureau de consultance Deloitte) et une tentative à l’échelle du secteur de mieux coordonner entre eux les programmes divers et variés. Ces deux étapes ont requis un investissement considérable de moyens et de temps. Malgré cet effort, la plupart des ONG peinent à voir un lien entre leur résultat au screening et l’octroi final de subsides. Des soupçons que dément Alexander De Croo.

Le déplacement demandé des moyens en faveur des pays les moins avancés (PMA) – l’un des fers de lance du ministre actuel – était lui aussi plus visible dans les demandes de subsides des ONG que dans ceux effectivement octroyés.

Acteurs importants et moyens dérisoires

Depuis, les différentes organisations s’évertuent à traduire la diminution substantielle de subsides par la suppression de projets, d’activités et d’emplois. Pour 11.11.11, les économies signifient la perte d’un million d’euro pour le programme des cinq prochaines années, à rogner dand ses coûts de fonctionnement. Tant en Belgique que dans le Sud, des emplois et des projets devront en payer le prix fort. Pour les Îles de Paix, les restrictions totales pour cette année s’élèvent à environ vingt pour cent des subsides demandés ; pour Broederlijk Delen, treize pour cent ; pour Solidarité Mondiale, le bilan reste plutôt stable, mais son programme Nord devra s’en tirer avec vingt pour cent de moins que prévu. Pour Wereldmediahuis, l’éditeur de MO*, ce sont seize pour cent des subsides demandés qui iront contribuer aux économies.

Les conséquences sur nos collaborateurs et programmes dans le Sud sont notre première inquiétude, déclare Lieve Herijgers de Broederlijk Delen.

Pour la majorité des ONG, les conséquences concrètes des restrictions, notamment sur leurs collaborateurs et programmes dans le Sud, sont encore vagues. ‘C’est pourtant là que vont nos premières inquiétudes,’ déclare Lieve Herijgers de Broederlijk Delen. André Kiekens, de Solidarité Mondiale : ‘À l’avenir, nous devrons financer nous-mêmes la Campagne Vêtements Propres ; elle est trop importante pour être enterrée avec les économies.’

‘Quoi qu’il arrive, les ACNG restent le principal canal pour la coopération au développement en Belgique. Surtout pour ce qui touche à notre priorité pour les pays les moins avancés et les États fragiles,’ insiste Alexander De Croo. Certains des acteurs du secteur s’activent à réduire ou à annuler totalement la coupe des budgets en cherchant d’autres sources de revenus. Pour autant, personne ne souhaite donner l’impression que les économies ne sont pas douloureuses et qu’elles sont naturellement source de créativité et d’une dynamique nouvelle.

‘Pour l’ensemble de la coopération au développement en Belgique, le couteau remue déjà depuis longtemps dans la plaie. Aujourd’hui, ce couteau a entamé la chair,’ exprime Bogdan Vanden Berghe, qui en tant que directeur de 11.11.11 est également le principal porte-parole du Mouvement Nord-Sud en Flandre.

Selon Bogdan Vanden Berghe, la critique constante dirigée contre les restrictions budgétaires et contre l’abandon manifeste de l’ambition de consacrer 0,7 pour cent du PIB à la coopération au développement ne témoignent pas d’un mécontentement pour l’argent octroyé, sinon d’une inquiétude quant aux effets futurs de ces mesures.

‘Il est illusoire de penser qu’avec moins de moyens, nous obtiendront de meilleurs résultats. Aujourd’hui, le changement climatique, la crises des réfugiés, l’ensemble des Sustainable Development Goals, … ne font que complexifier nos défis. Et c’est maintenant que nous devrions faire plus avec moins ?’

CC Andrea Moroni (CC BY-NC-ND 2.0)​

 

La coopération au développement belge érigée en exemple

Le ministre De Croo connaît la rengaine et en a marre. ‘Souvent, j’ai l’impression que le budget est le seul sujet de conversation tandis que son impact réel reste hors champ. Aujourd’hui, la Belgique donne le ton dans le domaine de la Digitalisation pour le Développement (D4D). Elle figure parmi les leaders mondiaux en matière d’investissement dans l’innovation, entre autres avec son Humanitarian Impact Bond. Aux côtés des Pays-Bas, nous sommes parmi les premiers au monde à défendre la santé sexuelle et reproductive des femmes : nous avons décidé de ne pas nous contenter de critiquer les décisions américaines négatives pour ce point mais de nous manifester et d’agir. Au niveau international, nous faisons partie du groupe de tête en matière de priorité accordée aux PMA. Je refuse de continuer plus longtemps à fournir des béquilles aux ACNG. Nous devons être plus créatifs et nous défaire de nos vieilles habitudes de travail.’

‘Je refuse de continuer plus longtemps à fournir des béquilles aux ACNG. Nous devons être plus créatifs et nous défaire de nos vieilles habitudes de travail.’

Ce que le ministre oublie ici de mentionner, c’est que des programmes vont effectivement disparaître et qu’il n’y aura guère plus de place pour l’élaboration et le lancement de nouveaux programmes. La suspension de la coopération avec le Burundi menace de devenir définitive ; quant à la coopération au Congo, elle aussi déplore la suppression de projets pourtant négociés avec les pouvoirs publics sur place.

Il ne mentionne pas non plus que, depuis son entrée en fonction, le budget dont il dispose pour ses propres intitiatives politiques est passé de 5 à 35 millions, même si lui aussi doit faire face à une sous-utilisation budgétaire imposée. Nous pouvons y voir une “preuve” que celui qui veut faire plus et mieux a inévitablement besoin de moyens pour y parvenir. Pour sa part, le ministre l’a bien compris.  Il essaye toutefois de convaincre tous les autres acteurs – les ACNG, les agences exécutives, les organisations multilatérales et les acteurs bilatéraux – qu’obtenir plus de résultats avec moins de moyens, c’est possible.

Traduction : Marie Gomrée

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