Dossier Belliraj: Un seul homme connaît toute la vérité

La représentation officielle des services secrets marocains à Bruxelles a fermé boutique depuis plusieurs mois. La collaboration ne fonctionnait déjà plus depuis un certain temps entre le Maroc et la Belgique, l’éclatement de l’affaire Belliraj est venue complètement pourrir la situation au sein des services de renseignements des deux pays. Alan Winants, le patron de la Sécurité belge, estime que « cela ne peut que mener à la faillite ».

En date du 27 juillet 2009, Abdelkader Belliraj a été condamné par le tribunal de Salé (Maroc) à la prison à vie. La justice marocaine a considéré qu’il était établi que ce Belgo-marocain (soupçonné d’être un informateur des services de renseignements belges) avait commis six meurtres, qu’il avait clandestinement fait entrer des armes au pays, qu’il était impliqué dans un trafic de blanchiment d’argent et qu’il était à la tête d’un réseau terroriste.
Le magazine MO* s’est plongé pendant trois mois dans le dossier Belliraj, a assisté au procès marocain, s’est entretenu avec des dizaines d’acteurs autour de l’affaire et a réussi à dénicher des documents que personne encore n’avait pu lire sur ce dossier.

Gentleman’s agreement


Le 9 octobre 1971, Abdelkader Belliraj, alors âgé de seulement 14 ans, décide de quitter sa ville natale de Nador pour s’installer à Bruxelles où son père Mimoun travaillait pour une usine de verrerie dénommée Durobor. A cette époque où des milliers de Marocains venaient tenter leur chance en Belgique, le Maroc décide de créer de nouveaux départements de services secrets. En réponse à une attaque contre le Boeing du roi Hassan II en 1973, le DGED (Direction Générale des Etudes et de la Documentation) et la DGST (Direction Générale de la Surveillance du Territoire) ont été mises en place.
En Belgique, tant la DGED que la DGST marocaines entretenaient de bonnes relations avec la Sûreté de l’Etat dirigée à l’époque par Albert Raes. Les différents services de renseignements avaient conclu un gentleman’s agreement: la Sûreté belge surveillait les ‘comportements excentriques’ de la communauté marocaine sur son territoire, en échange la DGED marocaine informait les Belges s’il y avait des menaces en cours contre l’ordre public en Belgique et au Maroc.
Pour l’Etat belge, c’est le jeune inspecteur André Jacob qui était chargé du maintien des contacts avec les autorités marocaines. La coopération se passait très bien, la Belgique échangeait de manière structurée des informations avec le Maroc en fournissant notamment des renseignements sur les opposants au roi Hassan II ou son régime.

 

Fructueuse coopération


Abdelkader Belliraj était à cette époque un total inconnu. Le jeune marocain avait fait ses études à Braine-Le-Comte et à La Louvière pour finalement décrocher en 1980 un diplôme en électricité industrielle. Puis, il se marie avec Karima Nasseri et commence à travailler comme électricien pour le géant de l’acier aux Forces de Clabecq.
Dans les années quatre-vingt, les contacts entre la Sûreté belge et la DGED s’intensifie. La DGED joue même, au nom de Hassan II, un rôle de médiateur dans les relations parfois difficiles entre le roi Baudouin et le Président zaïrois Mobutu.
Cette fructueuse coopération des services de renseignements belgo-marocains a été encore plus évident lorsqu’en 1989 Albert Raes, le patron de la Sûreté belge, a officiellement été décoré par le Maroc en recevant l’attribution de l’ordre d’Ouissam Alaouite. Cette décoration militaire est attribuée par le roi aux personnes civiles ou militaires en faveur des services rendus pour l’Etat marocain.
Raes devait sa distinction au rôle qu’il a joué dans le cadre d’une initiative conjointe maroco-algéro-belge au sujet du Polisario qui milite pour l’indépendance du Sahara occidental. Plus tard, Raes recevra même une proposition pour devenir consul honoraire pour le Maroc, une fonction que l’ancien chef de la Sûreté belge occupe encore à ce jour.

 

Profil chiite


C’est précisément pendant cette période de bonne coopération entre la Belgique et le Maroc que le fameux Abdelkader Belliraj entre en scène. Depuis le début des années quatre-vingt, la Sûreté belge avait déjà fiché Belliraj comme étant un extrémiste islamiste pro-iranien et un opposant au roi du Maroc.
Belliraj avait été observé par les services en 1986, 1988, 1990, 1993 et 1999 lorsqu’ils s’intéressaient surtout au profil chiite de l’opposant marocain. La montée du chiisme au sein de la communauté marocaine de Belgque, traditionnellement sunnite, était un phénomène typiquement belge.
Après le renversement du régime du Shah en Iran pendant la révolution islamique de 1979, des centaines de Marocains en Belgique s’étaient “convertis” au chiisme car ils voyaient un parallèle évident entre le régime du Shah et celui de Hassan II et ils espéraient que le même scénario se répète au Maroc. Un développement qui avait été suivi avec un grand intérêt par les services belges.

 

El Palesto


La cellule antiterroriste belge avait également accroché au profil de Belliraj. ‘Son surnom était El Palesto chez nous parce qu’il était très attaché à la cause palestinienne’ , se souvient un inspecteur de la Police fédérale belge qui a suivi Belliraj depuis plus de vingt ans. ‘Ensuite, nous l’avons retrouvé dans le mouvement chiite. Belliraj était connu de tous. Nous l’avons effectivement approché mais finalement pas recruté car c’était trop compliqué et nous n’avions pas le budget’.
‘Je confirme que j’ai été approché en 2000 par les services de renseignement belges qui m’ont demandé de travailler pour eux et les aider dans certains dossers liés au terrorisme’, déclare Belliraj lors de sa seconde audition auprès du juge d’instruction marocain Chentoufi. ‘Je leur ai répondu que je les aiderai si je découvre des choses sensibles qui pourraient constituer une menace pour la sécurité de l’Etat. J’ai de temps en temps rencontré un certain Patrick, agent de la Sûreté, mais la collaboration ne s’est pas faite pour de l’argent en contrepartie’.
Le fait que Belliraj était un informateur de la Sûreté belge fera l’effet d’une bombe par la suite. Les services de renseignement savaient-ils vraiment avec qui ils étaient en train de collaborer ? D’autres sources bien informées expliquent au contraire que Belliraj a fourni des informations ‘extrêmement précieuses’ afin de déjouer des attentats terroristes, notamment en Grande-Bretagne.

 

graves tensions


Le 16 mars 2003 se produit le “11 septembre marocain”: des attentats suicides à Casablanca provoquent la mort de 33 personnes. Immédiatement après ces attentats terroristes, une rumeur court selon laquelle les auteurs auraient été formés en Belgique et qu’ils avaient tout préparé depuis la Belgique.
Le gouvernement belge demande rapidement à la Sûreté de vérifier l’information tandis qu’André Jacob se rend, en compagnie d’un collègue des services de renseignement français, à Rabat. Très vite, il leur est apparu que l’hypothèse belge était fausse. Différentes versions circulent sur ce qu’il s’est effectivement passé lors de la visite de Jacob au Maroc mais une chose semble certaine: son passage a conduit à de graves tensions entre la DGED marocaine et la Sûreté belge.

 

Prison secrète


À partir de 2008, des rumeurs sur la “disparition” de Belliraj au Maroc circulent au sein de la communauté marocaine installée dans la ville flamande de Gand. La Sûreté a vent de l’histoire et signale au ministère belge des Affaires étrangères qu’un ‘Belge est en difficulté à l’étranger’.
Selon Toufiq Idrissi, le troisième avocat marocain de Belliraj, son client a été enlevé le 18 janvier par les autorités marocaines à Marrakech alors qu’il sortait d’un hôtel appartenant à son frère. Belliraj aurait ensuite été enfermé, interrogé et torturé dans un prison secrète basée à Temara, puis à Rabat et enfin à Casablanca. Ce n’est qu’un mois plus tard que le gouvernement marocain annonce le démantèlement d’un réseau terroriste djihadiste clandestin dont le leader serait le dénommé Belliraj.
Les policiers belges n’ont même pas été informés de l’arrestation du Belgo-marocain. La Sécurité de l’Etat précise avoir découvert l’affaire à travers la presse, une information confirmée par un rapport du Comité R (comité belge de contrôle parlementaire des services de renseignement) mais démentie par le Maroc.

 

‘Problèmes répétées avec la DGED’


Le 8 juillet 2008, le patron de la Sûreté belge Alain Winants demande à Mohamed Yassine Mansouri, chef de la DGED, de rappeler trois agents marocains repérés en Belgique.
‘Cette mesure n’était pas liée à l’affaire Belliraj. Dans le passé, il y a déjà eu des problèmes répétées avec les agents de la DGED. Ils avaient par exemple organisé une manifestation devant l’ambassade d’Algérie à Bruxelles’ , déclare Alan Winants. Les allégations de la Sûreté belge étaient tellement graves que la DGED a non seulement rappelé les trois agents démasqués mais a également décidé de fermer carrément sa représentation en rappelant tous ses agents.

 

Intimidations et menaces


Après les premières arrestations liées au dossier Belliraj, le Maroc a demandé à la Belgique d’extrader quatorze personnes. A peine quelques mois plus tard, presqu’en réponse à cette vague d’arrestations, un procureur fédéral belge procède à des perquisitions le 27 novembre 2008 en auditionnant 11 personnes. Six d’entre elles témoignent des nombreuses activités de la DGED en Belgique.
Les personnes auditionnées ont détaillé les procédures utilisées par les agents marocains en Belgique qui propageraient de fausses rumeurs à l’attention des Marocains en Belgique et qui les soumettraient à du chantage, des intimidations, des menaces en les photographiant et en les fichant. L’une des personnes a même que la DGED marocaine peut compter sur la collaboration active de 150 Marocains en Belgique. L’enquête sur les activités de la DGED en Belgique a été tellement loin qu’elle a probablement hypothéqué la procédure judiciaire dans l’affaire Belliraj.

 

Believers et non believers


En février 2009, les audiences ont repris au Maroc dans le procès du réseau Belliraj et le verdict a été prononcé fin juillet : la prison à vie. D’après Belliraj, les services secrets marocains ont inventé toute cette histoire de toute pièce parce qu’il a refusé de travailler pour eux.
Après la déclaration de culpabilité de Belliraj et ses 34 co-accusés, des organisations pour la défense des droits humains et des membres de la famille ont manifesté devant le tribunal de Salé pour dénoncer la justice marocaine. Pour eux, il s’agit d’un ‘procès politique’: le Maroc aurait fabriqué toute cette affaire pour mettre fin à deux nouveaux partis islamiques.
En plus de Belliraj, six autres personnalités politiques marocaines ont été condamnées parce qu’ils avaient rencontré l’intéressé en 1992. C’est l’une des pistes dans cette affaire qui a fait couler beaucoup d’encre dans la presse marocaine mais qui n’a presque pas été évoquée par la presse belge.
Pendant ce temps, la Belgique continue son enquête judiciaire sur les activités terroristes ainsi que sur les crimes non élucidés liés à cette affaire. L’affaire Belliraj divise la société entre les “believers” (ceux qui croient aux actes d’accusation) et les “non believers” (ceux qui n’y croient pas).
Abdelkader Belliraj est-il vraiment un dangereux islamiste à la tête d’un vaste réseau djhadiste ou est-ce un informateur qui paye le prix fort pour une guerre des services de renseignement opposant la Belgique au Maroc ? Une seule personne connaît toute la vérité et c‘est Belliraj, Abdelkader Belliraj.
(publié dans mensuel MO* au mois de septembre 2009)

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