Faustin Linyekula: “Il faut rêver, même si nous nous trouvons dans la merde jusqu’aux genoux"

« Un chorégraphe congolais de talent exceptionnel, en train de se faire un succès raide et international ». C’est comment Faustin Linyekula vient d’être décrit sur le site web du « KVS », le Théâtre Royal Flamand. Il y a pris soin de la programmation ce fin d’avril. MO* lui a rendu visite à Kinshasa.
Du bon poulet, des bananes rôties, de la bière congolaise et quelques musiciens anonymes dans un petit restaurant…. Qu’est-ce qu’il faut de plus pour  transformer un dîner avec un ministre flamand en une fête éclatante ?  Le ministre flamand Bert Anciaux – se trouvant à Kinshasa pendant trois jours pour y signer la déclaration d’intention pour la collaboration culturelle – avait organisé une petite soirée chez Maman Colonel. Un orchestre de trois personnes se glisse entre les tables et les chaises et – avec des classiques nostalgiques comme Indépendance Chacha et Après Toi – mène la soirée à l’apogée.
Le seul à ne pas chanter, à ne rire aux éclats, à ne même pas se balancer sur la musique…, c’est Faustin Linyekula.
A Gombe (le quartier plus chic de Kinshasa), sur la terrasse de l’Ecole du Prince de Liège, on se retrouve le lendemain à un endroit beaucoup plus calme. Quand je lui pose la question ce qui le tracassait la veille, Linyekula répond avec réticence.  « C’est probablement une déformation professionnelle », dit-il, presque en s’excusant, « mais il m’est impossible de me perdre dans une telle atmosphère sans voir ce qu’il y a derrière. En voyant la chanteuse, je voyais également la réalité qui l’attend dès que le spectacle s’arrête et dès qu’elle quitte le café.  Elle n’est plus si jeune, elle n’a aucun prospect d’avenir pour poursuivre une vraie carrière, mais il y a certainement des enfants ou d’autres parents qui dépendent d’elle. Parfois je l’éprouve comme un réflexe maudit, puisque moi aussi j’aimerais bien faire la fête de temps en temps – tout simplement. Mais pour arriver à cela, il faut que je sois complètement immergé dans l’énergie démesurée du rock. Tout le temps, hier soir, la musique évoquait un sentiment frêle. La voix était sans arrêt au point de s’éteindre. Pour moi, tout cela m’était trop fragile pour sentir l’envie de faire la fête. »
Faustin Linyekula a découvert l’attraction de l’art lorsqu’il fréquentait l’école secondaire catholique. Mais le jeune Faustin n’était pas pour autant attiré par les spots et par le podium ; plutôt par l’espace intime de la poésie. «On étudiait la poésie africaine et francophone, mais c’était surtout mon ami Vumi, qui n’avait que deux ans de plus que moi, qui m’encourageait à écrire à ma propre poésie. Ensemble, nous rêvions de la grande littérature que nous créerions, tout en s’opposant contre la négritude glorifiée par notre prof de français. Bien après, j’ai lu ce que Wole Soyinka a écrit à ce sujet : « un tigre ne parle pas de sa tigritude ; il bonde sa proie et la dévore ». Donc nous nous lancions dans la littérature du monde, même si nous ne le faisions pas afin de devenir des artistes à plein temps. En fait, moi-même je rêvais d’un professorat et, qui sait, d’une désignation à une fonction ministérielle – comme certains anciens de notre école. » Les jeunes de la génération de Linyekula étaient obligés de mettre de telles ambitions directement de côté quand ils quittaient l’école secondaire, vu que le chaos pendant les dernières années Mobutu rendait même impossible d’accéder à l’université. Enfin, Linyekula s’est retrouvé à Nairobi, où il s’est vu confronté avec la question : que faire avec le reste de sa vie ? La réponse était claire et nette : « Je veux écrire. Je veux me trouver sur le podium ».
Après, Linyekula s’est imposé comme but de bouleverser la littérature et le théâtre congolais. Une ambition de jeune qui peut-être maintenant n’est plus si irréalisable, mais la question demeure : un jeune garçon, bourré de talent, n’a-t-il rien de plus utile à faire au Congo ? Linyekula néglige les provocations. Il sait pourquoi il est artiste : « Les Congolais vivent parmi des ruines – et alors je ne parle pas uniquement sur les ruines physiques -, mais également sur la destruction totale dans la tête des gens. C’est pourquoi il y a une grande nécessité d’espaces où on peut à nouveau rêver. Des espaces où on peut se poser des questions critiques sur soi-même. Il faut que nous rêvions, même si nous nous trouvons dans la merde jusqu’aux genoux. Bien sûr, c’est important que tout le monde ait assez à manger. Mais nous avons aussi l’obligation d’avoir des ambitions plus élevées. Et, en conséquence, l’art – de l’art inquiétant – est plus que nécessaire. Maintenant plus que jamais. »
Comme l’adolescent qui repoussait déjà l’exagération romantique du mouvement littéraire de la négritude, le chorégraphe adulte s’oppose à chaque fois à ce motif de base, toujours présent et résurgent dans la danse africaine : le cercle, symbole par excellence de la vie, de la communauté, de la continuité, du renouvellement perpétuel. La réalité congolaise contredit cette image de beauté, entre autres avec trois millions de morts comme conséquence des conflits pendant les dernières dix années. « La mission aujourd’hui, c’est de prendre cette réalité morcelée et de créer une nouvelle sorte de cohérence et de continuité. Depuis des années j’essaie de raconter une histoire à moi et pour cela je puise dans la mienne. Mais je dois constater que l’histoire de mon peuple, l’histoire que je connais, n’est qu’une période courte, de 150 ans à peine. Il faut fouiller beaucoup plus profondément dans le passé, mais avant le « Congo », les sources manquent. À moins que la langue encodée de la danse serait une forme de tradition historique. Peut-être que la danse pourra me dire plus sur mon peuple que ce qu’on trouve dans les livres d’histoire ? Le corps des danseurs me lie avec mes ancêtres d’il y a un millier d’années. » 
Chez Faustin Linyekula, cette concentration sur le corps et son langage comme point central est plus qu’uniquement l’attention professionnelle d’un chorégraphe. C’est également un engagement social aussi bien qu’une prise de position politique. « Le corps rend également visible toute la violence qu’il nous a été faite. Comme les mains qui étaient coupées afin de ‘punir’ les Congolais qui soi-disant ne travaillaient pas assez sur les plantations de caoutchouc. Les coups de fouet qui laissaient des cicatrices sur le dos de mon grand-père. Les guerres, les viols, y compris les actes de cannibalisme pendant les dernières guerres civiles…. Toute cette histoire de violence physique ne peut que se retrouver dans les formes physiques de notre culture, plus précisément dans la danse. Si je pars de cela pour faire du théâtre, je ne veux pas resté coincé dans une recherche des sources et des traditions, mais je cherche à traduire cette histoire de violence en une recherche du futur. C’est la raison pour laquelle j’essaie de développer un théâtre ‘punk’ congolais, qui n’a rien à faire avec le ‘No Future’ du punk anglais – ça c’est quelque chose que nous ne pouvons nous permettre – mais qui se joue autour de Mon Futur. Les gens ont besoin d’espoir dans un environnement qui permet à peine de croire à un futur. »
En 2007, Linyekula recevait aux Pays-Bas le prix ‘Prince Claus Award’, pour ses créations de haut niveau, pour le courage qu’il démontrait en retournant au Congo, pour son approche innovatrice de la culture dans un contexte de conflit, ainsi que pour son ardeur en ce qui concerne le développement de sa communauté.
L’argent que Faustin a reçu gagnant le dit ‘Award’, il l’a investi dans sa compagnie de danse et dans la construction de trois centres culturels dans sa propre ville Kisangani. Entre autres, ceci implique qu’il doit balancer entre sa fonction d’« entrepreneur culturel » et ses obligations familiales. D’une manière ou d’une autre, quelques membres de ma famille à Kinshasa avaient entendu qui j’étais en train de répéter et que je payais les danseurs un montant de cinq dollar par jour. Tandis qu’eux étaient sans travail…. Un soir, ils m’ont demandé ce qui me prenait de payer des danseurs simples alors que mes propres « frères » se trouvaient en difficulté. Alors j’ai dû expliquer que je ne mène pas une société d’état mais que j’ai une entreprise privée, qui doit investir pour faire marcher la compagnie. S’il n’y avait eu pas ces «simples danseurs», je me trouverais bien aussi dépourvu que ces « frères ».  Il va de soi que je partage ce que j’ai, mais pas au point que de mettre en danger mon propre avenir et donc aussi celui de ma famille. J’ai fait construire une maison pour ma mère, j’en fais en sorte que les jeunes de la famille puissent poursuivre des études. Chacun qui veut se lancer dans les affaires dans ce pays se trouvera dans cette même position instable et doit donc chercher un équilibre. Sinon, tout s’effondra – à moins qu’il puisse faire appel à des donateurs externes. Dans ce cas-là, il peut utiliser les moyens obtenus de manière relativement insouciante. »  
Afin de pouvoir joindre les deux bouts pour réaliser ces projets ambitieux, Faustin Linyekula a également besoin d’entretenir de bonnes relations avec les autorités locales, à Kisangani comme à Kinshasa. Il en est bien conscient qu’un artiste qui se rend dans les réseaux du pouvoir doit faire attention qu’il ne s’y perd pas. « Pour un artiste il est très important de connaître à fond la langue et les formes de son environnement, ce qu’il lui donne la possibilité de parler en toute liberté – tout en évitant la censure. C’est une question de bonne navigation. Même que cela reste toujours risqué, puisque celui qui crée prend la parole sur le forum public et une telle chose ne va certainement pas de soi dans un pays où un citoyen n’a pas le droit de parler librement, même si on vit dans la République « Démocratique » Congolaise. Moi, je veux prendre la parole, mais en même temps je veux éviter de devenir un martyr pour la bonne cause. On n’est guère utile quand on est mort. ». Est-ce que le fait qu’il est connu en Europe ne le protège pas assez ? « Si, jusqu’à un certain niveau. Le problème consiste dans le fait que, au Congo, il n’existe presque pas de législation. La loi, c’est le décret de celui qui à un certain moment, à un certain endroit, tient le pouvoir. Ça peut être un simple soldat armé d’un kalachnikov ; ça peut être le chef d’un département du service d’information locale… On ne sait jamais d’avance avec la loi de quelle personne qu’on entre en collision. »
      

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