Naomi Klein: « Le réchauffement climatique et la machine néolibérale »

« Le système a déclaré la guerre à la nature », affirme Naomi Klein dans son dernier livre Tout peut changer : capitalisme et changement climatique. « S’il est impossible de modifier les lois de la nature, il est en revanche possible de modifier notre modèle économique. » Naomi Klein, journaliste canadienne et auteure de No Logo et La Stratégie du choc, exhorte l’humanité à unir ses forces en faveur d’une profonde réforme du système. Selon elle, l’heure du changement a sonné.

  • © Alma De Walsche Dans son livre, Naomi Klein recoupe entre elles les nombreuses crises. © Alma De Walsche

On retrouve au cœur de votre livre une pique lancée aux négociateurs climatiques. Vous n’y allez pas par quatre chemins : il ne s’agit pas tellement de la problématique du CO2, bien plus du capitalisme et de l’idéologie du libre marché.

Naomi Klein : Il existe bel et bien un décalage entre, d’une part, la réalité politique et économique, et, d’autre part, la réalité physique de la planète.

Nos débats sont déconnectés du monde réel car nous sommes prisonniers de notre monde imaginaire. Ainsi, on présente les mesures prises par les politiciens, totalement dérisoires en l’occurrence, comme des « avancées historiques ».  

Nous traitons en fait nos responsables politiques comme des petits enfants que l’on doit féliciter et encourager pour un oui ou pour un non, alors même que leurs gesticulations ne mènent à rien.

Certes, Obama apparaît comme le président américain le plus visionnaire en matière environnementale : il promet de réduire les émissions de CO2 à hauteur de 2 pour cent d’ici 2020. Le hic, c’est qu’en réalité nous devrions fixer cette barre à 10 pour cent dès maintenant. Le fossé qui sépare les impératifs environnementaux des mesures prises sur le terrain est donc vertigineux.

« Nous traitons en fait nos responsables politiques comme des petits enfants que l’on doit féliciter et encourager pour un oui ou pour un non, alors même que leurs gesticulations ne mènent à rien. »

Loin de moi l’idée de critiquer Obama. La question qui m’occupe est la suivante : quelles structures l’empêchent d’aller plus loin ?

Une grande partie du mouvement écologiste aux Etats-Unis tient d’ailleurs le même discours et considère le palier des 2 pour cent comme un tremplin magique qui nous mènera automatiquement à l’objectif des 10 pour cent.

A les entendre, nous avons toutes les raisons d’être optimistes car, qui sait ?, un miracle pourrait survenir à Paris et remettre tous les compteurs à zéro. Mais la réalité est tout autre.

Un nouveau contexte politique et économique s’impose, je les rejoins complètement sur ce point. Mais comment y parvenir ? Comment changer l’ordre politique et économique ? En prenant des décisions conformément aux données scientifiques réelles. Ce défi dépasse largement le cadre des négociateurs, raison pour laquelle je trouve irresponsable de déléguer un enjeu aussi crucial à un secteur relativement restreint et incapable de réformer en profondeur l’ordre économique et politique.

Steve Rhodes (CC BY-ND.0)

La question est : quelles structures empêchent Obama d’aller plus loin ?

Vous écrivez dans votre livre que la tragédie du réchauffement climatique résulte en partie d’un problème de timing : elle n’aurait pas pu tomber à un pire moment au regard de l’agenda mondial. 

Naomi Klein : Cela fait déjà vingt ans que nous sommes au courant du problème, alors pourquoi continuons-nous à rester les bras croisés ? Selon moi, on peut avancer plusieurs explications. En 1988, un membre de la NASA, James Hansen, avait établi un lien entre le CO2 et le réchauffement climatique. La même année, le GIEC voyait le jour. Un an plus tard, le Mur de Berlin s’effondrait, Fukuyama décrétait la fin de l’Histoire, tandis qu’en France émergeait le débat sur la pensée unique, le néolibéralisme, et Margaret Thatcher affirmait qu’« il n’y a pas d’alternative ».

Nous n’avons pas encore suffisamment étudié la manière dont le système néolibéral a privé les dirigeants politiques des leviers nécessaires pour engager la lutte contre le réchauffement climatique. A l’époque, les temps étaient mûrs pour mener des actions collectives mais, au lieu de cela, tous les efforts ont été reportés à l’échelon individuel. Au final, on s’est contenté de demi-mesures insignifiantes en incitant, par exemple, les individus à ne pas allumer inutilement la lumière ou à fermer le robinet.

Un tabou enveloppait alors la question de l’inégalité et de l’injustice. Il n’y avait pas encore de Thomas Picketty, et les gouvernements passaient leur temps, au sein de l’OMC, à s’accuser mutuellement de concurrence déloyale en matière d’énergie éolienne.

« Le système néolibéral n’a pas seulement privé les politiciens des leviers nécessaires pour agir, il a également prolongé le rêve américain. »

Aux Etats-Unis, différents groupes saluaient ouvertement les accords de libre-échange, convaincus des bienfaits de la logique du « donnant-donnant ». Les organisations environnementales monnayaient ainsi leur soutien à l’ALENA [Accord de libre-échange nord-américain, ndt] contre des mesures gouvernementales en faveur du climat.

Même scénario avec l’échange des quotas d’émission, privilégié aux efforts de régulation. L’idée d’échanger les quotas d’émission venait des Américains et ne suscitait guère l’enthousiasme dans le chef des Européens.

La fronde européenne ne se limitait par ailleurs pas aux seules ONG. Même les chefs d’Etat et de gouvernement, lors des négociations de Kyoto, se sont insurgés contre ce mécanisme. Les Etats-Unis ont néanmoins imposé ce point lors des réunions, sous peine de quitter la table des négociations. Bien qu’ils aient obtenu gain de cause par la suite, ils ont quand même fini par claquer la porte.

Le système néolibéral n’a pas seulement privé les politiciens des leviers nécessaires pour agir, il a également prolongé le rêve américain et aggravé le problème de manière significative.

Pour vous donner une idée, si nous tenions aujourd’hui à reprendre le contrôle de la situation, il nous faudrait accomplir des efforts d’une ampleur inédite. Nous n’avons plus le luxe de faire dans la demi-mesure.

L’heure est grave, nous nous dirigeons vers un réchauffement de 4 à 6°C. La seule manière de maintenir le cap des 2°C est de réduire nos émissions de 8 à 10 pour cent chaque année.

Autant dire mission impossible au vu du modèle de croissance qui prévaut à l’heure actuelle. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de nous débarrasser du néolibéralisme mais aussi du capitalisme.

Rohit Saxena (CC BY-NC 2.0)

« Nous avons une société extrêmement segmentée et une culture basée sur la spécialisation à outrance. »

Vous affirmez également que l’OMC, l’un des fers de lance de la mondialisation, passe complètement à côté du problème climatique. Comment expliquer ce manquement ?

Naomi Klein: L’une des pierres d’achoppement pour lutter contre le réchauffement climatique réside dans la compartimentation de notre société. Celle-ci est extrêmement segmentée et notre culture se fonde sur une spécialisation à outrance, érigeant des cloisons artificielles entre des domaines en réalité étroitement interconnectés.

Commerce et climat sont indissociables. Le commerce, de par le modèle même qui le caractérise, favorise le réchauffement climatique.

Non seulement en raison des kilomètres induits par le transport des marchandises, mais aussi et surtout à cause d’un mode de consommation fondamentalement incompatible avec le développement durable.

Cette logique de consommation vise la réduction maximale des coûts et le rendement à tout prix. Or, ce désir est inextricablement lié à l’explosion des émissions de CO2.

« Il y a une propension à l’aveuglement. Nous préférons tout simplement ignorer le problème. »

Les entreprises prônent continuellement la logique du moindre coût à l’égard de leurs produits : main-d’œuvre rentable, énergie rentable - le charbon en l’occurrence. Il y a une véritable propension à l’aveuglement. Nous préférons tout simplement ignorer le problème.  

Même notre méthode de calcul des émissions est totalement biaisée. On sépare en effet les émissions produites par la Chine de nos émissions, comme si elles étaient isolées. Nous savons pourtant pertinemment qu’au moins la moitié des rejets de CO2 en Chine sont dus à la fabrication de produits qui nous sont destinés.

On ose se targuer de réduire les émissions de CO2, alors qu’on ne fait que les déplacer. A notre échelon, on s’enorgueillit d’avoir rendu l’économie soi-disant plus propre. Or il n’est pas question de progrès ici, mais bien de délocalisation.

Il est effarant de constater que toutes les émissions issues du trafic maritime entre la Chine et nous ne figurent nulle part. On les ravale au rang de coïncidences malencontreuses.

En 1992, on a signé la Convention pour le climat à l’occasion du sommet des Nations unies à Rio de Janeiro. Dans l’intervalle des années 1992 et 1994, on a également défini les contours de l’Organisation mondiale du commerce. Au final, on a totalement dissocié ces deux initiatives, comme si le problème lié au climat et à la durabilité n’existait pas. 

 

Le 26 novembre 2014 à Bruxelles, Naomi Klein était l’invitée de 11.11.11.

Vous déplorez aussi que même des organisations environnementales telles que Conservation International et le Sierra Club soient tombées dans le panneau en cédant à la logique du gagnant-gagnant.

Naomi Klein : Le problème, c’est qu’une grande partie du mouvement écologiste était d’obédience néolibérale. Il ne faut pas confondre ce genre de mouvement avec les mouvements sociaux comme pour les ouvriers et les femmes.

Au contraire, ces milieux entretiennent parfois des relations étroites avec les élites. Pour information, le WWF a été fondé par la reine d’Angleterre Elisabeth.

De nombreuses organisations environnementales ont d’ailleurs été crées à l’initiative de clubs de chasseurs. Dans leur cas, il s’agissait bien plus de protéger des espaces verts pour pratiquer leur passe-temps favori que de lutter contre le capitalisme industriel.

Le réchauffement climatique relève d’un tout autre type de crise environnementale car il touche aux fondements, au cœur même de notre système économique, qui s’articule entièrement autour des combustibles fossiles. Le mouvement écologiste n’a absolument pas les moyens de donner au problème l’écho qu’il mérite ni de s’y attaquer.

Il existe bien entendu des organisations davantage engagées politiquement, à l’instar de Greenpeace ou Friends of the Earth. Celles-ci démontrent toutefois une certaine entropie car leur lutte se concentre prioritairement sur les animaux et relègue ainsi les hommes au second plan. Nous avons ici affaire à des personnes extérieures, des élites qui évoluent en marge de la société et non à l’intérieur de celle-ci.  

« Pour prendre le problème du climat à bras-le-corps, nous avons besoin de personnes ayant tout à gagner de la lutte contre le réchauffement climatique et le système en vigueur. »

Je pense qu’un autre mouvement s’impose si l’on veut combattre efficacement le problème climatique. Un mouvement composé de personnes qui ont tout à gagner de la lutte contre le réchauffement climatique et le système en vigueur. Jusqu’ici, le mouvement classique de défense de l’environnement a manqué sa cible.

Ce livre est un plaidoyer en faveur d’une nouvelle vision commune, axée autour d’une solidarité internationale à l’égard de pays confrontés aux mêmes difficultés. Prenons le cas de la Belgique. On y enchaîne les mesures d’austérité à tour de bras, en taillant même dans le secteur des transports publics, pourtant indispensable dans la mise en œuvre d’une politique environnementale digne de ce nom. D’un côté, on aborde les questions liées au climat, aux émissions et au sommet de Paris, mais, de l’autre, on peine à les traduire en mesures concrètes.

A ce titre, la santé du secteur public est une condition sine qua non pour mettre au point une politique climatique de qualité. Il incombe à l’Etat d’investir dans les transports publics et dans la transition énergétique afin de réduire le fossé entre les discours et les actions menées ou non sur le terrain. Jusqu’à présent, on les a rangés dans deux tiroirs distincts.

Selon vous, cette manière de procéder n’a fait qu’amplifier le problème.

Oui, involontairement. On en revient au problème du timing. La crise climatique a fait parler d’elle à un moment où il n’était pas bien vu de critiquer l’idéologie néolibérale. Les temps ne se prêtaient pas à l’action collective, mais bien à l’individualisme. C’est pourquoi les discours ont joué la carte du consommateur, premier maillon du système, en l’informant des gestes quotidiens à entreprendre pour sauver le climat.

Cette approche peut être qualifiée d’hyper-individualiste. Certes, il est aisé de formuler des critiques aujourd’hui, en 2014, et de distribuer les blâmes. Mais c’est de l’histoire ancienne. Désormais, nous n’avons plus droit à l’erreur. 

Cathrine Idsøe (CC BY-NC-SA 2.0)

« Tant que l’économie se portait bien, l’intérêt pour l’environnement et le climat suivait. Mais une fois qu’on s’est mis à tout catégoriser, on a isolé les problèmes entre eux. »

La crise de 2008 a-t-elle changé le système ?

Naomi Klein : On a effectivement assisté à une véritable rupture. Tant que l’économie était au beau fixe, l’intérêt porté aux questions climatique et environnementale suivait.

Mais une fois qu’on s’est mis à tout catégoriser, on a compartimenté les problèmes. La question climatique a été dissociée des autres problèmes. Cette idée s’est d’ailleurs trouvée renforcée par le documentaire « Une vérité qui dérange » d’Al Gore. Voilà qu’un ancien vice-président sollicitait l’aide de célébrités et de PDG tels que Richard Branson. A l’entendre, ces élites éclairées allaient remuer ciel et terre pour nous sortir de l’ornière. Leur message était le suivant : le système fonctionne à merveille ; le seul bémol concerne l’augmentation de la température. Si on parvient à la diminuer, alors tout rentrera dans l’ordre.

Mais c’était sans compter sur l’éclatement de la crise économique et sur l’échec de Copenhague en 2009. De nos jours, la question climatique mobilise toujours aussi peu et les actions en faveur du climat sont perçues comme un énième fardeau sur les épaules de citoyens déjà lourdement mis à contribution pour sauver les banques.

« Aujourd’hui, un nouveau mouvement climatique s’impose, conscient que la hausse de la température n’est que le symptôme d’une crise bien plus grande engendrée par notre modèle économique. »

Aujourd’hui, un nouveau mouvement climatique s’impose, conscient que la hausse de la température n’est que le symptôme d’une crise bien plus grande engendrée par notre modèle économique. Pour inverser le cours des choses, il faudrait un déclic grâce auquel on comprendrait enfin que la question climatique interagit avec d’autres problèmes.

Le mouvement Occupy et les Indignés incarnent-ils cette nouvelle voie ?

Naomi Klein : Je le pense. Il est d’ailleurs intéressant de se pencher sur le parcours d’Occupy aux Etats-Unis. Lors des premiers rassemblements, lorsqu’un document expliquant le pourquoi de la manifestation avait été rédigé, tout tournait autour du système économique. Une liste complète reprenait ainsi tous les torts du capitalisme, allant même jusqu’à aborder les OGM ; en revanche, aucune trace du réchauffement climatique dans leur programme. C’était il y a trois ans à peine.

La priorité de leur mouvement était bien entendu la question des inégalités, mais les inégalités économiques est lié au problème du réchauffement climatique. A l’époque, j’ai engagé de nombreuses discussions avec les organisateurs d’Occupy en attirant leur attention sur le fait que l’enjeu climatique faisait partie intégrante de leur combat, en tant que corollaire d’une vision considérant la nature comme une source inépuisable à exploiter.

Dans un contexte où les gens peinent déjà à joindre les deux bouts, le réchauffement climatique apparaît éloigné des préoccupations quotidiennes. Cette perception a changé lorsque le cyclone Sandy a ravagé New York, précisément un an après Occupy. Le mouvement, entretemps dissout, s’était alors reconstitué pour fournir de l’aide d’urgence. Les mêmes personnes qui avaient occupé le parc Zuccotti au nom d’Occupy se chargeaient désormais de dispenser de l’aide d’urgence dans les habitations, de fournir vivres et couvertures. C’est à compter de ce moment qu’elles ont compris la relation de cause à effet entre inégalités et exposition aux dangers du réchauffement climatique.

Cette année, 400 000 personnes ont participé à la manifestation pour le climat organisée à New York en septembre. Le jour d’après, elles remettaient ça en envahissant Wall Street. Or il s’avère que les organisateurs de cette manifestation étaient les mêmes qui avaient initié Occupy Wall Street. C’est la preuve qu’ils font le rapprochement entre ces deux enjeux. On a franchi une étape importante.

Des mouvements éphémères comme Occupy ne semblent pas constituer une menace crédible pour l’ordre établi.  

Naomi Klein : La situation est en train de changer. Ce n’est pas parce qu’un mouvement disparaît des gros titres de l’actualité qu’il est condamné à disparaître dans les faits. Les militants s’adaptent à de nouveaux impératifs. Tous ceux qui ont pris part à ces évènements se sont investis pleinement dans l’aventure et en ont retiré du plaisir et des enseignements.  

L’émergence du parti Podemos sur la scène politique espagnole, héritier direct du mouvement des Indignés, est un fait notable. Nous assistons à un processus organique de renouvellement perpétuel. Désormais, Podemos est devenu un acteur politique incontournable.

« Nous avons besoin de créer des initiatives pionnières, dotées d’une réelle force de frappe et ce dans les plus brefs délais. »

Tout me porte à croire que cette génération, qui a grandi à l’ère de l’austérité, souhaite résolument s’engager sur le plan politique et contribuer à élaborer des solutions. Et on ne parle pas ici de solutions périphériques mais bien de projets alternatifs majeurs pouvant changer la donne. Au lieu de s’imposer par la force, ceux-ci feront primer ce qui est juste et équitable. On est loin de l’activisme de mon temps, incapable de proposer des solutions d’une telle ampleur.

La différence entre la situation actuelle et celle qui prévalait il y a vingt ans, voire il y a à peine une dizaine d’années, est frappante. Ma génération s’opposait à l’Etat de manière dogmatique, le jugeant incompatible avec le bienêtre des citoyens.

L’exemple du tournant énergétique opéré en Allemagne est très intéressant. Cette tentative vise à trouver le juste milieu entre l’action de l’Etat et les projets alternatifs à un échelon plus local. Nous avons besoin de créer des initiatives pionnières, dotées d’une véritable force de frappe et ce dans les plus bref délais. Etant donné que la transition énergétique en Allemagne se déroule à l’échelle nationale, ses effets peuvent rapidement se faire sentir en matière de réseau énergétique. Ainsi, 25 pour cent de l’électricité provient de sources d’énergies renouvelables, un taux gigantesque si on le met en relief avec les 4 pour cent du pays où je réside.

Au même moment, la question cruciale de l’approvisionnement en électricité alimente moult débats. Doit-il être centralisé, ou décentralisé et donc géré par les communautés locales ? Pour l’heure, il existe 900 coopératives énergétiques. En outre, on ne compte plus les villes qui ont repris en main le contrôle de leur réseau énergétique. On a ainsi la preuve qu’il est possible de collaborer avec les autorités publiques pour réaliser de tels projets de décentralisation, et d’opérer une transition vers un modèle alternatif sans pour autant retomber dans des modèles surannés. Et pour cause, les gens critiquaient à juste titre ces vieux systèmes centralisés, rongés par la corruption et les abus.    

Michael Kappel (CC BY-NC 2.0)

Ce n’est pas parce qu’un mouvement comme Occupy disparaît des gros titres de l’actualité qu’il disparaît dans les faits pour autant.

La ligne de fracture politique traditionnelle entre la gauche et la droite s’estompe lorsqu’il s’agit de proposer une voie alternative. Prenons le Venezuela, la Bolivie ou l’Equateur. Les gouvernements de gauche au pouvoir dans ces pays échouent à instaurer une politique en phase avec la réalité de la question climatique. « Ils ont troqué le consensus de Washington contre le consensus des matières premières », affirment des économistes écologistes.   

Naomi Klein : On a en effet du mal à se l’imaginer. Le cas de la Bolivie est cependant intéressant car ce pays est bel et bien parvenu à intégrer la question climatique dans son programme. L’argument avancé par le gouvernement bolivien est que l’économie extractive est provisoirement nécessaire pour financer le développement du pays, le temps d’opérer une véritable transition. Ils se heurtent néanmoins à leur constitution nationale.

Les paroles passent avant les actes. Le gouvernement n’est pas apte à mettre en oeuvre les mesures proclamées, même si la rhétorique utilisée se révèle très musclée.

Si la Bolivie avait bénéficié du concept de « dette écologique » ou « dette climatique », elle aurait pu alors obtenir des fonds suffisants pour limiter sa dépendance vis-à-vis de l’exploitation des matières premières. Grâce au transfert d’argent et de technologie au profit de pays tels que la Bolivie, ceux-ci pourraient d’ores et déjà abandonner les combustibles fossiles et s’engouffrer dans la voie de l’énergie renouvelable.

Cette mentalité extractive, couplée à une vision hostile vis-à-vis de la nature, selon laquelle nous devons nous séparer d’elle et affirmer notre supériorité, est profondément enracinée dans le parti socialiste. Tant Marx et Engels ont écrit de magnifiques passages au sujet de l’écologie, tant le modèle soviétique faisait preuve d’une brutalité extrême à l’encontre de la nature et des hommes.

Dans ce livre, je postule que la crise climatique découle d’une histoire que nous nous racontons à nous-mêmes, où nous avons vocation à dominer la nature et à affirmer notre supériorité envers elle. Aujourd’hui cependant, cette vision est battue en brèche par le réchauffement climatique. En effet, à force d’émettre d’immenses quantités de CO2 en dilapidant les ressources énergétiques censées nous libérer de la nature (charbon, pétrole et gaz), nous avons provoqué la vengeance de cette dernière. Elle réclame maintenant son dû. En outre, cette situation soulève des questions fondamentales quant à notre existence même. De quel droit agissons-nous de la sorte ?

Cette question s’adresse à chacun d’entre nous, même aux membres de la gauche ou à quelqu’un comme Evo Morales. Ce dernier fait toutefois figure d’exception dans le paysage politique mondial puisqu’il est le seul dirigeant à tenir un discours en faveur des indigènes et des droits de Mère Nature, en soulignant la relation qu’entretient l’homme avec celle-ci. A cet égard, sa présidence incarne une vision tout à fait unique. On ne retrouve d’ailleurs pas ce discours dans le chef d’Hugo Chávez ou Rafael Correa. Je pense que la position de Morales marque le début d’un nouveau processus.

« Le changement de cap qui s’impose doit considérer tous les évènements sous l’angle de la réciprocité. »

Il nous faut une nouvelle idéologie allant de pair avec de nouvelles valeurs. Sur quelles valeurs se fonder pour construire un nouveau paradigme ?  

Naomi Klein : La vision extractive prédomine à l’heure actuelle, c’est-à-dire l’idée selon laquelle la nature s’apparente à un self-service où l’on peut se servir à volonté sans rendre compte des dégâts occasionnés.

Le changement de cap qui s’impose doit considérer toutes les relations sous l’angle de la réciprocité. Une autre raison explique l’ampleur du défi incarné par le réchauffement climatique : notre propension à ne pas envisager les problèmes sous l’angle de la collaboration.

Aujourd’hui, les Etats-Unis et l’Europe ne supportent pas l’idée que notre sort repose entre les mains de la Chine et de l’Inde. Ils ont beaucoup de mal à le digérer. Or notre salut collectif passera nécessairement par la recherche collective de solutions. Il nous faudra également porter un regard lucide et honnête sur les conséquences de notre comportement sur Terre, et ce même si nous rechignons à le faire.

Cosmo71 (CC BY-ND 2.0)

Nous assistons actuellement aux plus importantes manifestations contre l’austérité depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Comment concevez-vous cette collaboration ?

Naomi Klein : Il ne s’agit pas de créer un nouveau mouvement ex nihilo. D’une part, le temps nous est compté et, d’autre part, nous pouvons nous en passer. Une foule d’évènements se produisent déjà en ce moment. Nous assistons aux plus importantes manifestations contre l’austérité depuis la Deuxième Guerre mondiale. La Belgique n’échappe pas non plus à la règle. C’est pourquoi il serait vain de vouloir regrouper l’ensemble de ces mouvements sous la bannière du réchauffement climatique. Au contraire, il nous faut reconnaître les interrelations qui existent entre ces différents combats et bâtir le réseau le plus solide possible, articulé autour d’une histoire commune. Nous devons impérativement remporter la lutte contre les mesures d’austérité accablantes, et afficher ouvertement notre volonté de façonner une nouvelle économie.

Lors de la manifestation pour le climat organisée à New York en septembre, on a assisté à un véritable déferlement. Cet évènement a-t-il marqué un tournant ?

Naomi Klein : Ca en avait tout l’air. Les gens ont pris conscience de l’ampleur et de la détermination du mouvement pour le climat. Mais ce nouveau modèle n’en n’est encore qu’à ses balbutiements.

Certains journalistes y voient votre « grand œuvre ».

Naomi Klein : Ce livre a effectivement connu un grand retentissement. J’y ai adopté une approche plus holistique en recoupant divers éléments entre eux.  

Mes ouvrages précédents traitaient également de l’interconnexion entre plusieurs points. La différence ici, c’est que les éléments à recouper sont bien plus nombreux. Toujours est-il que ce livre aborde de manière superficielle une série de thématiques qui mériteraient d’être davantage approfondies. Je n’oserai jamais le considérer comme mon « grand œuvre » parce qu’il a été en partie commandé par l’urgence de la situation.

Par ailleurs, il fera prochainement l’objet d’une adaptation en film. Le but est d’assumer notre rôle de maillon dans la chaîne du changement qui requiert notre participation à tous. Pas question de délocaliser cette mission, nous devons tous nous engager. Chacun, mais tous ensemble.

Traduit du néerlandais par Julien-Paul Rémy.

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Over de auteur

  • Latijns-Amerika & ecologie
    Alma De Walsche schrijft over ecologische thema’s, van klimaat- en energiebeleid, over landbouw- en voedsel tot transitie-initiatieven en baanbrekers. Ze volgt al enkele decennia Latijns-Amerika, met een speciale focus op de Andeslanden.

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