Reza Aslan : ‘Trump cherche à entrer en conflit avec l’Iran’

L’interdiction d’entrer sur le territoire décrétée par Trump a stupéfié le monde entier. Pourtant, ce ban des habitants et les citoyens de sept pays à majorité musulmane n’est que la première étape d’une stratégie autrement plus large, à en croire le célèbre écrivain et scénariste de télévision Reza Aslan, de nationalité iranienne et américaine. Il espère que d’ici à 2018, les manifestations qui battent aujourd’hui leur plein parviendront à rénover le Parti démocrate, lui permettant d’entamer une procédure d’impeachment. 

  • © Reza Aslan © Reza Aslan

En Belgique, Reza Aslan doit avant tout sa célébrité à sa catastrophique interview accordée à Fox News à la parution de son ouvrage consacré à Jésus, Le zélote. Tout au long de l’interview, il dut répéter ne pas avoir écrit ce livre en tant que musulman, sinon en sa qualité de docteur en sciences des religions. Précédemment, il avait écrit une des meilleures introductions aux origines, évolutions et futur de l’islam (No god but God¸ dont la traduction Le Miséricordieux : la véritable histoire de Mahomet et de l’Islam est parue en 2015 chez Arènes). Le 27 janvier, avant que Trump ne signe son décret immigration, Reza Aslan a rédigé pour CNN une chronique intitulée If Trump can threaten my rights, he can do the same for any of us (Si Trump peut menacer mes droits, il peut menacer ceux de n’importe qui).

Voici notre entretien avec Reza Aslan, qui se sent tout particulièrement concerné par le débat actuel, étant lui-même un ressortissant américain d’origine iranienne.

Reza Aslan : Je suis un ressortissant américain, le décret immigration ne m’affecte donc pas directement. Cependant, beaucoup de membres de ma famille et de mes amis ne possèdent pas de green card ; certains ne bénéficient que d’un visa de voyage. Au départ, ils étaient donc touchés par cette décision, et ce bien que leur séjour soit parfaitement légal. Il est inconcevable que cette catégorie de personnes ne puisse plus exercer son droit de voyager. Heureusement pour lui, le mari de ma sœur, un Iranien, est arrivé aux États-Unis avant l’entrée en vigueur de l’interdiction. Un oncle de ma mère, qui souhaitait lui rendre une dernière visite alors qu’il est gravement malade, est pour sa part resté bloqué à l’aéroport, en dépit de son visa en règle et d’un billet d’avion valable.

L’interdiction vise sept pays, mais la moitié des voyageurs dont le visa d’entrée n’est désormais plus valable sont des Iraniens. Plus important encore : le gouvernement prétend maintenant que l’interdiction de migration, ou d’entrée sur le territoire, est une mesure temporaire. Pourtant, dans la logique de la décision présidentielle, cet aspect temporaire présente un réel risque de devenir permanent, du moins pour l’Iran. En effet, dès la levée du décret anti-immigration, une procédure unique de screening des citoyens de ces sept pays désirant se rendre aux États-Unis sera mise en place. Elle barrera l’accès à ceux venus d’Iran, un pays avec lequel les États-Unis n’entretiennent même pas de relations diplomatiques.

Pensez-vous que cette mesure vise davantage l’Iran que les musulmans en général ?

Reza Aslan : En tout cas, nous pouvons tous constater que quelques jours à peine après l’annonce de l’interdiction d’immigration, le gouvernement Trump a adopté des sanctions contre l’État iranien en raison d’un test de missile. Ce test ne violait en aucun cas l’accord nucléaire ou la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, quoi que puisse prétendre le gouvernement américain.

Celui-ci ne dispose par ailleurs d’aucune preuve que l’Iran dirige la rébellion houthiste au Yémen, responsable de l’attaque d’une frégate saoudienne. L’année passée, le Conseil de sécurité de l’ONU avait déjà confirmé, sans émettre la moindre réserve, que l’implication iranienne dans la direction des Houthis n’était pas démontrée. Revenir aujourd’hui avec de telles affirmations tient du mensonge éhonté. C’est pourquoi je suis convaincu que cette mesure s’inscrit dans une politique visant à entrer en conflit avec l’Iran, peut-être même à provoquer une confrontation militaire.

D’un autre côté, le décret anti-immigration peut également sembler une première étape vers la réalisation d’une politique bien plus étendue promise par Trump lors de sa campagne électorale, à savoir le blocage total de l’entrée de musulmans aux États-Unis. Il avait aussi promis l’instauration d’un registre reprenant l’ensemble des musulmans vivant aux États-Unis. Tout porte à croire qu’il va effectivement mettre en pratique ce qui, durant sa campagne, semblait être de la pure rhétorique. Récemment, Rudy Giuliani a déclaré à la télévision que cette interdiction de voyager temporaire servait de prétexte pour donner un caractère légal à un futur décret visant l’ensemble des musulmans.

Pour aussi inimaginable qu’il ait pu paraître à l’époque, nous sommes aujourd’hui les témoins de l’accession au pouvoir d’un régime en passe d’exécuter toutes ses promesses électorales, notamment celles en rapport avec des affaires impliquant les migrants et les musulmans.

‘Je suis convaincu que l’heure est à la fête chez les conservateurs fondamentalistes iraniens.’

Les élections présidentielles auront lieu au mois d’avril en Iran. Seront-elles influencées par la présence du président Trump à la Maison blanche ?

Reza Aslan : Sans aucun doute. Jusqu’à présent, Hassan Rohani s’est maintenu parce qu’il était en mesure d’avancer qu’un dialogue prudent avec l’Occident ouvrait de nouvelles portes à l’Iran. C’était le cas quand Obama occupait le bureau ovale. Avec un président imprévisible à la Maison blanche, qui ment et déforme la réalité pour isoler l’Iran et légitimer de nouvelles sanctions, une politique de dialogue et d’engagement sera nettement moins vendeuse auprès des Iraniens.

Je suis convaincu que l’heure est à la fête chez les conservateurs fondamentalistes d’Iran ; en outre, je m’attends à ce que le nationalisme radicale domine la campagne électorale.

Le pouvoir de Rohani était pourtant déjà fragilisé depuis que les Iraniens se sentaient mis à l’écart par sa politique économique, non ?

Reza Aslan : C’est exact, oui.

Il y a également lieu de s’étonner de la persécution des musulmans aux États-Unis. Contrairement à ce que l’on observe en Europe, la plupart des immigrés musulmans sont bien intégrés dans la société américaine, et même assez accomplis sur le plan financier.

Reza Aslan : Le président est un menteur pathologique et fait preuve d’un narcissisme extrême. Une étude scientifique a démontré qu’il ponctue ses discours d’un mensonge toutes les quatre à cinq minutes. Il a basé sa campagne sur le racisme et la xénophobie et s’en est servi pour cultiver la peur. Voyez plutôt l’une de ses promesses centrales : la construction d’un mur entre le Mexique et les États-Unis dans le but d’interrompre le flux de migrants mexicains vers l’intérieur du pays.

En réalité, les Américains quittant les États-Unis pour le Mexique sont plus nombreux que les nouveaux arrivants en provenance du Mexique. Autrement dit, le problème n’existe pas, ce qui n’empêche pour autant pas Trump de l’invoquer constamment et d’en faire un point central de sa propagande. En résulte qu’une importante part de la classe ouvrière blanche en est venue à croire que tout est la faute des Mexicains et des musulmans, du chômage, à la baisse de leur niveau de vie, en passant par leur perte de statut et la détérioration de leur réputation.

Les Européens devraient pourtant reconnaître ce scénario à l’issue familière. Lorsqu’un groupe d’individus, ou plusieurs, est désigné comme bouc-émissaire et en devient la source de toutes les craintes et les problèmes sociétaux, chacun des individus de ce “groupe” est par la suite attaqué pour compenser le sentiment de perte de l’avenir et de la dignité, ou pour la venger.

Si tout espoir n’est pas perdu, c’est parce que sa vision ne résonne qu’auprès d’un nombre limité d’Américains. N’oublions pas que même Hillary Clinton avait recueilli 3 millions de voix de plus que Donald Trump. Avec 36 pour cent, sa cote de popularité est la plus basse de l’histoire pour un président au début de son premier mandat. Le problème réside dans le fait que son parti contrôle à la fois la Chambre et le Sénat, les autres centres du pouvoir politique, et semble aujourd’hui accorder davantage d’intérêt au pouvoir qu’à la loyauté envers son pays ou sa constitution.

L’opposition au président telle qu’on la voit aujourd’hui est sans précédent. Des manifestations, des barrages, des actions juridiques : tout ce qui a accablé Trump jusqu’à présent, c’est du jamais vu pour les États-Unis, n’est-ce pas ?

‘N’oublions pas que même Hillary Clinton avait recueilli 3 millions de voix de plus que Donald Trump.’

Reza Aslan : Tout à fait. Le grand défi du moment concerne le rassemblement de la gauche et du centre autour de points centraux. Ils devront donc mettre temporairement leurs différends de côté, car ce sont ces différends qui ont permis l’avènement de Trump à la présidence, notamment parce qu’une part non négligeable de la population a décidé de ne pas se rendre aux urnes pour éviter de choisir entre Trump et Clinton.

Tout le monde constate aujourd’hui qu’il s’agissait d’une grave erreur et qu’il y a un profond gouffre entre un président libéral avec lequel on peut être en désaccord et un fasciste qui veut flanquer toute la constitution à la poubelle et peut-être nous mener vers une nouvelle guerre.

Le monde est dans un véritable état d’urgence ; la lutte contre le réel ennemi doit primer sur la résolution de conflits internes. Une opposition d’envergure et unilatérale peut effectivement aboutir à des résultats tangibles ;  le gouvernement nosu en a apporté la preuve en adaptant l’application du décret quelques jours à peine après son introduction et en autorisant à nouveau l’entrée de voyageurs sans green card.

Le mouvement né immédiatement après la prestation de serment de Trump et le vote du décret anti-migration n’est pas le fait des Démocrates.

Reza Aslan : Non, et j’y vois une source d’espoir. Le Parti démocrate est forcé de suivre le mouvement s’il veut être associé à l’opposition. Cela se remarque aussi à la réticence face aux personnes que Trump souhaite nommer. Par leur boycott des auditions, les parlementaires démocrates espèrent manifester leurs doutes relatifs à la légitimité et au soutien de la population dont bénéficie le gouvernement.

Aujourd’hui, nous ne pouvons absolument pas « normaliser » Trump. C’est essentiel. Il n’était un candidat normal et il n’est pas un président normal. Il n’est certainement pas normal qu’un président profite de sa première apparition publique, une cérémonie donnée en l’honneur des agents de la CIA morts pour leur patrie, pour parler principalement de l’étendue de la foule présente pour son investiture, tout de même ? Ou encore qu’il prononce une seule phrase à la mémoire de Martin Luther King lors de l’hommage organisé pour ce héros américain, avant de vouer le reste de son temps de parole à sa propre personne. Trump n’est pas à sa place en tant que président.

Pourtant, il a bien été élu selon les lois électorales et les procédures d’usage aux États-Unis.

Reza Aslan : Lorsque le candidat ayant obtenu trois millions de votes de moins que son concurrent décroche la victoire, c’est un signe que la procédure présente un sérieux problème. C’est évident. D’ailleurs, au moment où je vous parle, trois enquêtes parlementaires différentes sont ouvertes et cinq services de renseignements différents travaillent sur des dossiers ayant trait à la campagne de Donald Trump. Et ces enquêtes ne concernent pas uniquement un éventuel piratage russe via internet, mais aussi de possibles rencontres entre des membres de son bureau de campagne et des agents russes. De plus, ces enquêtes parlementaires sont menées par les Républicains. Dans leurs rangs, rares sont ceux qui se réjouissent de la levée des sanctions contre la Russie.

‘Aujourd’hui, nous ne pouvons absolument pas « normaliser » Trump. Il n’était un candidat normal et il n’est pas un président normal.’

Imaginons que les résultats de ces enquêtes soient défavorables au président, et fournissent des motifs pour un impeachment, pensez-vous qu’il tolèrera leur exécution et leur publication ? Quand la ministre de la Justice par intérim a rejeté le décret anti-immigration, sa réaction ne s’est pas faite attendre : il l’a limogée.

Reza Aslan : Une des enquêtes est menée au Sénat par deux Républicains qui ne l’apprécient guère : John McCain et Lindsay Graham. Leur patriotisme excède de loin leur besoin d’être soutenus par Trump pour les élections de 2018. Ils sont par conséquent libres d’auditionner toutes les personnes qu’ils souhaitent et de demander à consulter tous les documents qu’ils jugent nécessaires.

Du reste, Trump doit faire face à d’autres problèmes. En premier lieu figure l’intrusion de ses intérêts commerciaux à l’échelle internationale dans son mandat politique? Puisque la constitution interdit au président de percevoir le moindre revenu, quel qu’il soit, d’un gouvernement étranger, Trump enfreint la loi avec son empire commercial. Malgré cela, la majorité républicaine de la Chambre et du Sénat n’ose pas défier le pouvoir du président. Je crains donc qu’il nous faille patienter jusqu’en 2018 et l’élection de plus de Démocrates pour que la majorité d’au moins une des chambres ne change de couleur.

Les Démocrates ont-ils davantage à offrir qu’un rejet de Trump ? Seront-ils une option valide pour les nombreux électeurs qui se sont tournés vers Trump parce que le statu quo, de toute façon défavorable, était inacceptable ?

Reza Aslan : J’en suis persuadé. Ce mouvement va transformer le Parti démocrate comme le Tea Party a transformé le Parti républicain en ce qu’il est aujourd’hui ; il en a du moins le potentiel. Le parti a l’obligation de répondre aux besoins de la foule de citoyens qui se sentent reniés par le gouvernement et par ses mesures qui les maintiennent à l’écart des bénéfices d’un économie croissante.

Un argument joue en leur faveur: Trump avait initialement promis de rendre le pays “au peuple”, avant de se contredire et de former le plus riche gouvernement de l’histoire, qui compte quatre milliardaires. De plus, ce gouvernement va instaurer la plus forte diminution d’impôt sur la fortune jamais vue aux États-Unis. Je suis dès lors certain que bon nombre des Américains qui ont cru à la rhétorique trumpienne de la “classe moyenne délaissée” se rendront compte qu’ils vont complètemetn se faire avoir par son gouvernement.

Peut-on envisager l’apparition d’un troisième parti, dans la veine du Parti progressiste ou du Parti populiste de la fin du XIXe siècle, lorsque les Barons voleurs détenaient eux aussi le pouvoir économique et politique ?

Reza Aslan : Dans le système électoral actuel, un troisième parti n’a aucune chance. Si le bipartisme est solidement ancré, l’identité des partis et leurs programmes sont en revanche très fluides. À l’image des Républicains qui n’ont aujourd’hui plus grand-chose à voir avec Reagan ou même George W. Bush, le Parti démocrate pourrait lui aussi changer de nature et s’éloigner du libre-échange qui le caractérisait il y a dix ans.

Bernie Sanders sera le dirigeant idéologique de cette métamorphose. La plupart des candidats à la présidence de la National Democratic Convention proviennent d’ailleurs de son entourage ou partagent le même esprit.

Traduction: Marie Gomrée

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