La littérature et les femmes ont aussi leur place dans le Printemps arabe

« Si vous êtes du côté du pouvoir, vous n’écrivez pas de littérature »

« Un voyage littéraire le long de la mer Méditerranée », c’est ce que promet le numéro Vrouwelijke Arabische Stemmen de la revue littéraire DW B. Il s’agit d’une collaboration entre la commissaire d’exposition Sigrid Bousset et l’écrivaine libanaise Iman Humaydan. Ensemble, elles ont choisi 16 textes littéraires de la main d’auteurs féminins de huit pays, du Maroc à la Syrie. Tous les textes, en prose ou en vers, avaient été écrits après l’éclosion du Printemps arabe.

Pour la première fois, un éventail d’auteurs arabes féminins est disponible en néerlandais. MO* a eu à ce sujet un entretien avec Iman Humaydan (1956) et l’écrivaine syrienne Rosa Yassin Hassan (1974). « Nous présentons une nouvelle génération d’auteurs dans ce livre. Un nouveau récit. Il n’est pas seulement question du genre, mais aussi d’autres dimensions. Nous souhaitons faire entendre les voix de ces femmes en traduisant les textes en néerlandais. Car c’est souvent trop peu le cas », insiste Iman Humaydan.

Iman Humaydan est originaire du Liban et habite à Paris depuis 2014. Rosa Yassin Hassan vient de Syrie et habite en Allemagne depuis 2013.

Qu’est-ce que ces auteurs ont de si particulier ? Est-ce différent d’écrire après le Printemps arabe plutôt qu’avant ?

Iman Humaydan : Il est trop tôt pour définir précisément les caractéristiques des auteurs après le Printemps arabe. Mais on voit qu’ils osent davantage. Peut-être à cause du Printemps arabe. Je vois de toute façon un usage de la langue plus direct et une rupture avec le passé. Il n’y a pas de retenue ou de timidité dans l’usage des mots. Les auteurs ont oublié leur prudence et se font maîtres de la langue.

Rosa Yassin Hassan : Une véritable révolution littéraire est en marche dans des pays tels que l’ Égypte, la Syrie et l’Irak. Elle a commencé au tournant du siècle, quelques années avant le Printemps arabe. Le changement dans la structure narrative a par exemple déjà commencé avant le Printemps arabe, qui ne fait qu’aider à enraciner le changement. Il y a en effet plus d’audace, je le remarque chez les auteurs féminins syriens. Leur plume a totalement changé. Il n’y a plus de tabous, que cela soit au niveau de la religion, de la politique ou de la sexualité.

Iman Humaydan : il ne faut plus non plus séparer l’opinion politique d’un auteur de son métier d’auteur. Les auteurs qui se sont retournés contre le peuple ont perdu leur popularité. Une sorte de sélection naturelle a été opéré, même sur le plan linguistique. Celui qui est politiquement correct, n’est plus lu.

Rosa Yassin Hassan : Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il n’ y a pas de distinction à faire entre l’auteur et son opinion politique, mais ce n’est pas nouveau. Sauf que cela remontait moins à la surface autrefois. C’est maintenant visible. Les insurrections ont en effet effectué une sélection.

Si vous écrivez, vous écrivez sur l’histoire intime des personnes, sur leurs secrets. Vous écrivez les personnes. Mais comment le faire si vous êtes du côté du pouvoir et non de celui du peuple ? Si vous êtes du côté du pouvoir, vous n’écrivez pas de littérature. Vous n’écrivez pas d’histoire parallèle, mais celle du vainqueur.

« Je ne demande pas à l’écrivain de s’opposer au régime. Je lui demande d’être sincère dans son métier d’écrivain. »

Cela ne veut pas dire que j’attends d’un écrivain qu’il soit activiste. C’est quelque chose de tout à fait différent. J’attends qu’il soit indépendant du pouvoir. De toute forme de pouvoir, qu’il soit social, politique ou même culturel. Autrement, il n’est pas libre. Et s’il n’est pas libre, il ne peut pas créer. Je ne demande pas à l’écrivain de s’opposer au régime. Je lui demande d’être sincère dans son métier d’écrivain.

« C’est une nouvelle révolution »

Vous dites qu’il n’y a pas seulement un saut dans le contenu, mais aussi quantitativement dans la production littéraire ?

Iman Humaydan : C’est parce qu’il y a plus de place pour s’exprimer, malgré la répression. Le Printemps arabe a brisé quelque chose : le secret du pouvoir est trahi. S’il n’y avait pas eu de Printemps arabe, il n’y aurait pas de graffiti en Égypte, en Syrie et au Liban.

Depuis le 17 novembre, il n’ y a plus personne qui dise encore au Liban : « Son altesse le ministre » ou « Essayed (Monsieur) Hassan Nasrallah ». Ils disent maintenant Hassan. Cette révolution peut être brisée et échouer, des hommes peuvent mourir, mais il y a du changement sur le plan de l’expression. Non seulement la langue, mais aussi les références, les significations et les concepts ont été brisés. Il y a une accumulation d’expériences, et il est impossible qu’elles disparaissent.

À celui qui dit que ce n’est pas une révolution, je lui réponds : « Tais-toi ! C’est une nouvelle révolution, c’est une nouvelle forme de révolution. » Autrefois, quand paraissait un nouveau poète, la revue Shi’r (ce qui signifie « poésie », N.d.T.) écrivait que ce n’était pas un poète. Puis il devenait leur référence.

Rosa Yassin Hassan : Autrefois, chaque auteur était rattaché à une école littéraire. Il y avait le réalisme socialiste, l’existentialisme, le communisme… Maintenant, il en va autrement. Si mon personnage n’est pas un ouvrier, cela ne signifie pas que je ne suis pas pour le peuple. Les idéologies sont brisées et de nouvelles structures narratives et de pensée sont apparues. J’aime cela.

Vous dites que ce qui se prépare actuellement est une véritable révolution. Mais on dit souvent que les insurgés ne proposent pas de modèle alternatif. Ils n’ont pas de projet concret.

Rosa Yassin Hassan : Si un modèle alternatif était prêt, alors nous pourrions dire au-revoir au changement. Je ne veux pas remplacer une personne par une autre, un nom par un autre nom ou un gouvernement par un autre gouvernement. Nous voulons changer la structure de la politique, de la société. C’est en cours et ne se fait pas du jour au lendemain. Cela s’est toujours passé ainsi. Les changements profonds nécessitent du temps. C’est quelque chose pour l’avenir. Nous construisons maintenant l’avenir.

« Les changements profonds nécessitent du temps. C’est quelque chose pour l’avenir. Nous construisons maintenant l’avenir. »

Toutes les couches de la population ont participé à toutes les révolutions arabes. Des révolutions qui ont entraîné également une révolution littéraire, artistique et sociale. Il y a aussi une révolution du genre. C’est ainsi que des femmes ont participé aux manifestations, à des endroits où les femmes sortaient à peine.

Iman Humaydan : Vous dites qu’il n’y a pas de nouveau projet, mais quel pays permet un nouveau projet ? Vous avez besoin d’un processus pour avoir un projet. À moins que vous ne preniez les armes, ce que la population ne veut pas. Au Liban, cela fait déjà 42 semaines qu’ils descendent dans les rues et s’ils ne saisissent pas les armes, c’est parce qu’il y a des femmes. La femme ne veut pas de sang. Nous avons vu couler trop de sang par le passé, et la femme souhaite une autre relation politique.

Roza Yassin Hassan : j’ai peur pour le Liban. Car la révolution en Syrie est restée pacifique pendant un an, malgré que des hommes aient été tués en rue. Les femmes ont fait partie de la révolution, mais cela n’a pas empêché la violence.

Iman Humaydan : il est important d’insister sur le rôle de la femme. Lorsque le président libanais a demandé aux manifestants où se trouvait leur chef pour pouvoir lui parler, ils ont écrit sur les murs : « Je suis le chef de la révolution », « Je suis la cheffe de la révolution ». Mais le « E » du mot « cheffe » a été effacé à certains endroits. Retiré par des participants à la révolution.

Tout n’est pas blanc ou noir dans la révolution. Tout ce qui est révolution n’est pas forcément bon et tout ce qui n’en fait pas partie, mauvais. C’est aussi un processus, c’est la raison pour laquelle il est important de donner une voie aux femmes.

Le péché de l’écrivain

Vous avez chacune quitté votre pays, quel effet cela a- t-il eu sur votre métier d’écrivain ? Qu’est-ce qui a précisément changé ?

Rosa Yassin Hassan : Je vis en exil depuis 2013, comme des centaines et des milliers d’écrivains et artistes syriens. C’est une expérience extrêmement difficile. Vous perdez votre patrie et la voyez sombrer dans une guerre pendant 8 ans sans que vous ne puissiez agir. Écrire en exil était au début une manière d’expier mon péché. Le péché de celui qui s’était lui-même sauvé et a laissé mourir les autres. Comme pour s’ôter le poids de la faute. J’ai écrit sur des personnes que je connaissais en Syrie pour faire quelque chose pour eux à mon tour. Mon roman Ceux qui ont été touchés par la sorcellerie, parle de la révolution. J’écris sur des événements qui se sont produits entre 2011 et 2013. Cette écriture était à nouveau une expérience et était douloureuse et difficile.

« Écrire en exil était au début une manière d’expier mon péché. Le péché de celui qui s’était lui-même sauvé et a laissé mourir les autres. »

Puis est venu l’effondrement. Je n’étais capable ni de lire, ni d’écrire. Si vous vivez sous une dictature, vous apprenez à être flexible. Si vous n’êtes pas flexible, vous ne pouvez pas vivre. Vous marchez sur un champ de mines où vous devez échapper au pouvoir. Je ne pouvais pas retourner en arrière, mais je n’acceptais pas mon exil. D’abort, il ya eu ce déni, comme si je vivais encore en Syrie. J’ai contourné mon exil. Je viens seulement de me rendre compte que je vis en exil et que c’est la réalité.

J’essaie maintenant de puiser des deux expériences en tant qu’écrivaine syrienne en Allemagne et d’être une sorte de pont entre les deux cultures. Je ne sais pas si cela va fonctionner. Ce n’est pas facile et cela demande du temps. Cela fait seulement un an que j’écris sur ce qui se passe en Allemagne. 

Iman Humaydan : Je ne suis pas en exil, car je me rends régulièrement au Liban. Je n’ai réellement quitté le Liban qu’en 2014, quand j’ai abandonné l’espoir que les choses allaient s’améliorer. J’ai écrit ici (à Paris où elle habite, N.d.T) mon dernier roman. Je sens que mon rapport à la langue est plus libéré. J’ai plus de liberté. Mais est-ce que cela est dû au changement d’endroit ou à ma maturité ? Je ne sais pas. Peut-être c’est les deux. Écrire à un endroit où les gens ne comprennent pas votre langue, vous donne aussi un sentiment de pouvoir, pouvoir sur l’environnement dont vous comprenez la langue mais qui ne comprends pas la vôtre. 

Il y a aussi la distance avec mon pays et avec la mémoire. Comme je vis en Europe, l’Europe est devenue une partie de mon roman. Je ne peux pas seulement parler de Beyrouth. Le personnage principal de mon roman est un Français qui va à Beyrouth. J’ai encore et toujours la tendance à faire de Beyrouth le centre du monde.

Pièce de machine humaine

Lorsque vous écrivez, pour quel lecteur écrivez-vous alors ? Quelque chose a-t-il changé sur ce plan ? Ou ne pensez-vous pas du tout au lecteur lorsque vous écrivez ?

Iman Humaydan : Si vous écrivez, cela veut dire que vous avez un message que vous souhaitez transmettre, ce qui a un effet sur votre emploi de la langue. Je n’écris par exemple jamais le mot « juif » avec une connotation négative. Je suis contre le sionisme, mais pas contre les Juifs. Ils ne font pas cette distinction au Liban. Je tiens compte du lecteur en France. Quand vous écrivez dans une langue lue dans d’autres langues, vous faites parie d’une machine humaine et votre message devient humaniste.

« Je n’écris par exemple jamais le mot ” juif “ avec une connotation négative. Je suis contre le sionisme, mais pas contre les Juifs. »

Rosa Yassin Hassan : Le lecteur que j’ai dans ma tête est un compagnon. Je suis contre l’explication en littérature. Expliquer quelque chose est la mort du texte littéraire. Le lecteur est intelligent et nous avançons main dans la main dans le voyage de l’écriture. Le lecteur réécrit le texte par sa lecture. Il est ouvert et rebelle. Il n’a pas besoin d’être d’accord avec moi, mais il accepte par contre que je pose des questions et brise des clichés.

Qu’a apporté votre exil à votre écriture ?  

Rosa Yassin Hassan : Beaucoup. Si vous vous trouvez à l’intérieur du cercle, vous écrivez des choses que vous pensez être évidentes. Mais une fois que vous allez à l’étranger, vous vous rendez compte qu’elles ne vont plus de soi. Ce sont des caractéristiques de votre entourage, de votre environnement. Ce sont des détails de votre culture. Depuis mon exil, j’ai commencé à me regarder à travers le regard des autres. J’ai commencé à voir des détails qui n’attiraient pas mon attention autrefois, et qui sont très importants dans ma culture.

Le lecteur occidental a énormément de préjugés sur les populations du monde arabe, et inversement. Malgré que l’on en sache énormément sur l’Occident et qu’il y a eu énormément de traductions vers l’arabe ces quarante dernières années, vivre dans une société reste différent de lire à propos de cette société. J’ai découvert combien sont grands les préjugés qu’ils ont envers nous et ceux que nous avons envers eux, et combien ils sont ridicules. Écrivains en exil, nous pouvons former un pont entre les cultures arabes et occidentales. C’est important. L’exil m’a permis de m’en rendre compte. Je peux être un pont et à la fois apporter du changement à la littérature arabe.

« Vivre dans une société reste différent de lire à propos de cette société »

Iman Humaydan : Rosa et deux autres auteurs du livre, Iman Mersal en Ibtisam Azem, vivent à l’étranger. Tout le reste sont des auteurs qui vivent dans leur propre pays. J’ose dire que vous remarquez qui vit à l’éranger et qui n’y vit pas. Cela n’est pas possible autrement. Il y a une nouvelle dimension qu’un auteur qui écrit depuis son pays n’a pas. Inversement, les auteurs présents dans leur propre pays ont d’autres atouts. Ils vivent le changement et connaissent mieux les détails. En tant qu’auteur, je souhaite aussi être influencée par mon nouvel entourage. C’est un plus.

Le numéro « Vrouwelijke Arabische Stemmen » est vendu 15 euros sur www.dwb.be

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