5 leçons pour De Croo: que nous enseigne la coopération entre le public et le privé?

Alexander De Croo n’a pas peur des grandes déclarations. Récemment, notre ministre de la coopération au développement a déclaré que le budget de l’Etat alloué au développement était “dépassé et (presque) plus pertinent”, s’attaquant ainsi à sa propre compétence ministérielle. (1) L’argent public pour le développement serait plus utile, selon lui, s’il était consacré comme levier pour des investissements privés. Etonnant, car les organisations de terrain alertent justement contre les risques entraînés par cette stratégie.

Alexander De Croo (public domain: CC0)

 

Début octobre, différentes organisations de terrain, tant internationales que locales, tant des ONG, des syndicats et des thinktanks que des initiatives citoyennes, ont lancé un appel aux autorités et aux institutions internationales pour que celles-ci cessent de promouvoir des partenariats public-privé (PPP). Leur expérience offre au ministre De Croo de précieuses leçons. Nous en avons choisi cinq.

Des PPP au blending

Utiliser l’argent public pour attirer des investissements commerciaux afin de réaliser des objectifs de développement. L’idée proposée par notre ministre n’est pas neuve. Dans le jargon, on appelle cela le blending. Le Conseil consultatif sur la cohérence des politiques en faveur du développement a publié cette année quelques chiffres fort éloquents.

Les moyens mobilisés par le blending profitent rarement aux pays les plus pauvres : 80% des investissements privés sont allés à des pays dont le taux de pauvreté est sous les 20%. Seuls 5% des moyens sont allés aux pays les plus pauvres. De tous les pays, c’est la Turquie qui en a reçu le plus.

La Turquie fait face à de grands défis, c’est certain, mais si l’on parle de sous-développement, ce n’est pas à ce pays que l’on pense en premier. Ce qui est intéressant pour les investisseurs ne correspond donc pas vraiment aux grandes priorités dans le domaine du développement.

Les PPP sont le dada des différents pays du G20 et d’institutions internationales comme le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale.

Une pratique courante pour organiser la collaboration entre les secteurs public et privé est connue sous le nom de “partenariats public-privé” ou PPP. Les PPP sont des contrats à long terme entre les pouvoirs publics et le secteur privé, dans lesquels les pouvoirs publics se portent garants face aux principaux risques de l’entreprise. Le rôle de l’acteur privé est donc de construire et parfois d’exploiter les hôpitaux, écoles, routes, approvisionnements en eau et en énergie.

La logique sous-jacente à cette approche est vraisemblable : les investissements privés sont rapidement disponibles et il ne s’agit, en théorie, que de privatisation partielle. Les PPP sont donc le dada des différents pays du G20 et d’institutions internationales comme le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale. Les pays en développement voient en cette approche une solution pour pallier leur budget public limité. Mais la pratique montre que la collaboration avec le secteur privé ne bénéficie que rarement à la population.

Leçon 1: les PPP sont souvent plus chers que prévu

Contrairement à leur finalité, les PPP s’avèrent souvent comme la méthode de financement la plus chère à long terme. En général, les institutions publiques doivent être garantes face aux dépenses imprévues. Une recherche d’Oxfam a calculé qu’un hôpital public-privé au Lesotho avait coûté trois fois plus cher aux pouvoirs publics que l’hôpital public dont il avait pris la place.

Contrairement à leur finalité, les PPP s’avèrent souvent comme la méthode de financement la plus chère à long terme.

Ces dépenses ont été compensées pour la plupart par des économies dans le personnel et le matériel de qualité, au détriment de soins accessibles à tous. Pour les projets d’infrastructure, le contrat arrive souvent à échéance au moment où la construction commence à montrer des signes de détérioration, de sorte que les frais de réparation sont souvent à charge du secteur public.

En outre, les investissements privés demandent une logique privée. Une recherche récente de David Himmelstein a montré que des moyens très importants sont nécessaires pour que les services sanitaires fassent des bénéfices : au Royaume-Uni, le nombre de managers dans le service public de santé (National Health Service) a triplé depuis l’introduction d’une logique de marché. Aux Pays-Bas, les assureurs privés dans le domaine de la santé ont consacré 500 millions d’euros par an à des campagnes publicitaires. (Leijten R. De Landelijke Zorgvoorziening. Novembre 2014. Proposition de Loi, deuxième chambre)

Leçon 2: les PPP ne mettent pas fin à l’inégalité – bien au contraire

Non seulement les coûts élevés des PPP signifient dans la pratique un transfert des plus fragiles vers les plus riches, il existe aussi le danger que la logique de marché ne s’infiltre dans les services publics.

Pour les investisseurs, ce ne sont pas les soins de santé de base qui sont les plus intéressants mais bien les soins spécialisés.

Le devoir des services publics est d’apporter des soins à chacun, sans distinction de sa situation financière. En général, on a affaire à des personnes avec de grands besoins et un faible pouvoir d’achat. Les services commerciaux, par contre, se consacrent à des personnes qui peuvent se les permettre. Cette différence est flagrante dans les soins de santé.

Pour les investisseurs, ce ne sont pas les soins de santé de base qui sont les plus intéressants mais bien les soins spécialisés. Le risque pricipal de la commercialisation des soins de santé est la création d’un système de santé à deux vitesses : à savoir, des soins particuliers, hautement technologiques et spécialisés pour ceux qui en ont les moyens et des soins publics élémentaires pour les moins nantis.

En outre, les PPP vont souvent de pair avec des coûts d’utilisation croissants. En Tanzanie, les coûts inopinément élevés du système d’électricité public-privé ont été répercutés sur les utilisateurs, avec une augmentation des tarifs de 40% en une année.

Leçon 3: les PPP sont une menace pour le contrôle démocratique

Les négociations des contrats PPP se font dans le respect de règles strictes de confidentialité, ce qui complique le contrôle public. Ce manque de transparence augmente sensiblement les risques de corruption et mine le principe du contrôle démocratique. Au Brésil, on s’est rendu compte que les dépenses de construction d’une autoroute fortement en hausse n’étaient pas dues à des circonstances inattendues mais qu’elles avaient été négociées en secret.

Les PPP compromettent en outre le rôle et le devoir des pouvoirs publics de réguler le secteur privé dans l’intérêt public.

Les PPP compromettent en outre le rôle et le devoir des pouvoirs publics de réguler le secteur privé dans l’intérêt public. Ainsi, l’attribution d’un service peut limiter la liberté des autorités dans leur gestion de normes environnementales et sociales.

Pire encore, certains contrats permettent à une entreprise de porter plainte contre l’Etat en raison de dépenses inattendues, comme par exemple suite à une grève des travailleurs. Dans la capitale des Philippines, les pouvoirs locaux ont refusé une nouvelle augmentation du prix de l’eau par l’opérateur privé MWC après que celui-ci ait fait monter les tarifs de 845%. MWC exige à présent une compensation de 1,79 milliards de dollars. Et malgré cela, les archives de la Banque Mondiale décrivent ce projet comme une réussite.

Leçon 4: La croissance économique, ce n’est pas le développement

L’affirmation selon laquelle le profit du secteur privé améliore les résultats du développement n’est hélas guère plus qu’un axiome de l’idéologie néolibérale. La croissance économique ne garantit pas le développement. Même dans les scénarios les plus optimistes, il faudrait encore 200 ans avant que la pauvreté la plus extrême ne soit éradiquée si nous ne comptons que sur la seule croissance économique. C’est ce qu’a montré une étude de 2015 de David Woodward dans la World Economic Review.

En outre, les pays qui ont le mieux réussi dans le domaine du développement au cours des dernières décennies, sont précisément ceux dans lesquels l’Etat a joué un rôle de redistribution et a imposé au secteur privé des conditions strictes.

Leçon 5: Les droits de l’homme doivent être primordiaux

Le ministre De Croo se voit volontiers en réformateur mais ses idées sont anciennes. Il défend une approche “business as usual” du développement. Ce système n’est basé que sur la croissance économique, malgré une inégalité croissante. Les bonnes intentions de gouvernements et les comportements internationaux n’y ont jusqu’ici pas pu changer grand chose.

C’est pour cette raison précisément qu’aujourd’hui, les droits de l’homme sont au centre de tout discours sur le développement. Ils sont aussi le dada du ministre De Croo, mais que l’on nous permette de qualifier son interprétation au mieux de “particulière”. Ce sont les pouvoirs publics qui sont toujours les mieux placés pour garantir les droits de base, les appliquer et les protéger et qui peuvent ainsi garantir le contrôle démocratique nécessaire. En vertu de quoi tout cela devrait être cédé au secteur privé? Personne ne peut le dire.

La coopération au développement est en premier lieu un acte politique qui demande une large participation et qui ne peut donc être remplacée par la main invisible du marché. C’est pourquoi les ONG optent pour un soutien aux mouvements de base dans le Sud qui sont à même de faire pression sur leurs gouvernements pour obtenir les droits de base. En même temps, ils sont ici les porte-parole de ceux d’en bas. Notre ministre ferait bien d’entendre leur voix. Cela lui en apprendra bien plus sur le développement que les discours des PDG du secteur privé.

Wim De Ceukelaire est directeur de l’ONG M3M

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