« L'altération forcée » pour extraire le CO2 de l'atmosphère

Cette pierre absorbe le CO2. Une solution au problème climatique ?

Les vers sont capitaux. Sur la pointe des pieds, Filip Meysman de l’ Université d’Anvers (UAntwerpen) regarde fixement un bac bleu d’un mètre cube où circule de l’eau de mer de manière permanente. Le fond est recouvert d’une couche d’algues transplantées de l’épaisseur d’un doigt, issues de la mer du Nord. 

La base est constituée de sable ondulant aux bosses douces et de dépôts peu épais. De la même façon que des croix marquent le sommet des montagnes, les petits monticules aux bouts arrondis  sont recouverts de vers de terre grouillant doucement.  Dans la station maritime d’Ostende (MSO) se trouvent six containers du même genre, chacun de constitution différente. Dans l’un d’entre eux s’agitent des vers des marais sur le fond, dans l’autre non. L’un est une réplique exacte du fond des océans, un autre encore contient de l’eau enrichie en olivine broyée, un minerai vert dont est recouverte la majeure partie du manteau terrestre et qui, par le mouvement  de plaques tectoniques, se retrouve à la surface de pays tel  que le sultanat d’Oman, le Maroc, la Norvège et la Guinée. 

L’olivine est une pierre qui absorbe le CO2 et est au centre de ce projet de recherche.

Pris ensemble, les bacs forment la première disposition européenne concernant l’ « altération forcée » ou “enhanced weathering” . L’idée est simple. 

Une tonne d’olivine capte une tonne de CO2 et le fait assez rapidement pour une pierre. L’olivine a besoin d’un millier d’années plutôt que des centaines de milliers d’années pour y arriver. 

La Terre compte trois systèmes naturels extracteurs de CO2 dans l’atmosphère afin de le transformer ou de le stocker. Les arbres et les plantes procèdent à  la photosynthèse, les océans dissolvent du CO2, mais les pierres captent aussi du carbone de l’atmosphère durant l’érosion. Les massifs calcaires contiennent un million de fois plus de CO2 que les mers, l’atmosphère et la biosphère réunies. 

L’olivine semble être passée maître dans la transformation du carbone dans les solutions de bicarbonate entraînées au fond de l’océan et constitue une réserve blindée de CO2 sous la forme de calcaire ou de dolomite. Une tonne d’olivine capte une tonne de CO2 et le fait assez rapidement pour une pierre. L’olivine a besoin d’un millier d’années plutôt que des centaines de milliers d’années pour y arriver. 

Un million de fois plus rapide

Le groupe de recherche de gestion de l’écosystème de l’Université d’Anvers (U Antwerpen) veut maintenant vérifier la possibilité d’accélération du processus et la manière d’y arriver. Et il ne s’agit pas de le doubler ou le quintupler, mais bien d’accélérer  le processus un million de fois. Entre autres en broyant le minerai. Pas comme laissez-passer d’émission de CO2, mais pour compenser ce que nous avons déjà émis de trop afin de limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré. Dans ce sens, cela s’inscrit dans la lignée des techniques à émissions négatives qui sont développées et analysées. 

M.Meysman appelle le procédé « geo-ingénierie  à l’envers ». Ce que nous relâchons à grande échelle dans l’atmosphère, nous allons devoir à nouveau le capter à grande échelle. 

« Nous savons que cela fonctionne. » raconte le chercheur alors qu’il s’essuie les mains. « C’est ce que nous ont enseigné les changements climatiques par le passé.  Le processus fait partie du cycle naturel du carbone que nous avons perturbé avec notre consommation massive d’énergie fossile. Il y a des millions d’années, l’Inde s’est détachée de l’Afrique, s’est heurtée à l’Asie, formant alors l’Himalaya. La formation de la chaîne de montagnes a alors révélé une quantité énorme de silicates. Ces pierres ont ensuite capté du CO2 dans l’atmosphère, et la température s’est globalement refroidie, puis la calotte glacière s’est formée sur l’Antarctique il y a trente millions d’années.

M.Meysman appelle le procédé « geo-ingénierie  à l’envers ». Ce que nous relâchons à grande échelle dans l’atmosphère, nous allons devoir à nouveau le capter à grande échelle. 

Les silicates finiront par retirer l’excès de CO2 que  nous pompons aujourd’hui dans l’atmosphère. Sauf que ce processus prend quelques milliers d’années. La question est: peut-on accélérer ce principe en épandant massivement de l’olivine sur les plages, dans les bois, dans les champs ? Peut-on y arriver avec une dépense d’énergie minimale? Plus l’olivine peut être gardée brute, moins l’on aura besoin d’énergie.

« Et surtout : est-ce possible sans impacter les écosystèmes dont nous avons rudement besoin afin de rétablir la biodiversité et d’annuler les conséquences déjà irrémédiables du changement climatique? »

De l’olivine, partout!

Il y a sept ans, c’était une idée lancée en l’air que M.Meysmans a reprise au géologue néerlandais Olaf Schuilings qui a étudié les propriétés de l’olivine des années durant. Le géologue l’appelait d’ailleurs, dans des termes plus rêveurs que scientifiques, « la pierre philosophale ». 

En 2017,  M. Schuilings a publié un livre fascinant reprenant le titre précis dans lequel il a compilé ses propres études sur les possibilités vraisemblablement inépuisables de l’olivine à faire tampon contre notre surproduction de CO2. Le géologue plaide entre autres pour l’incorporation d’olivine dans tout ce que nous déplaçons, construisons et labourons.

«Laissons la Terre nous aider afin de sauver la Terre. » a t-il écrit et il a mis sur pied des expérimentations visant à incorporer de l’olivine dans l’installation de pistes cyclables, de toitures végétales, de digues, de terrains de sport, afin de l’utiliser dans les systèmes de ventilation des bâtiments et comme amendement de sol en agriculture. Si l’on lui demande quel moyen technologique cela exige, M. Schuiling sort alors une photo du Semeur de Van Gogh et la place devant lui. « Voilà, répond-il alors qu’il tapote sur la photo avec son doigt. Voilà ma technique. »

Si l’on lui demande quel moyen de technologie cela exige, M. Schuiling sort alors une photo du Semeur de Van Gogh

« C’est un génie, mais il est impatient en société. » raconte M. Meysman. En 2011, le géologue a proposé à  M. Meysmans de surveiller l’effet de l’olivine dans les environnements marins. «Les expériences dans le domaine agricole s’avéraient prometteuses. Seulement, cela exigeait des grains très finement broyés, et donc plus d’énergie. Dans les mers et le long de celles-ci, il  est possible de mettre à profit la force des vagues et donc de travailler avec des gravats plus grossiers. » 

« J’étais intrigué et ai amassé un peu d’argent. » Nous avons entre-temps sept ans d’expérimentations en laboratoire derrière nous. Nous connaissons les résultats en erlenmeyers — des flacons coniques de laboratoire — en présence d’eau de mer stérile. Ces résultats sont très prometteurs, mais ce n’est évidemment pas comparable à un écosystème naturel où les micro-organismes peuvent accélérer ou ralentir le processus ou en être impactés négativement. Nous voulons creuser cet aspect. 

Il n’existe aucune pénurie d’olivine renseigne encore M. Schuiling. « Il y a mille fois plus d’olivine disponible que l’on en n’aura jamais besoin. » Tous les continents renferment un massif d’olivine que nous pouvons exploiter. Oui, souligne le géologue, nous devrons ouvrir des mines d’olivine à cet effet, mais il l’a aussi calculé : vingt-cinq milliards de tonnes d’olivine seront nécessaires par an afin d’atteindre un nouvel équilibre entre la quantité de carbone émise et celle captée. “Cela revient à un volume d’un peu plus de sept kilomètres cube. »

Ce n’est pas négligeable. Mais pas plus grand que les travaux de minage actuels. En outre, M. Schuiling relève qu’en Turquie seulement, un million de tonnes d’olivine broyée se retrouve entassée en tant que résidu de l’exploitation de chrome.

« Qu’attendons-nous? » se demande-t-il dans son livre. 

Pas une solution miracle

Pour les besoins de l’enquête, M. Meysmans travaille avec des résidus de l’industrie du verre où l’olivine est utilisée afin de sabler. Cependant, il espère aussi mettre à l’épreuve la vitesse d’érosion d’autres sous-produits ou résidus de l’exploitation minière. Pas seulement afin d’éviter le minage d’autres minéraux , mais aussi parce que l’olivine contient beaucoup de nickel. « Nous ne connaissons pas encore bien l’effet ou l’inconvénient de cette technique. » 

À terme arriveront à Ostende une vingtaine de bacs d’essai où différentes universités européennes expérimenteront avec d’autres silicates. M. Meysmans pense par exemple à la kimberlite qui reste sous forme de gravats après l’extraction des diamants. « Un diamant produit rapidement un mètre cube de kimberlite pulvérisée. L’Afrique du Sud dort sur des montagnes de kimberlite. »

« Cependant, ne manque-t-il pas de souligner, toute technique imaginable de captation et de stockage du carbone a des inconvénients, aussi bien technologiques que naturels. Le procédé Carbone capture and storage (CCS) , qui capte le CO2 et qui le filtre des effluents gazeux par un processus chimique, est tellement énergivore qu’un tiers de chaleur supplémentaire est nécessaire. En outre, il représente un coût supplémentaire pour les entreprises. »

« Deux expériences reproductibles ont lieu en ce moment. Dans l’une tourne une centrale à gaz  afin de stimuler la captation du carbone de la centrale à charbon; dans l’autre, au Canada, le CO2 capté est injecté dans un champ de pétrole afin de stimuler la production de pétrole. C’est assez contre-productif. »

« Les forêts, les plus grands puits de carbone naturels, peuvent brûler, ce qui transforme votre réservoir de carbone en source de CO2. Des expériences sont également réalisées avec la fertilisation des océans par le fer, afin de stimuler la croissance et donc la photosynthèse des algues.  Toutefois, elles ne mènent pas à de grands résultats. »

« Puis vous avez l’idée de BECCS, bio-énergie avec captation de carbone. Vous plantez des plantes cultivées à croissance rapide comme des peupliers, des saules  ou des herbes à éléphant, avec lesquelles vous alimentez une centrale à énergie dont vous captez le CO2. Tout d’abord, la dite captation écologique n’est pas toujours garantie et deuxièmement votre utilisation principale peut entrer en concurrence avec votre production alimentaire. »

« Pour tout dire : il n’existe pas de solution miracle. Toute technologie à émissions négatives est une mesure d’urgence. »

Des plages qui captent le CO2

Le ronronnement tremblant des pompes à eau en arrière-plan, M. Meysmans explique minutieusement qu’il faut d’abord arrêter de brûler des combustibles fossiles afin d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris pour le climat. C’est la condition pour pouvoir déployer toute forme de technologie à émissions négatives.

« On peut réduire nonante pourcent des émissions en économisant de l’énergie et en investissant dans de l’énergie renouvelable, une mobilité alternative et des techniques d’agriculture durable. Ces dernières forment un autre volet de cette enquête. Nous savons que l’olivine améliore le sol. Elle est déjà employée au Brésil et en Malaisie. Et si les paysans produisaient non seulement de la nourriture, mais devenaient aussi les gardiens du CO2, qu’ils restauraient ainsi le sol de manière à en augmenter la capacité d’absorption et de stockage du CO2 ? »

« Toute technique à émissions négatives ne peut fonctionner qu’à grande échelle, celle de notre production de CO2. »

Il poursuit : « Puis il y a aussi des processus industriels, mais également le secteur aérien et maritime où la suppression progressive des combustibles fossiles sera plus lente. Nous allons devoir capter et stocker ces émissions, tout comme nous allons devoir aussi compenser nos émissions liées aux générations précédentes. Je vais devoir à nouveau décevoir ceux qui espèrent une technologie miracle. Nous allons devoir tous nous y mettre. Même si toute technique à émissions négatives ne peut fonctionner qu’à grande échelle, celle de notre production de CO2. »

« Prenez maintenant l’olivine. Disperser un peu d’olivine ne va rien changer au problème. Si l’ « altération forcée » s’avère responsable et applicable, il va falloir l’insérer dans tous les secteurs déjà grands. Je pense à l’exploitation forestière, l’agriculture, à des plages capturant le CO2 où nous enrichissons chaque hectare avec une tonne d’olivine afin de fixer autant de CO2, ou exprimé en termes chimiques : de le séquestrer. »

Compter les vers de terre

Sur la table, devant les six réservoirs, la scientifique Laurine Bundorf étiquette les bouteilles en plastique qu’elle remplit avec l’eau des différents bacs. Tous les mardis et mercredis elle mesure ce qui échappe à l’œil nu. Le taux d’acidité et le bicarbonate, indicateurs du stockage de CO2. « Le CO2 se dissout dans l’eau et l’acidifie. Plus le taux d’acidité ou PH augmente, plus la quantité de CO2 diminue et donc plus elle s’agrège dans le bicarbonate qui se rassemble et s’accumule sur le sol. »

Les tas de vers sont également comptés chaque semaine. Après trois mois à les avoir comptés et mesurés, apparaissait plus ou moins clairement ce que l’on avait attendu : les vers jouent un rôle déterminant. « Ils chamboulent tout. Une fois par mois, le sédiment disparaît de l’estomac, et est alors traité par des enzymes. Cela accélère vraisemblablement l’érosion de l’olivine et tout le processus de stockage. On peut dès lors supposer que plus l’écosystème est intact, plus la transformation du CO2 est rapide et efficace. »

« On peut dès lors supposer que plus l’écosystème est intact, plus la transformation du CO2 est rapide et efficace »

Les résultats obtenus en laboratoire seront également évalués dans le monde réel. Sur la plage la plus verte de la planète, une plage d’olivine à Hawaii. « Là-bas, de l’olivine brute se déverse dans l’océan. Nous voulons connaître l’effet sur l’acidification actuelle, sur la mort des coraux. Une fois cette connaissance développée et accumulée, nous procédons alors au dernier test.

Est-il possible d’introduire de l’olivine à grande échelle et surtout rapidement pour la captation de CO2 ?

« Des projets de démonstration doivent arriver en 2030 », déclare M. Meysman. Et à partir de 2035, on devrait pouvoir l’appliquer entièrement. On ne veut pas que des cowboys se mettent à tout essayer. On veut garder de l’avance sur eux. Sûrement parce que tout indique un plus grand effet de l’olivine quand les écosystèmes sont moins perturbés. »

J’ai encore feuilleté le livre de M. Schuiling à la maison. Je suis bluffé par l’abondance de solutions proposées. De l’olivine, partout, semble crier le géologue âgé entre-temps de 87 ans. Dans le rabat de la jaquette se dissimule un sachet contenant de l’olivine broyée. « Éliminer le CO2 ? Ne pas être parcimonieux ! »

Esprits rebelles

Cela peut-il être aussi simple ?

J’ai encore effectué des recherches sur l’olivine et suis tombé sur les parcelles expérimentales que décrit le botaniste David Beerling, des forêts dans le New Hampshire aux plantations de sucre de canne sur l’Ile Maurice, où de l’olivine généreusement dispersée résorbe d’une part les effets des pluies acides et augmente d’autre part les récoltes. Le botaniste a aussi évalué le potentiel de l’olivine, qui s’avère « significatif ».

« L’ingénierie ne se laisse pas limiter à de pures prouesses technologiques. Elle se trouve tout autant dans la compréhension des phénomènes naturels qui nous entourent. »

« Pourquoi les idées de M.Schuiling n’ont pas été reprises plus tôt ? » ai-je encore demandé par mail à M. Meysman. Il m’a envoyé une réponse quelques heures plus tard.

« Son livre contient plusieurs idées géniales, qui lui survivront encore longtemps… »

Je secoue mon sac d’olivine dans le récipient rempli de fraises sur le balcon. Les chiffres défilent impitoyablement dans ma tête. Nous émettons chaque année trente milliards de CO2 à travers le monde. Le rapport entre CO2 et olivine est d’un sur un. Pour prélever une tonne de CO2, vous avez besoin de la même quantité d’olivine. Donc vous savez que si vous avez un sachet de 17 grammes, cela ne fera pas avancer l’affaire du climat.

Mais les petits points verts aux pieds de mes plants de fraise représentent tout autant une ode minimale aux esprits rebelles dont nous avons tant besoin.

Parce que l’ingénierie ne se laisse pas limiter à de pures prouesses technologiques. Elle se trouve tout autant dans la compréhension des phénomènes naturels qui nous entourent.

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

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