Un président blanc à la tête d’un État africain ?

Au Bénin, cinq candidats concourent pour la présidence, mais un candidat fait particulièrement parler de lui. Il s’agit du Français Lionel Zinsou. Qui est cet homme ? Le Bénin aura-t-il un président blanc pour fêter ses 25 ans de démocratie ?

  • © Roel Nollet Le moment tant attendu où Lionel Zinsou prend le micro en main et s’adresse à la foule. Il commence d’un air prudent son discours en fongbe, mais le public est loin d’être conquis. © Roel Nollet

L’été dernier, M. Zinsou, ex-banquier et économiste de renom, partait vivre en Afrique occidentale, une première pour lui. Le président actuel du Bénin, Yayi Boni, l’a nommé Premier ministre. Cet homme d’affaires est cependant loin d’être un parfait inconnu au Bénin : il est le fils d’un médecin béninois et son oncle, Émile Zinsou, a été un temps président en 1969, avant d’être banni par le général révolutionnaire Kérékou.

Un enfant de la diaspora béninoise

De prime abord, le peuple béninois ne voyait pas d’un très bon œil le retour au pays de cet enfant de la diaspora. Non seulement il n’avait pas été élu démocratiquement, mais l’opinion publique avait l’impression que le président français n’était pas étranger à sa nomination.

Certains prétendaient que François Hollande avait envoyé M. Zinsou pour s’assurer que le président Yayi Boni ne réclame pas un troisième mandat. D’autres maintenaient que Lionel Zinsou permettrait au président Boni d’échapper à des enquêtes gênantes concernant des affaires de fraude une fois son mandat terminé. Six mois plus tard, cette dernière hypothèse semblait la plus plausible : Lionel annonçait alors sa candidature aux élections présidentielles, et M. Boni le présentait comme son candidat favori.

S’il est vrai que Lionel Zinsou est connu au Bénin à cause du rôle joué par sa famille dans la politique du pays, c’est surtout à la Fondation Zinsou qu’il doit sa notoriété. Il y a dix ans, l’homme d’affaires franco-béninois gagnait tellement d’argent en travaillant pour David Rothschild qu’il décidait de créer au Bénin une fondation pour promouvoir l’art moderne africain. Sa fille, Marie-Cécile, directrice de la fondation, peut chaque année compter sur un investissement à hauteur d’un million d’euros de la part de son père. Ainsi, des bus rouges remplis d’écoliers défilent à la fondation : les enfants ont droit à une visite gratuite de la collection d’œuvres d’art.

Le défi de M. Zinsou est de prouver lors de la campagne présidentielle qu’il est bien bel et bien 100% béninois.

De Parakou à Porto Novo, du nord au sud du pays, personne ne doute des compétences de M. Zinsou. Sa riche carrière – il a été CEO de Danone, puis banquier d’affaires chez PAI partners et conseiller de Laurent Fabius, l’actuel ministre français des Affaires étrangères – montre qu’il a gagné ses galons. Cependant, ses rapports privilégiés avec l’establishment français et l’entourage du président Yayi Boni nuisent à son image au Bénin.

Mais, le grand défi de M. Zinsou est avant tout de prouver lors de la campagne présidentielle qu’il est bel et bien 100% béninois. « Car, si vous le laissez tout seul à l’Étoile Rouge (le carrefour le plus important de Cotonou), il est incapable de trouver son chemin pour rentrer chez lui », voilà ce qui se dit dans la capitale économique.

Pour en savoir plus, nous avons décidé de suivre ZinLi – le surnom du Premier ministre sur les réseaux sociaux ­– lors d’une journée de campagne au Bénin.

Sur les traces de ZinLi…

La campagne de M. Zinsou débute dans le village de Djidja, sur la tombe son arrière-grand-mère. Il n’existe pas de lieu plus symbolique pour réaffirmer ses racines béninoises. Nous apprenons l’heure et le lieu du départ dix minutes à l’avance. Nous nous dirigeons en hâte vers la résidence privée du Premier ministre, puis nous suivons le cortège.

Nous nous rendons vite compte que notre Peugeot 406 ne fera pas le poids face aux voitures tout terrain de luxe. Des sirènes retentissent. Deux tournants plus loin, les lumières disparaissent au loin. « Impossible n’est pas béninois, cela prendra juste un peu plus de temps… », ne cesse de répéter de notre chauffeur. Nous filons directement au collège de Djidja.

Sur place, des équipes montent depuis le début de la matinée des tentes afin de créer un espace à l’ombre pour la foule, qui attend déjà depuis plusieurs heures. Les partisans mais aussi les sceptiques se demandent comment le candidat va procéder. Nous demandons à quelques personnes ce qu’elles pensent de M. Zinsou. « Je ne sais pas, c’est bien ça le problème », rigolent-elles, sans nous donner de réponse plus précise. Elles sont aujourd’hui venues pour entendre et voir pour la première le candidat franco-béninois.

Les Béninois se demandent si un homme qui a vécu toute sa vie à l’étranger peut comprendre complètement le pays de ses aïeux, et si un homme qui n’a jamais manqué de rien peut gouverner convenablement un pays marqué par une profonde pauvreté.

Nous parlons également avec une organisatrice de campagne, alors occupée à tout préparer pour la visite de M. Zinsou. « Ses grands-parents sont nés ici, et son père aussi. Le Bénin est son pays. Il est le meilleur candidat, car il est le plus à même à aider le pays », nous affirme-t-elle d’un ton catégorique.

Les spectateurs continuent d’affluer. On apporte même des piles de chaises en plastique en vélomoteur. La chaleur du soleil pénètre tous nos pores. Et le voilà enfin : M. Zinsou arrive en voiture, avec quatre heures de retard. Les gens se poussent pour tenter d’entrapercevoir l’homme blanc vêtu d’un boubou. Cet habit traditionnel, caractéristique de l’Afrique de l’Ouest, ne le quitte plus depuis l’annonce de sa participation aux élections présidentielles. La poussière qui vole sous les roues des voitures tout terrain rappelle aux habitants de Djidja qu’ils n’ont pas de routes dans la région. Dans ce nuage de poussière, le Premier ministre Zinsou fait une entrée héroïque, et la fanfare locale joue les premières notes de l’hymne national béninois, sous de vigoureux applaudissements.

La résistance face à l’envahisseur

À vingt kilomètres de là, à Abomey, la capitale du temps du Royaume du Dahomey, la population est loin de réserver un accueil chaleureux à Zinsou. Le roi Béhanzin du Dahomey était le dernier roi à se rebeller contre l’envahisseur français, ce qui lui valut d’être exilé à vie en Martinique et en Algérie. Près de 120 ans plus tard, cette histoire reste encore fort présente dans les esprits. La population de la région refuse ainsi catégoriquement l’idée de s’incliner face à toute autorité française.

Chaque jour, des manifestants, en nombre plus ou moins important, foulent les rues pavées de l’ancienne capitale pour dénoncer la nomination « du blanc ». Dans ce contexte, le M. Zinsou n’a d’autre choix que de faire campagne en fongbe, la langue locale principale, née à Abomey. Tout le monde se demande s’il osera se risquer à parler en fongbe.

Le dernier à rire…

Même si les habitants d’Abomey ne cachent pas leur hostilité à l’égard de l’économiste franco-béninois, le maire de la ville était à la gauche du Premier ministre lorsque celui-ci est monté sur l’estrade à Djidja. Le maire de Cotonou, lui, se tenait de l’autre côté.

L’avenir nous dira si ces élites politiques parviendront à convaincre leurs partisans de les suivre dans cette aventure.

Ce phénomène est de plus en plus récurrent : les élites politiques se montrent tour à tour aux côtés de M. Zinsou, en dépit de l’opposition des citoyens qui les ont élus. Ce roi de la finance est ainsi parvenu à s’attirer les faveurs des partis de l’opposition, et c’est donc avec la plus large « alliance républicaine » qu’il s’est lancé dans la course à la présidence. Des dissensions internes sont cependant apparues entre les hauts représentants et la base militante des partis. L’avenir nous dira si ces élites politiques parviendront à convaincre leurs partisans de les suivre dans cette aventure.

Le maire de Cotonou excite de son côté les foules en donnant des discours en fongbe. Il réutilise les slogans qui ont jadis permis à son père d’accéder à la présidence du pays. Puis deux comédiens locaux jouent une farce. Un interprète chuchote la traduction des dialogues dans l’oreille du Premier ministre. Tout le monde éclate de rire à chaque blague, sauf M. Zinsou : il lui faut d’abord écouter la traduction.

Puis vient le moment tant attendu, celui où le candidat prend le micro et s’adresse aux Béninois. Il essaie avec prudence de prononcer quelques mots en fongbe, mais le public est loin d’être conquis. Et lorsqu’il poursuit son discours en français, il demande à plusieurs reprises à l’interprète de répéter tel ou tel passage. Le discours peine toutefois à convaincre.


Le moment tant attendu où Lionel Zinsou prend le micro en main et s’adresse à la foule. Il commence d’un air prudent son discours en fongbe, mais le public est loin d’être conquis. © Roel Nollet

Ce n’est que le soir, dans le prestigieux hôtel Azalaï de Cotonou, que les talents d’orateur de M. Zinsou se révèlent aux yeux de tous. À trente ans, Lionel Zinsou écrivait déjà les discours du Premier ministre français de l’époque, Laurent Fabius. Ce soir, son don pour la rhétorique saute aux yeux. C’est dans une langue claire qu’il énonce un discours cohérent, divisé en quatre points. Il mêle de l’humour à des arguments forts, et c’est avec beaucoup de diplomatie qu’il parle de ses adversaires. Le public est suspendu à ses lèvres, car il se rend sûrement compte que le Bénin n’avait jamais connu un homme pareil.

Une campagne en ligne et dans la cambrousse

Nous sommes en 2016, et les nouveaux types de médias jouent un rôle important au Bénin. Les médias traditionnels, tels que la télévision et les journaux, entretiennent des liens très étroits avec le monde politique et le secteur privé ; on peut par conséquent difficilement les qualifier d’ « indépendants ».

Grâce aux réseaux sociaux, les candidats, qu’ils soient très connus ou non, peuvent plus facilement toucher un public essentiellement constitué de jeunes. M. Zinsou tire parti de ces nouveaux médias. Il peut notamment compter sur une équipe dynamique de bénévoles qui, de jour comme de nuit, écume Internet, notamment Facebook et Twitter, pour repérer tous les commentaires négatifs visant le Premier ministre. Les équipes d’e-marketing des autres candidats ont à leur tour réagi, et c’est une véritable guerre virtuelle qui s’est déclarée: une des stratégies utilisées est la diffusion sur Internet de photos retouchées.

Le jour suivant le discours du candidat franco-béninois, nous recevons un coup de fil de la part du responsable de l’équipe d’e-marketing. Une photo de nous prise lors de la rencontre de campagne aurait été postée sur Internet pour prouver que la campagne de M. Zinsou est menée par des blancs. Le bénévole au bout du fil nous intime de porter dorénavant un badge pour montrer clairement que nous ne sommes que des journalistes. Ce bénévole se fait cependant rappeler à l’ordre dans l’heure par le responsable de campagne, lequel nous présente ses plus sincères excuses et nous assure que la presse, locale et internationale, est la bienvenue aux événements organisés par le Premier ministre.

Tout est une question d’image dans cette campagne : l’utilisation des langues locales, les apparitions en tenue traditionnelle, l’absence de personnes blanches sur les photos…

Tout est une question d’image dans cette campagne : l’utilisation des langues locales, les apparitions en tenue traditionnelle, l’absence de personnes blanches sur les photos… Pour sa campagne, le candidat franco-béninois a ainsi décidé de travailler avec Voodoo Communications, une agence de communication 100% africaine basée en Côte d’Ivoire. Mais lorsque nous demandons la permission de faire une interview ou lorsqu’un bénévole fait une bourde sur Facebook ou Twitter, c’est toujours face à Michaël Cheylan, spécialiste en communication, que nous nous retrouvons. Il n’est donc pas clair qui tient vraiment les rênes de la campagne.

En plus d’être un fin stratège, Lionel Zinsou est très communicatif. Il dispose des bons outils et de l’approche adéquate pour tirer profit des médias et des élites politiques. Nous remarquons cependant parfois un mélange de peur et de confusion lorsque les Béninois parlent de lui : une liste un peu trop longue de compétences peut engendrer de la compétition ou une peur du changement.

Nous pouvons néanmoins nous demander si M. Zinsou parviendra à convaincre la population béninoise. Le candidat se heurte en effet à des critiques, et à des citoyens habitués à un autre type de campagne électorale. Alexandre Kossoko, dessinateur satirique pour le journal de l’opposition Le Matin, nous explique : « Les voitures de campagne distribuent de l’argent partout où elles passent. Les gens reçoivent encore plus de sous lorsqu’ils ont une photo prouvant qu’ils ont voté pour tel ou tel candidat. »

Il est difficile à dire si Lionel Zinsou se prête lui aussi à ce genre de publicité, qui prend parfois une terrible ampleur. « Certains Béninois ne s’intéressent pas le moins du monde à la politique, mais ils se rendent à chaque discours donné près de chez eux. Il arrive qu’ils gagnent plus qu’un mois de salaire en assistant à ces événements », ajoute M. Kossoko non sans dédain.

Le second tour des élections approche à grands pas. Nous verrons le 20 mars si M. Zinsou fera honneur aux espoirs qu’il a suscités. En cas de victoire, le Bénin serait le premier État d’Afrique de l’Ouest à avoir un président européen. Nous pourrons ensuite nous demander si cette victoire est le résultat d’une fine stratégie politique, d’une campagne bien pensée ou du soudoiement de nombreux électeurs.

La défaite est-elle de toute façon encore une option pour le camp de M. Zinsou ?

Texte: Loes Verhaeghe en Luca Putteman Photos: Roel Nollet

Cet article a été réalisé par Redhorse Reporters avec le soutien de Journalismfund.eu

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