Mensonges, rumeurs et coups pré-électoraux

Ebola, enjeu politique en RDC

Une épidémie d’ebola crée un drôle d’environnement pour un journaliste indépendant. Ceux qui veulent seulement donner écho aux paroles de l’équipe de la riposte contre Ebola ont accès facile aux ondes et sites web (et aux subsides). Mais ceux qui tiennent leur métier à cœur et qui veulent écouter tous les sons de cloche, à la recherche de la vérité, sont renvoyés de Pilate à Caïphe et n’arrivent plus à trouver des canaux accessibles pour se faire entendre (« il faut comprendre, on ne peut pas risquer de perdre nos subventions »). Heureusement qu’il existe encore Mo* Wereldblog. C’est avec beaucoup de respect pour son dévouement à rechercher la vérité, que j’ouvre ces colonnes à mon invité-blogueur Merveille Kakule Saliboko.

La dixième épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo est devenue un sujet politique en prélude des élections prévues à la fin de cette année. La situation est telle que les mensonges se mêlent aux rumeurs et les coups politiques s’échangent dans la partie Nord de la province du Nord-Kivu.

Enquête par Merveille Kakule Saliboko, journaliste à Butembo

Dimanche 7 octobre 2018. Butembo, province du Nord-Kivu, dans l’Est de la RDC. Le soleil vient de poindre à l’horizon. Nous avons rendez-vous avec la famille Sivunavirwa, en commune Bulengera. Depuis mi-septembre, Ebola est entré dans cette famille. Leur parcelle est située dans une vallée, à contre-bas de la chapelle catholique de Bulengera -où certains fidèles se saluent par la main après la messe, dans la cour- et le bureau du quartier Wayene. Dans le petit salon de la maison en matériaux semi-durables, quelques tabourets en plastique et près du mur décrépi, un matelas. Trois personnes au salon, et trois autres dehors.

En face de moi, une femme âgée et deux hommes, tous frères dont le moins âgé est le mari de la femme qui est morte d’Ebola mardi 2 octobre à Butembo. Il s’appelle Kambale Sivunavirwa. Il m’indique un tabouret. Présentation faite, « pas question d’enregistrer », dira Kambale Sivunavirwa. Il craint que les autorités ne lui causent du mal. La maladie d’Ebola dans sa famille est, en effet, au cœur d’une bataille entre acteurs politiques. « Vous êtes le seul journaliste à s’approcher de nous », confie-t-il avant de se lancer dans un exercice de narration de toute l’histoire.

Erreur de l’équipe de riposte à Beni

Tout commence quand Thierry - l’un des fils jumeaux de la famille dont on me montre la photo - attrape la malaria à Ndimo, en territoire d’Irumu, province de l’Ituri. Thierry y travaille dans un champ de cacao. Il est évacué à Beni pour les soins appropriés. Après traitement, il retourne à Ndimo. Rechute. Retour à Beni. La situation devient grave. Madame Sivunavirwa est alors appelée à Beni pour être au chevet de son fils. Elle s’y rend avec son mari, sur une mototaxi. La même mototaxi est celle qui sera utilisée par la famille pour toutes les courses Butembo-Beni.

Puis, le 12 septembre. Il faut transférer le jeune homme de 21 ans à l’hôpital général de référence de Beni. Très vite, on parle d’Ebola. La famille refuse d’y croire. « Les tractations avaient été âpres. Elles avaient commencé à 7 heures. Ce n’est que vers 17 heures que ma femme avait accepté de laisser partir notre enfant à l’hôpital général, après l’intervention du maire de Beni », conte Kambale Sivunavirwa avant d’assener : « Le maire donnera 5$ à ma femme afin qu’elle prenne un taxi car, selon le maire, les civils ne peuvent pas monter dans l’ambulance de l’équipe de riposte ». Arrivée à l’hôpital général de référence de Beni sur mototaxi, elle ne verra son fils que deux fois : la première fois juste à son arrivée, la seconde fois le lendemain.

13 septembre, au petit matin, un membre de l’équipe de riposte vient annoncer à madame Sivunavirwa que son fils est décédé. Kambale Sivunavirwa, qui vient d’arriver à Beni autour de 7 heures, veut enterrer son fils à Butembo. L’équipe de riposte contre Ebola s’en chargera. « Au lieu de nous vacciner à Beni, on nous a remis 43$ en demandant de rentrer à Butembo faire le deuil », enrage Kambale Sivunavirwa. Avec cet argent, la famille montera dans une voiture taxi pour rentrer à Butembo, aux côtés d’autres passagers.

« Ma femme était hypotendue »

La colère se lit alors dans les yeux du veuf. « Ma femme était hypotendue. La mort de notre fils l’a affectée énormément », souligne-t-il. La suite des événements va l’affecter encore plus. De retour à Butembo, elle essaye de se remettre quand l’équipe de riposte débarque dans son quartier. Elle a une peur bleue des centres d’isolement, pour y avoir vu son fils mourir. Elle décide alors, le 16 septembre, d’aller à Katwa. « Question pour elle d’échapper à la pression des agents de la riposte », détaille Kambale Sivunavirwa. Lui-même a dû passer une nuit hors de son logis car les habitants de son quartier lui faisaient incessamment des menaces à propos d’Ebola. Sa situation a changé quand le député Mbindule est venu s’enquérir de la situation, aux cotés des agents de l’équipe de la riposte. La femme, elle, rentrera à Wayene le dimanche 23 septembre. Pas pour longtemps, car l’équipe de riposte est à ses trousses à Wayene où les jeunes menacent de caillasser le véhicule de l’équipe.

Retour à Katwa le lendemain. Les jours passent et l’équipe de riposte perd la trace de la dame. Entretemps, elle est prise par une diarrhée. « À cause du choléra et de l’hypotension », selon le mari. Samedi 29 septembre. La situation devient intenable, au point que Kambale Sivunavirwa appelle urgemment Mbindule au téléphone. « Je lui ai demandé de nous rejoindre à Katwa et de nous aider à plaider notre situation auprès des autorités sanitaires, car, en tant que député, celles-ci l’écoutent », explique-t-il. À Katwa, les jeunes sont surchauffés et refusent que la patiente monte dans l’ambulance. C’est le véhicule du député qui sera utilisé, afin d’apaiser les jeunes de ce coin. Madame Sivunavirwa demandera alors à ne pas aller dans le centre d’isolement et d’être traitée à Matanda.

Enterrement raté à Ngese

Seulement voilà ! Un attroupement inattendu s’est formé à Matanda au point que l’hôpital n’a pas voulu l’interner. « À ce moment, ma femme a dit qu’elle va droit à la mort, comme son fils », relate Sivunavirwa. Elle mourra la semaine suivante. « C’était avant tout un problème psychologique. Si elle était réconfortée par la famille, elle aurait pu s’en sortir. Vous savez, ce n’est pas facile pour une personne comme elle d’être en isolement et de se faire soigner par des gens dont elle ne voit même pas les visages ! », grogne Paluku Sivunavirwa, frère ainé du veuf et enseignant à Mubana, au bord du lac Edouard, en territoire de Lubero

Le mercredi 3 octobre, première tentative d’enterrement au cimetière de Ngese, proche du quartier Wayene. « Le caveau était déjà préparé. J’étais devant, sur une mototaxi. Le véhicule de l’équipe de riposte suivait. Il n’y avait personne au cimetière », souligne Kambale Sivunavirwa avant de s’arrêter un moment, les yeux cachant difficilement ses larmes. Puis, brusquement : « Des jeunes ont surgi, avec bâtons. C’était la débandade. J’ai dû fuir moi-même pour sauver ma peau ». Dans cette cohue, le cercueil, qui était encore dans le véhicule, est bousculé mais pas ouvert. Le véhicule démarre en trompe, laissant là-bas deux agents qui n’ont pas pu reprendre place à bord dans la précipitation. Ceux-ci seront tabassés par ces jeunes.

Le lendemain, l’enterrement devait avoir lieu au même endroit. La défunte est mise dans un nouveau cercueil. Épuisé, Kambale Sivunavirwa délèguera son petit frère pour le représenter. Mais au lieu de prendre la direction de Ngese en commune Bulengera, le cortège est stoppé net à l’ITAV en commune Kimemi par la police. Nouvelle direction : cimetière de Ngengere. Là, madame Sivunavirwa, membre du mouvement catholique « renouveau charismatique », aura droit à un enterrement sous haute sécurité policière, dans une tombe anonyme d’un demi-mètre de profondeur. Sans croix.

Clause de confidentialité

Kambale Sivunavirwa poursuit :« Je me suis fait vacciner le jour où ma femme a quitté Katwa. Mais avant, j’ai demandé qu’on prélève des échantillons de sang pour tester au laboratoire. » On lui répondra que l’on ne peut prélever des échantillons qu’aux personnes présentant déjà des symptômes. Le bulletin quotidien du ministère de la santé notera que le député Mbindule et ses partisans du parlement debout de Furu ont reçu le vaccin. Ce qui les fera grincer les dents, criant à la violation de la clause de confidentialité contenue à la page 5 du « formulaire de consentement éclairé pour les participants au projet de vaccination en ceinture à titre compassionnel contre le virus Ebola en République démocratique du Congo ». Avant de recevoir le vaccin, on signe. Mais peu de gens sont ceux qui sont vraiment « éclairés » avant de signer. Joint au téléphone, un agent de l’équipe de riposte en charge du numéro vert nous répondra : « Je ne sais même pas ce qu’il y a dans ce formulaire. Je ne l’ai jamais lu, ni vu. »

Les partisans de Mbindule menaceront d’ester en justice et feront circuler une capture d’écran de la première partie de la réponse à la question « ma participation est-elle confidentielle ? » : « Il est possible que des membres de la communauté vous posent des questions s’ils apprennent que vous participez au projet. C’est à vous de choisir si vous désirez leur répondre. Nous, nous ne communiquerons pas l’identité de ceux qui participent au projet. Les informations que nous tirons de ce projet seront maintenues confidentielles. Les informations vous concernant recueillies pendant le projet seront mises de coté et personne hors de l’équipe du projet ne sera en mesure de les consulter. Lorsque les résultats du projet sont annoncés, il ne sera pas possible d’identifier. »

Mais la deuxième partie donne le plein droit au ministère de communiquer sur le député : « Néanmoins, l’IRB de l’école de santé publique de la RDC, l’ANRP et le Comité de Révision Déontologique de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), se voient le droit de divulguer les informations recueillies pour prévenir la propagation de la maladie à virus Ebola. Dans le cas où l’intérêt général serait atteint, la divulgation l’emporte sur l’obligation de confidentialité ». Et pour cause ?

Mbindule, le faux pas

Mercredi 29 août, Crispin Mbindule Mitono, député national de Butembo, rentre dans sa circonscription électorale. Une fine pluie arrose la ville, empêchant l’élu de tenir son meeting au rond-point VGH comme il en a l’habitude à chaque vacance parlementaire. Celui-ci se dirige alors à Furu, son bastion situé au nord de la ville, où il s’adresse à la presse.

Entre autres sujets, Ebola. « Si vous voulez mon avis, je ne sais pas comment cette épidémie a commencé. Je pense que cette maladie est une autre [force meurtrière] qui a été envoyée à nouveau. Et c’est pourquoi je défie le ministre [de la Santé ou de la Défense] de me prouver le contraire. Montrez-moi, où est-ce que ça s’est passé ? L’épidémie vient vraiment d’où ? Scientifiquement, je ne crois pas qu’il soit possible d’avoir d’abord les meurtres de gens à Beni, et maintenant ceci sans qu’ils ne soient apparentés. Étudiez le déroulement des événements par vous-même ! Je ne crois pas qu’ils puissent être sans rapport », déclare-t-il en kiswahili, pour mieux se faire comprendre par son électorat.

 « Par cette déclaration, Mbindule vient de faire un suicide politique. Il vient lui-même de donner l’opportunité à ceux qui veulent l’attaquer de l’enterrer vivant », commentera un observateur de la vie politique locale. En effet, lâché par ses frères opposants -mais gagnant quelques sympathisants au sein du bas peuple, peu instruit-, le député ne va pas tarder à recevoir des tirs croisés, tant les snipers d’en face l’attendaient au tournant.

« Substrat culturel »

Gaucher Kizito, doctorant en sciences politiques et enseignant à l’université catholique du Graben, explique qu’il y a une répulsion d’une frange de la population qui estime que Ebola est une autre forme d’insécurité : « Certains acteurs politiques qui pensent que cette maladie a été inventée essayent un peu de rentrer dans la structure mentale ou le substrat culturel d’une frange de la population qui avait encore du mal à comprendre cette maladie. »

Mbindule n’est pas le premier intellectuel à avoir émis des doutes sur Ebola. Peu de temps après la déclaration de l’épidémie par le ministère de la santé, Boniface Musavuli, coordonnateur du célèbre think-tank DESC-WONDO et auteur de l’ouvrage « Les Massacres de Beni: Kabila, le Rwanda et les Faux Islamistes », jetait le pavé dans la marre. Sur son compte facebook, cet intellectuel de Beni écrivait alors : « Selon le Dr. Cyril E. Broderick, Ebola a été fabriqué dans des laboratoires américains ». Broderick est un ancien professeur de phytopathologie à l’Université du Collège de l’agriculture du Libéria et il a également enseigné en agriculture à l’Université du Delaware, aux USA. La publication de Boniface Musavuli a, depuis, été effacée mais le 19 septembre, il publiait ceci : « Le problème de Beni, ce n’est pas vraiment Ebola, mais les mensonges d’un pouvoir totalement discrédité. On a tellement menti à la population de Beni qu’elle considère désormais que toute parole des autorités est synonyme de “mensonge”. Si les autorités disent qu’il y a Ebola, la population considère qu’il n’y a pas Ebola. Si les autorités préconisent la vaccination, la population considère que cette vaccination est un nouveau procédé de massacres… Voilà ce qui arrive lorsqu’un Etat massacre sa propre population et ment tous les jours sur les opérations militaires. À Beni, la vérité, ce n’est pas ce que disent les autorités, mais le contraire de ce que disent les autorités. Si les autorités disent : “on vient vous protéger”, la population en déduit : “on vient nous tuer”. »

Attaques croisées du maire et de l’évêque

Le politologue ne veut pas parler de « populisme ». « Nous sommes dans un contexte pré-électoral. Il y a certains acteurs qui essayent de politiser l’affaire Ebola afin de tirer un intérêt de la manipulation soit positive ou négative en rapport avec la compréhension même de cette maladie. Je ne veux pas rentrer dans cette terminologie du populisme. Mais je me rends compte que chacun, selon les tendances politiques et suivant le jeu des acteurs individuels, chacun de ces acteurs essaye de tirer son épingle du jeu », explique Gaucher Kizito, dans une interview nous accordée le 28 septembre.

La politique, un jeu d’intérêt. C’est en effet ce qui va arriver par la suite. Jeudi 13 septembre, le maire de Butembo, Sylvain Mbusa Kanyamanda, fait la contre-attaque au « discours négativiste ». « Ebola est là et doit être combattu. Si nous ne le combattons pas, il va nous exterminer et nous et vous les journalistes », déclare-t-il à la presse locale, avant d’attaquer le député sans le nommer : « Tout celui qui veut politiser cette question, est poursuivable. Les gens seront arrêtés. Nous savons que les gens ont besoin d’être connus mais ce n’est pas à travers le virus Ebola que les gens seront connus pour être bien élus ».

Mardi 18 septembre, c’est au tour de l’évêque du diocèse de Butembo-Beni, d’entrer dans le jeu. Melchisédech Paluku Sikuli laisse exploser sa colère au sortir d’une réunion avec les prêtres à Beni. « Quelqu’un qui dit que l’Ebola, c’est quelque chose importé ailleurs, qu’on est en train de tromper les gens…Je dis à la population de ne pas l’élire. Parce que c’est donner les voies aux futurs assassins. Aux politiciens…Si un élu vient dire aux gens que l’Ebola [bla-bla-bla], je dis qu’il se trahit. C’est eux qui siègent au Parlement. Si j’étais moi l’Etat, moi SIKULI, Evêque de Butembo-Beni, je le mettrais en prison et s’il avait une immunité parlementaire, je lui enlèverais d’abord l’immunité parlementaire », fait-il savoir à la presse de Beni.

Les rafales du gouverneur

La brèche est ouverte. Et Julien Paluku Kahongya, gouverneur du Nord-Kivu, va s’y engouffrer. Dès son retour de Kinshasa, il s’adonne à cœur joie aux attaques. À sa descente d’avion à Goma, dimanche 23 septembre, il lance : « Nous voudrions mettre en garde tous ces politicailleurs (expression congolaise, pour mettre un accent sur le politicien, dans un sens péjoratif, NDLR) de gauche à droite qui découragent la population à l’administration du vaccin. Nous voudrions dire que nous avons dépassé le domaine de la santé où nous n’utilisons pas la contrainte. Maintenant, nous allons demander aux services de pouvoir se servir et de pouvoir mettre hors d’état de nuire tous ceux qui découragent la population et aux soins et aux vaccins contre Ebola parce que je les considère comme des criminels au même titre que ceux qui sont en train de tuer la population à Beni. Lorsque vous voyez presque 100 personnes mortes d’Ebola et que des gens continuent à dire que c’est une maladie qui a été injectée ici pour tuer nos populations, ça relève presque de la folie. Or, s’ils ne sont pas fous, ils doivent alors être mis hors d’état de nuire. »

Le gouverneur ne s’arrête pas là. Il y va de rafale en rafale. Vendredi 28 septembre, Julien Paluku remet la couche, à Mangina : « Si vous entendez un politicien vous dire de ne pas prendre le vaccin ou les soins contre Ebola, celui-là c’est un meurtrier.  Et je vais vous demander de ne pas voter pour un tel politicien. Car un tel politicien, il veut que les gens meurent pour qu’il dise que le gouvernement ne fait rien pour se faire élire afin qu’ils aillent encore manger. Je le considère comme ivre de lait », énonce-t-il dans un message en kiswahili.

Dernier missile envoyé par le chef de l’exécutif provincial, une déclaration faite à Butembo mercredi 3 octobre. Le gouverneur vient alors de se faire vacciner, pour montrer l’exemple. Mais, comme à chaque fois, son discours sur Ebola dérape. « Nous devons avoir du respect envers l’UCG (Université catholique du Graben, NDLR), du respect envers l’UOR (Université officielle de Ruwenzori, NDLR), du respect envers toutes les autres universités qui nous donnent des cadres pour ce pays. Et si j’étais revêtu du pouvoir dans le secteur académique, j’allais retirer les diplômes à ces intellectuels de bas niveau qui se permettent d’intoxiquer la population. Nous tous les intellectuels d’ici devons refuser le nivellement par le bas parce que ça ne nous ressemble pas. Je suis venu de là où j’étais avec la ferme intention de passer ce message », fait-il savoir devant la presse, en kiswahili. Et dans la même déclaration, Julien Paluku dégaine sur un air d’extrémisme : « Ici, à Butembo, il y a un politicien qui se bombait le torse. Puis, il a appris qu’il est devenu contact d’un cas d’Ebola. Il est parti se faire vacciner. Pourquoi il n’a pas accepté lui-même de mourir ? Il vous demande de ne pas vous faire vacciner mais quand il voit le danger il va en catimini se faire vacciner. Ça c’est très grave ! C’est très très grave ! »

Excès de zèle

Des tirs nourris de la part du gouverneur qui dénotent un certain zèle à « descendre » le député, notamment dans son fief de Butembo. Le gouverneur a accès aux médias pour distiller son message « positif ». Mais le député n’y a pas accès. « Nous avons fait un blackout au discours du député dès qu’il l’a prononcé. On ne pouvait pas diffuser un tel message. Ça risquait inutilement de désorienter la population », soutient un rédacteur en chef d’une radio. Ce qui fait bondir un autre journaliste et enseignant en communication dans une institution d’enseignement supérieur de la place, préférant s’exprimer sous anonymat : « C’est comme si les journalistes subissent une pression. Non pas que cette pression vienne directement des autorités étatiques mais il s’observe une sorte d’autocensure des journalistes pour ne diffuser que les propos de ces autorités. Car c’est incompréhensible qu’une autorité attaque quelqu’un sous le prétexte d’un message positif sur Ebola et ne pas donner une information équilibrée, en demandant la réaction de l’autre partie. Si on ne veut pas diffuser les propos de Mbindule, alors il ne faut pas diffuser les propos de ceux qui l’attaquent ».

Cette situation ne passe pas inaperçue aux yeux de la population de Butembo, dont une certaine frange voit ainsi en Mbindule une victime. « Je regrette le comportement des jaloux et haineux politiciens de Butembo qui se battent entre eux pour une histoire pour laquelle ils peuvent se mettre et échanger entre eux pour une suite favorable au lieu d’exposer leur haine et jalousie à la face du monde », s’indigne un habitant, sur facebook. Billy Saghasa, chercheur en droit en ville de Butembo, pense, lui, que les maire, évêque et gouverneur ont dépassé les limites dans leurs propos. « Il n’appartient pas à ces gens d’arrêter Mbindule. C’est à la justice. Et comme nous ne sommes en présence d’un cas de flagrance, si on veut faire arrêter le député, ça prendra beaucoup de temps car la procédure est longue ».

Arrêter le député ? Pour un crime comme énoncé par les autorités ci-haut citées ? Selon le même chercheur en droit, Mbindule peut faire la prison pour « faux bruits ». En effet, le code pénal congolais livre II dispose ce qui suit aux articles 199 bis et ter : « Quiconque, en répandant sciemment des faux bruits de nature à alarmer les populations, à les inquiéter ou les exciter contre les pouvoirs établis, aura porté ou aura cherché à porter le trouble dans l’Etat, sera puni d’une servitude pénale de deux mois à trois ans et d’une amende de cent à cinq cents zaïres, ou d’une de ces peines seulement » 199 bis ; 199 ter : « Sera puni de un mois à un an de servitude pénale et d’une amende de vingt à cent zaïres ou de l’une de ces peines seulement, celui qui, sans intention de porter le trouble dans l’Etat aura néanmoins sciemment répandu de faux bruits de nature à alarmer les populations, à les inquiéter ou à les exciter contre les pouvoirs établis. »

 Là aussi, ce n’est pas gagné d’avance pour les tenants du pouvoir. Car il faut arriver à prouver que le député a « sciemment répandu des faux bruits ».

« Au lieu de me répondre, on se fâche »

« Je suis allé voir l’évêque. Il a dit que sa déclaration ne parlait pas de moi », tranche le député. Mbindule le sait bien, la période électorale est celle des coups - souvent bas - entre acteurs politiques. « Je n’ai jamais demandé aux gens de ne pas se protéger contre Ebola. Seulement je veux que le ministre de la santé me donne l’origine exacte de ce virus. Je suis quand même député et lui est ministre, donc j’ai la mission de lui poser ces questions en tant qu’élu du peuple », s’agace-t-il dans une longue interview qu’il nous a accordée le dernier mercredi de septembre dans son fief de Furu, devant ses partisans. « Au lieu de me répondre, on se fâche », poursuit-il.

À ceux qui disent que le député aurait mieux fait d’aller poser ses questions directement au ministre, il répond : « J’ai vu le ministre à l’hôtel Auberge de Butembo devant l’équipe locale de riposte et les différents partenaires, il ne m’a donné aucune réponse ». D’ailleurs, le député annonce avoir initié une question écrite pour demander des explications formelles du ministre. Et Mbindule ne compte pas s’arrêter là : « Je compte interpeller le ministre de la santé devant la représentation nationale du peuple, par une question orale avec débat ». Pour quel objectif ? « Au-delà des réponses à l’origine d’Ebola à Mangina, le ministre doit aussi nous dire combien d’argent a été retiré du trésor public et comment cet argent a été utilisé », résume le député. En Afrique de l’Ouest, cinq millions d’euros destinés à la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Guinée, en Sierra Léone et au Liberia auraient été détournés entre 2014 et 2016. Samedi 4 novembre 2017, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), basée en Suisse, se disait « outragée par la découverte de fraudes », à partir des fonds versés pour lutter contre la maladie en Guinée, en Sierra Léone et au Liberia. La FICR dénonce une malversation financière de ses anciens employés estimée à 5 millions d’euros.

Crispin énumère, en outre, un certain nombre de questions qui demandent redevabilité. « Comment se fait-il que les soins ne sont pas encore gratuits à Butembo alors qu’ils le sont à Beni et Mangina ? Les gens de Butembo n’ont pas assez de moyens pour se procurer le savon afin de se protéger contre Ebola. En période pareille, on devrait exonérer la production de savon pour que son prix soit à la portée de toutes les bourses. Autre problématique, l’eau. Vous voulez que les gens se lavent les mains pour se protéger. La REGIDESO a un monopole de distribution mais nous savons qu’elle est incapable de donner de l’eau à toute la ville. J’ai visité une cinquantaine de parcelles à Kalemire, seules 4 avaient de l’eau courante et n’avaient malheureusement pas de savon », égraine-t-il.

En pleine tempête

Joint au téléphone mardi 2 octobre, docteur Bathé Ndjoloko, coordonnateur de la riposte, affirme que « les habitants de Butembo ont l’argent pour se protéger contre Ebola. Ils préfèrent juste consommer l’argent à travers des fêtes ». En outre, il déclare que «la question des soins gratuits à Butembo est en cours d’étude », annonçant au passage l’arrivée de l’équipe d’évaluation au cours de la semaine. « La gratuité des soins de santé n’est pas automatique. Même à Mangina, on avait annoncé la gratuité des soins mais cela ne s’était pas fait du jour au lendemain. Cela prend un certain temps entre l’annonce officielle et l’effectivité », explique-t-il.

La même question se pose pour les habitants du territoire de Lubero. En effet, des cas ont été signalés positifs à Masereka et Luotu. À une trentaine de kilomètres au sud de Butembo, Lukanga. Cette bourgade se trouve dans la zone de santé de Masereka. L’agglomération de Masereka se trouve à une vingtaine de kilomètres, un peu au sud, sur les hautes terres. Mi-septembre, un cas avait déjà été confirmé à Masereka et la crainte se lisait sur les visages des habitants de Lukanga à notre passage dans la région. « Les mesures de précaution sont en place. C’est notamment le lavage des mains au savon. Et pour le personnel soignant, il faut mettre les gants avant de toucher aux malades, quels qu’ils soient », nous confiait Germain Kalondero, le pharmacien du centre hospitalier Michel-Ange, avant d’ajouter : « Autant de malades touchés, autant de paires de gants utilisés par le membre du personnel soignant. Ça nous fait au moins 100 paires de gants par jour, soit deux boites. Les services les plus demandeurs sont la maternité et le service des soins ». Une boite des gants coûte 3$ à Butembo, ce qui a un impact sur les finances de cette structure communautaire.  « Le gouvernement a sorti une somme de 4 millions de dollars. Ce budget ne peut pas couvrir toutes les situations, comme acheter du savon à chaque habitant. C’est impossible », se défend Bathé Ndjoloko.

Débat scientifique ?

« S’il s’était arrêté à poser des questions, sans mettre les scientifiques et le ministère devant un fait accompli pour sortir sa théorie du complot, Mbindule aurait bien joué son rôle de député », note un analyste. Cette théorie du complot fera, en effet, bondir les étudiants en faculté de médecine de l’UCG. Ceux-ci, dans les réseaux sociaux, demanderont une conférence scientifique pour éclairer le député. « Je suis allé à l’UCG. On m’a dit qu’on ne m’a jamais invité », affirme Mbindule.

Sur place à l’UCG, on nous fait savoir que les étudiants n’ont jamais fait ce qu’il faut dans ce sens. Ceux-ci devaient officiellement informer le délégué facultaire, le président du comité estudiantin avec son ministre de la culture, les autorités de la faculté, le secrétaire général académique et le recteur. « Du choc d’idées jaillit la lumière », lance une source proche du recteur. À celle-ci de résumer la situation par une anecdote : « Il y a quelques temps, un enseignant visiteur en faculté de pharmacie avait proposé une conférence sur l’utilisation de l’urine comme médicament. De nombreux médecins avaient levé des boucliers pour que la conférence n’ait pas lieu. On leur avait seulement demandé de venir à la conférence avec des arguments scientifiques solides. »

Conditions optimales pour un avenir incertain

Mardi 25 septembre 2018, Peter Salama, directeur général adjoint de l’OMS en charge des opérations d’urgence fait le parallélisme entre le scénario du film ‘The perfect storm’ et la situation sur terrain, au Nord-Kivu. « Nous sommes extrêmement préoccupés par plusieurs facteurs qui pourraient se réunir au cours des prochaines semaines ou mois pour créer une conjonction optimale de facteurs limitant notre capacité à accéder aux civils », explique-t-il, cité par l’AFP. Le dernier facteur en date est alors la tuerie, trois jours plus tôt, de 21 personnes à Beni.

Une étude - Ebola virus epidemic in war-torn eastern DR Congo-, réalisée entre le 4 et le 25 aout, et publiée le 5 octobre dans la revue scientifique britannique « The Lancet » apporte un éclairage sur les « connaissances, attitudes et pratiques » sur terrain. Les résultats de l’enquête ont révélé des attitudes inquiétantes : réticence à envoyer un membre de la famille soupçonné d’être infecté par le virus Ebola dans un centre de traitement Ebola, CTE, et intention d’en cacher aux autorités sanitaires. « Ces attitudes suggèrent que l’on peut également s’attendre à une résistance sociale aux efforts de contrôle dans l’est de la RD Congo. Les données qualitatives appuient cette hypothèse, un agent de santé communautaire ayant signalé une rencontre tendue : “Ce matin, j’étais entouré d’une foule de gens en colère qui résistaient au transfert de l’un des leurs au CTE. Un cas présumé qui s’est échappé du CTE quelques jours plus tôt et les voisins refusaient qu’il revienne… Nous continuons à les éduquer… Si la résistance continue, nous ferons appel à la police” », lit-on dans The Lancet.

Le virus, quant à lui, profite de la situation. Samedi le 6 octobre, le nombre de nouveaux cas par jour est monté à 5, pour la première fois depuis 6 semaines. Les attaques des présumés rebelles à Beni, la résistance de certaines familles contre la riposte, ne cessent d’ouvrir des brèches à l’assaillant invisible. Si nous avions le choix entre fièvre électorale et fièvre hémorragique, ce choix serait facile à faire, mais tout porte à croire que les deux vont coexister encore pendant tout un temps. Espérons que sur les deux fronts à la fois, dans l’intérêt de toute la nation, et même au-delà, on n’oubliera pas un des remèdes indispensables à la victoire: toute la vérité, rien que la vérité.

Post Scriptum

Avec l’article que vous venez de lire, son auteur Merveille Saliboko a participé au Concours mondial du rapportage sur la santé ( Global Health Reporting Contest ), organisé pour la cinquième fois par l’ICFJ (International Center for Journalists - Centre international pour journalistes) et il s’est retrouvé parmi les 6 lauréats. Il aurait dû participer le 3 décembre 2018 à un dîner pour la remise des prix, dans les bureaux de The New York Times à New York, mais la politique contraignante de visas des Etats Unis ne lui a pas permis d’en obtenir un. Finalement, les organisateurs ont envoyé son trophée à Butembo.

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