Les victimes de violence sexuelle de guerre cherchent plus qu'un simple forum

Un prix Nobel peut-il être plus qu'une tendance sur Twitter ?

Elien Spillebeen

Dans le cadre du projet de Beni Files plusieurs victimes de l’esclavage sexuel ont partagé leur témoignage.

La présidente du Comité Nobel norvégien se gratte la gorge et annonce une nouvelle qui fait immédiatement le tour du monde : ” Cette année, le prix Nobel de la paix est décerné à… ” Ses mots sont à peine refroidis que les réactions se multiplient sur Twitter. La presse internationale présente les portraits des lauréats et décrit ensuite en détail la lutte pour laquelle ils sont honorés. Des politiciens de quasiment tous les pays du monde partagent leurs réactions élogieuses dans des tweets.

Le hashtag #sexualviolence est très tendance depuis vendredi, onze heures pile. Ceux qui n’ont jamais entendu parler des deux braves Denis Mukwege et Nadia Murad vont maintenant apprendre à les connaître. Personne ne niera le caractère hautement significatif et particulièrement courageux de leurs actes. Les lauréats bien mérités risquent leur propre vie pour mettre en lumière le problème dévastateur de la violence sexuelle en temps de guerre.

La réaction du médecin qui répare les victimes aussi bien que possible à l’est de la RDC et de l’Irakienne qui a été soumise à de telles atrocités pendant trois longs mois en tant qu’esclave sexuelle de l’Etat islamique, a circulé rapidement sur les réseaux sociaux : ils sont heureux de dédier leur prix à toutes les victimes de violences sexuelles. Les lauréats apprécient la reconnaissance par l’octroi de ce prix Nobel de cette injustice contre leur peuple et tant d’autres peuples dans le monde.

Mes pensées se sont immédiatement tournées vers les nombreuses victimes qui ont croisé mon chemin ces dernières années. Je me demandais si la nouvelle leur était parvenue, loin des vagues de twitter. Est-ce que pour elles, ce prix pourrait encore faire une différence?

Mes pensées se sont immédiatement tournées vers les nombreuses victimes qui ont croisé mon chemin ces dernières années. Je me demandais si la nouvelle leur était parvenue, loin des vagues de twitter. Est-ce que pour elles, ce prix pourrait encore faire une différence ?

En 2016, j’ai rencontré 657 victimes de la violence à Beni, une ville et une région de l’est de la République démocratique du Congo. Parmi elles, certaines femmes m’ont raconté comment, tout comme Nadia Murad, elles ont été réduites en esclavage sexuel par un groupe rebelle.

Comme Mukwege et Murad, elles ont tenu à partager leur histoire avec le monde dans l’espoir qu’elles soient un jour entendues par quelqu’un qui a le pouvoir de prévenir la répétition de ces crimes. L’annonce mémorable du Comité Nobel norvégien m’a rappellé de leur souhait ardent et m’a fait plonger dans les archives de Beni Files. Leur témoignage ne peut laisser personne indifférent.

Hashtag #violencesexuelle

Parfois, un drame a besoin d’un visage humain pour rester visible sur le radar du monde. Ensemble avec Denis Mukwege et Nadia Murad, ces femmes donnent un visage au phénomène malheureusement séculaire des violences sexuelles. Cela les rend très vulnérables. Elles ne le font pas sans d’abord bien réfléchir et certainement pas sans avoir l’ambition de changer quelque chose.

Le docteur Mukwege décida un jour d’opérer moins et de parler plus. C’était le jour où une patiente s’est avérée être la fille de l’une des premières victimes qu’il avait prise en charge. Ce jour-là, quelque chose s’est cassé chez le docteur. En regardant la deuxième génération de victimes dans les yeux, il s’est demandé : ” Combien de femmes vais-je encore opérer avant que cette violence ne cesse ?

Sa véritable ambition n’était pas au départ de mobiliser plus de soutien, mais au contraire, d’en réduire le besoin.

Depuis que son témoignage a été entendu dans les instances internationales, le soutien financier et logistique aux victimes dans la région a considérablement augmenté. Ce seul fait est une réalisation importante de l’homme. Mais sa véritable ambition n’était pas au départ de mobiliser plus de soutien, mais au contraire, d’en réduire le besoin. Malheureusement, ces résultats-là ne sont pas encore visibles, et cela n’est certes pas dû à l’homme ni à la clarté de son discours.

Alors que Twitter se remplit de hashtags contre la violence sexuelle et que les expressions lyriques de soutien sont abondamment partagées, il y a peu de raisons de faire la fête en Irak ou à l’est de la RDC. Mukwege ne peut pas se défaire du sentiment que ce ne sont que des emplâtres sur une jambe en bois.

Le docteur Gertrude, qui s’occupe également quotidiennement des victimes à des centaines de kilomètres plus au nord que l’hôpital Panzi de Mukwege, a accueilli la nouvelle avec des sentiments partagés. Dans la région où elle vit et travaille, non seulement de nombreux groupes armés y mènent toujours leurs actions funestes, mais en plus, la maladie virale Ebola rend aussi la vie quotidienne bien plus difficile.

« C’est une reconnaissance pour tous ceux qui, sur le terrain, luttent contre la violence sexuelle. Mais la communauté internationale, qui diffuse aujourd’hui des communiqués de presse pleins d’éloges, n’enlèvera pas la cause du problème. Ni notre propre gouvernement d’ailleurs. » Non seulement les provisions en médicaments s’épuisent, même l’espoir finit par se dissiper.

Hashtag #Armedeguerre

Pour moi, malgré tout, des gens comme Mukwege et Gertrude incarnent l’espoir pour la région. Mais que la fatigue frappe aussi ces personnes engagées, ne doit pas être nié. Au moment même où le Comité Nobel était en pleine délibération et que les arguments en faveur du choix des lauréats étaient minutieusement formulés, tant en Irak qu’à l’est du Congo, des civils innocents sont tombés en proie à la violence incessante.

Le 25 septembre dernier, 16 civils, parmi eux des mineurs, ont été enlevés à Oicha, un village du Territoire de Beni au Nord-Kivu. Trois jours plus tard, à Mukoko, en plus de quatre morts, un nombre inconnu de gens ont été kidnappés. Ces gens-là, s’ils sont encore en vie, n’auront pas entendu le message du comité Nobel. Ils sont probablement en train de subir un sort similaire à celui des témoins de Beni Files.

La violence sexuelle est parfois, comme le dit Mukwege, une arme de guerre. Malheureusement, le plus souvent il s’agit tout simplement d’un phénomène de guerre. Bien que cette violence soit parfois consciemment utilisée comme une arme contre la population, et donc comme une arme de guerre, elle s’inscrit rarement dans une idéologie ou une stratégie quelconque. Dans les zones à conflit du monde entier, le viol et l’esclavage sexuel apparaissent tout simplement là où les armes ont anéanti toutes les lois et toutes les normes éthiques.

Les groupes armés qui envahissent une région abusent rapidement de leur pouvoir pour s’accorder d’autres privilèges. Des femmes comme Nadia Murad et les femmes de l’extrait de Beni Files qui ont été données aux rebelles comme récompense en sont un exemple extrême mais hélas trop fréquent.

J’espère que le Dr Mukwege me pardonnera d’aller plus loin que son discours en ponant que la violence sexuelle est bien plus qu’une arme de guerre dans l’Est du Congo. Les plus de 100 groupes rebelles de la région du Kivu n’ont guère d’objectifs idéologiques. Ils tuent souvent sur commande, le viol est leur prime. Ils pillent pour se ravitailler, et en plus des poulets et des chèvres pour remplir leurs estomacs, ils enlèvent souvent des femmes pour satisfaire leurs autres besoins.

Là où les armes remplacent les lois, la violence sexuelle apparaît comme un phénomène de guerre. Quand Mukwege a regardé dans les yeux de la deuxième génération de victimes, il s’en est rendu compte aussi. En décernant le prix Nobel de la paix à Denis Mukwege du Congo et à Nadia Murad de l’Irak, le Comité norvégien l’a compris, lui aussi. La violence sexuelle est une des formes de violences de guerre qu’il faut combattre en même temps que le conflit.

Hashtag #metoo

Depuis 2014, plus de 1500 civils ont déjà été tués dans la région de Beni, à l’est du Congo, et des centaines de civils sont toujours portés disparus. Au début de cette vague de violence, les milieux politiques internationaux avaient encore suggéré qu’une enquête internationale indépendante pourrait être appropriée. Des réactions similaires ont suivi une série de massacres au Kasaï, puis en Ituri. Mais l’idée n’a jamais dépassé le stade de la suggestion.

Une mission d’information parlementaire nationale, comme celle qui vient d’arriver à Beni, et qui n’est donc même pas une commission d’enquête parlementaire, est tout ce qu’on voit dans ces régions. 

Comme Nadia Murad et Denis Mukwege, les témoins de Beni Files espéraient pourtant que partager leur histoire pourrait sauver d’autres vies. Tout comme Mukwege et Murad, elles ne peuvent que constater que chaque jour d’autres victimes sont obligées à partager leur triste sort. Leurs voix sont entendues et leurs témoignages trouvent leur chemin en ligne et hors ligne, mais les conflits et la violence sexuelle continuent sans relâche.

Aujourd’hui, cette communauté internationale ne semble pas se sentir appelée à exposer, et encore moins à s’attaquer aux causes profondes du problème.

La communauté internationale, ce groupe amorphe dont nous aussi faisons partie, est souvent adressée directement dans leurs messages. Mais aujourd’hui, cette communauté internationale ne semble pas se sentir appelée à exposer, et encore moins à s’attaquer aux causes profondes du problème.

La vérité qui dérange est que ces causes profondes, aussi complexes soient-elles, ne sont jamais séparées du reste du monde. Voilà pourtant le message que Murad, Mukwege et les nombreux autres témoins cherchent à transmettre. Le prix Nobel de la paix pourrait-il contribuer à souligner encore davantage cette partie-là du message ? #StopConflict #EcoutezlesFemmes

Traduit du néerlandais par Ivan Godfroid

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