Passy Mubalama: ‘Si la moitié du pays est laissée sur le côté, alors le pays entier souffre’

Cinq étapes pour augmenter la présence de femmes congolaises au pouvoir

Ⓒ Elien Spillebeen

C‘est une femme du Congo de l’Est, mais non, ce n’est pas une victime. « Si je raconte que je viens de Goma, alors on croît que je me suis fait violer. » Elle secoue la tête, quelque peu indignée. « Pas seulement ici, hein. À Kinshasa aussi. » Passy Mubalama souhaite faire partie de la solution. Aujourd’hui, si possible, sinon demain.

« Il existe aussi des femmes entrepreneuses au Congo de l’Est. » Passy Mubalama nous prévient immédiatement qu’elle a déjà subi l’image restreinte de victime souvent attachée aux femmes de sa région. « Encodez Congo dans un moteur de recherche et vous verrez des images d’armes, de bombes et de rebelles. »

« Comprenez-moi bien : l’injustice doit être dénoncée», dit-elle en adaptant son discours. « Mais les journalistes rapportent plus rapidement des récits de guerre. Des récits de paix peuvent aussi favoriser la paix. » Elle était elle-même journaliste, mais abandonna lorsqu’elle vit la manière dont les réfugiés étaient laissés à leur sort à Goma. « Était-ce suffisant pour en parler? Je trouvais que je devais faire plus que cela. »

De l’aide humanitaire au droit des femmes

« Le changement commence par vous. J’ai compris à un moment que je ne suis pas une victime. Je ne dois pas me cacher derrière un homme en tant que femme et attendre son initiative. Moi, Passy, dois essayer de faire quelque chose pour faire changer mon pays » se lance Mme Mubalama.

La confrontation avec les réfugiés qui fuyaient Masisi pour s’installer à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, fut un tournant dans sa vie. « J’ai fondé l’ONG Aidprofen après m’être rendue dans un camp de réfugiés à Goma pour un reportage en tant que journaliste. J’étais complètement bouleversée. Était-ce suffisant pour écrire à ce sujet? » se demanda-t-elle. « Je trouvais que je pouvais faire davantage. »

« Il n’y avait vraiment rien dans ce camp. Les réfugiés venaient d’arriver. Il n’y avait pas des organisations humanitaires. » C’est la raison pour laquelle Passy Mubalama décida de s’en charger elle-même. J’ai mobilisé des amis pour rassembler des vêtements et de l’argent. C’est ainsi que cela a commencé. »

Ta place est dans la cuisine, ton rôle se limite au ménage.

Une suite logique, ainsi peut-on résumer le parcours de la jeune organisation Aidprofen. « Dans le camp, il y avait aussi des femmes victimes de violences sexuelles. On a constaté au cours de ce travail que la violence liée au genre est très répandue. Ce n’est pas seulement un phénomène de guerre, il se rencontre aussi très fréquemment au sein des communautés. »

« La violence contre les femmes semble normalisée par la société » constata Mme Mubalama. « Un homme peut manifestement frapper sa femme. De nombreuses femmes souffrent en silence. On est donc venu les sensibiliser et signaler aux femmes leurs droits. » L’organisation met également des actions en place pour signaler ces droits aux hommes.

Très vite, cette lutte contre la violence lié au genre est devenue une lutte pour l’égalité des genres. « Cela ne s’est pas avéré facile. Les traditions retiennent les femmes d’exiger leurs droits. Votre entourage dit : « Ta place est dans la cuisine, ton rôle se limite au ménage. » Vous grandissez avec ce genre de discours en tant que femme. »

Mais précisément parce que le rôle de la femme est trop facilement limité à la cuisine, ses droits se voient souvent bafoués, déclare Mme Mubalama. « Le manque de représentation des femmes dans les instances politiques fait partie du problème. » C’est la raison pour laquelle elle a augmenté la cadence. Depuis 2016, elle mène une campagne intensive pour engager plus de femmes en politique.

Les femmes ont plus d’impact

« Dix pourcents des élus au parlement sont des femmes. C’est plus qu’auparavant, mais encore trop peu. C’est un handicap pour le Congo. Les femmes représentent plus de cinquante pourcents de la population. Si l’on laisse plus de la moitié du pays sur le côté, le pays entier va en souffrir. »

Que cette sous-représentation ne touche pas uniquement les femmes et les enfants, mais aussi le reste de la population, Mme Mubalama l’étaye par l’exemple suivant : « Nous avons organisé une action il y a quelques mois. En fonction de la lutte contre Ebola, nous demandions d’améliorer l’accès à l’eau potable. La majorité des participants à notre action étaient des femmes. Les hommes réagirent étonnés : « Vous avez tout de même l’air propres et belles. Pourquoi souhaitez-vous plus d’eau? »»

« Ce sont les femmes qui se lèvent à trois heures pour ensuite parcourir trois à quatre kilomètres pour remplir un seul jerrycan avec de l’eau » clarifie Mme Mubalama. « Ce seul jerrycan ne suffit pas. Toutefois, les hommes veulent que l’eau soit à leur disposition. Ils ne s’attardent plus sur la manière dont est récoltée cette eau. »             

Les hommes politiques disent également représenter les femmes, mais Mme Mubalama croît qu’une augmentation des femmes au pouvoir devrait entraîner la présence d’autres accents politiques. « Elles comprendraient mieux que les décisions liées à l’accès à l’eau ont un grand impact sur toute la communauté et sur le pays ».

La voie vers le pouvoir, en cinq étapes

Depuis 2016, Aidprofen organise des cours pour les femmes membres de partis politiques. « Car les femmes sont déjà souvent membres de partis. Cependant, leur rôle reste trop souvent limité aux actions logistiques. Quand il y a une visite importante, elles doivent être au premier rang pour applaudir » constata-t-elle. «Mais on les nie par contre lors de la répartition des postes. »

© AIDPROFEN

« Nous conscientisons les femmes sur la sous-exploitation de leurs compétences. Parallèlement, nous signalons aussi ce problème aux chefs des différents partis politiques. » Mme Mubalama déconseille d’attendre que les responsables du parti l’aient bien compris. « Si les femmes souhaient avoir accès aux postes de direction, alors elles ne doivent pas rester et attendre les bras croisés, mais elles doivent forcer elles-mêmes le mandat. »

Pour les aider, Passy Mubalama a écrit un manuel. Étape une : croire en soi-même « Comment une communauté entière devrait-elle vous faire confiance si vous ne croyez pas en vous-même? Restez fier de qui vous êtes. »

Deux: ne pas attendre l’initiative d’un homme. « On le voit trop souvent: de nombreuses femmes attendent qu’un homme leur donne son approbation. Elles doivent prendre elles-mêmes l’initiative. »

Le dernier conseil de Mme Mubalama vise à éviter que les femmes tombent elles-mêmes dans le piège du genre. « Il faut convaincre des hommes et des femmes de voter pour vous. Ils ne doivent pas voter pour votre statut de femme, mais pour votre personne et votre rôle.

« Assurez-vous d’avoir une indépendance financière », continue-t-elle. « L’argent ne fait pas la grande différence, mais si vous vous présentez comme candidat, vous avez plein de petites dépenses. Les femmes doivent donc veiller à avoir leurs propres moyens financiers et à ne pas dépendre par exemple de leur mari. »

« Il est enfin important de bien comprendre le déroulement des procédures, afin de pouvoir aussi peser sur ces procédures en tant que femme », conclut-elle.

En bref : agir comme les hommes? « C’est exactement la manière dont agissent les hommes. » confirme Mme Mubalama. Seulement, les femmes vont devoir travailler trois fois plus ardemment pour atteindre le même objectif. Car c’est pour nous en réalité plus difficile. »

Déception

« Je me demandais si tout cela avait encore bien du sens. Je voulais arrêter »

Passy Mubalama parle avec passion. Elle veut volontiers obtenir des résultats rapides, et cela n’étonne pas vu la rapide ascension de son organisation Aidprofen. Elle n’est pas satisfaite des résultats des dernières élections de fin décembre : « Vous auriez dû voir mon visage quand j’ai vu les résultats. J’étais déçue et en colère. »

« Je me demandais si tout cela avait encore bien du sens. Je voulais arrêter, pour être franche. » Elle avait dépensé beaucoup d’énergie à préparer les candidates. Il y avait aussi finalement beaucoup de candidates féminines. Mais on ne vota manifestement pas pour les femmes. »

Les résultats électoraux étaient controversés. En ce qui concerne les élections présidentielles, il fut ensuite suffisamment prouvé que les résultats officiels ne reflétaient pas le véritable scrutin. Mme Mubalama comprend aussi qu’il existe un doute sur les résultats des élections parlementaires et provinciales, mais elle ne croît tout de même pas que les électeurs de sa ville aient beaucoup voté pour des femmes.

À l’échelle nationale, les femmes ont remporté quelques sièges supplémentaires aux élections. Leur taux de représentation a augmenté de huit à dix pourcents. Le niveau provincial affiche aussi quelque progrès.

Un quota de femmes dans les institutions politiques pourrait apporter des résultats plus rapides, ainsi que nous l’ont appris d’autres pays qui en ont fait l’expérience. Toutefois, Mme Mubalama ne plaide pas pour une forme d’obligation de la délégation féminine. « Cela pourrait en effet accélérer le processus. Toutefois, je veux que les femmes puissent participer à la politique pour leurs qualifications égales, non uniquement pour leur statut de femme. »

Changement intérieur

Ⓒ Elien Spillebeen

Passy Mubalama retire de l’espoir du bon exemple de la société civile. Les femmes prennent souvent la tête de la société civile. Elles évoluent à travers des organisations qu’elles ont souvent fondées personnellement. Mais c’est ainsi qu’elles gagnent la confiance. Nous devons désormais répliquer cette dynamique au sein des partis politiques.

Je suis partie de besoins visibles, pas d’une ambition personnelle, politique.

La solution n’est-elle pas alors de créer son propre parti? Ou, pour commencer, de faire soi-même de la politique? « C’est quelque chose que l’on me demande souvent » , rit-elle « À mes débuts avec Aidprofen, je suis partie de besoins visibles, pas d’une ambition personnelle, politique. J’avais l’ambition de changer quelque chose. »

On me dit souvent « Si tu veux changer le système, alors mieux vaut le faire de l’intérieur. » Mais bon, comme l’un de mes conseils le faisait déjà remarquer : Il ne faut pas se lancer en politique parce qu’on vous demande de le faire. Il faut se préparer correctement, avoir un plan, mettre au point une stratégie. Il ne faut pas le faire de manière impulsive. Il faut être vraiment prêt. »

« Si je me rends éligible, je prends aussi une couleur politique et je ne peux alors plus mobiliser des femmes de tous les partis. Je ne pourrais plus continuer mes activités. Mais il ne faut jamais dire jamais. »

Passy Mubalama est une des « Changemakers » (acteurs de changement) de 11.11.11, des personnes qui peuvent faire la différence selon le Vlaamse Noord-Zuidbeweging .

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

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