"Il n’y aura jamais de paix dans la région des Grands Lacs tant que Kagame restera au pouvoir"

Aussi bien Patrick Karegeya que le général Kayumba Nyamwasa ont été pendant des années impliqués dans la politique étrangère du FPR. Karegeya en tant que chef des services externes de renseignements et Kayumba comme officier supérieur qui a, avec d’autres officiers tels que James Kabarere, préparé les différentes guerres au Congo.

  • REUTERS/Stringer Kabila et Kagame en Goma, août 2009. REUTERS/Stringer

En 1996, le Congo a raté une grande chance par suite du meurtre de Marc Mahélé, nous dit Kayumba. Laurent Desiré Kabila n’était pour nous qu’une figure de transition et nous avions une plus grande confiance en Mahélé. Bosco Ntaganda, l’actuel homme fort dans les Kivus est un malfaiteur, ajoute encore Patrick Karegeya. La population Rwandophone des Kivus n’est pas satisfaite de la marche actuelle des affaires et cela va coûter cher à Kagame. ‘La communauté internationale sait très bien ce qui se passe en coulisses au Rwanda et au Congo, mais ne réagit pas. C’est criminel ! Lorsque ce volcan somnolent entrera bientôt en éruption, les diplomates étrangers pourront difficilement prétendre qu’ils n’étaient pas au courant.’

Pourtant, la plupart des diplomates étrangers pensent que vous exagérez. L’un d’eux m’a raconté que les contacts avec le gouvernement Rwandais étaient très difficiles, mais que le Rwanda est devenu un rocher solide dans le déferlement d’une mer Africaine très agitée.

Patrick Karegeya: C’est une déclaration facile. Et savez-vous pourquoi ce diplomate trouve les contacts avec le Rwanda si difficiles ? Probablement parce qu’il sait très bien qu’il y a une différence énorme entre l’apparence et la réalité. Mais seulement, il n’ose l’avouer tout haut.

Les Américains et les Anglais ont été pendant un certain temps fascinés par la discipline et l’approche du nouveau régime de Kigali. Kagame a aussi bravement fourni des soldats pour les forces de paix Africaines au Darfour, il transforme son pays en un état Anglophone modèle et se montre un grand défenseur de l’Amérique dans sa lutte contre le terrorisme musulman. Mais sa construction présente déjà des failles.

Il y a peu, le ministère Américain des Affaires Etrangères a admis que les droits de l’homme sont violés au Rwanda. Les Belges, anciens colonisateurs, se tiennent prudemment en retrait, mais savent pertinemment bien ce qui se passe. Tout cela est également lié à la situation au Congo : les grandes puissances savent que Kagame a les mains libres au Congo et elles ne veulent pas le provoquer. Croyez-moi, elles savent très bien ce qui se passe en coulisses. Et je trouve criminel de ne pas réagir à cela plus énergiquement.

Comment analysez-vous la politique Congolaise de Kagame ?

Patrick Karegeya: Une chose est sûre : il n’y aura pas de paix dans la Région des Grands Lacs tant que Kagame restera au pouvoir. Son intention est claire : contrôler les 2 Kivus et les exploiter. Kabila sait qu’il ne peut pas contrôler l’Est du Congo sans l’aide de Kagame. Ou pour dire mieux : il veut donner l’impression que lui – Kabila – est toujours encore le chef. Car, toute l’économie des Kivus est orientée vers le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie. Tout est administré par des partisans et des collaborateurs de Kagame. Dans le passé via le mouvement rebelle RCD (‘Rassemblement Congolais pour la Démocratie’) , plus tard par Laurent Nkunda et maintenant par Bosco Ntaganda.

Les milices les plus importantes de l’Est du Congo sont presque toutes équipées et armées par Kigali. Cela se fait de manière très opportuniste : les chefs des milices doivent obéir à Kagame et ne peuvent pas, par eux-mêmes, devenir trop entreprenants. Ceux qui commencent à devenir arrogants sont mis de côté. Regardez ce qui est advenu de Laurent Nkunda. Nkunda devenait trop menaçant pour Kabila et était près d’annexer tout le Kivu : Kagame ne pouvait le laisser faire.

Nkunda a stabilisé les Kivus. Lorsqu’il est devenu trop fort et que les Nations Unies ont marqué leur préoccupation à ce propos, Kagame l’a tout simplement éloigné et remplacé par Bosco Ntaganda. Des anciens partisans de Nkunda, qui refusaient de s’allier à Ntaganda, ont été poursuivis et assassinés. Ainsi Kagame a vendu la cause des Banyarwanda Congolais à Kabila. C’est la raison pour laquelle la plus grande majorité des Hutus et Tutsis Congolais sont devenus hostiles à Kagame. Cela va lui coûter cher à l’avenir.

Joseph Kabila ne fera plus au Kivu la même faute que son père au Kivu. En 1997, Papa Kabila avait commencé à réarmer les extrémistes Hutus pour déstabiliser le Rwanda. Il en a résulté une nouvelle invasion du FPR à Kitona qui lui a presque coûté la tête. In extrémis, il a encore reçu l’aide des Angolais.

Pour le Congolais moyen, il est inacceptable que les Rwandais se comportent en maîtres dans l’Est du Congo, et je peux les comprendre. Car revenir aux anciennes frontières d’avant la colonisation, ce n’est pas réaliste. Comme les choses se présentent aujourd’hui, Kabila peut encore quand même, pour ses partisans et pour la communauté internationale, donner l’impression que l’Est fait toujours encore partie du Congo. L’homme est très affaibli et tout comme Kagame, il doit s’abaisser à des tricheries pour gagner les élections.

Croyez-moi, pas un seul homme fort de Kigali n’a le moindre respect pour ce jeune homme. Kagame lui pisse sur la tête et Kabila ne peut que l’en remercier ! En nous accusant de collaborer avec le FDLR, Kagame espère que par là nous nous attirerions aussi la colère des Tutsis et Hutus Congolais. Mais ceux-ci savent bien mieux.

Déjà depuis des siècles, les rapports entre les Banyamulenge, les Tutsis du Sud-Kivu, et le pouvoir central du Rwanda sont tendus. Savez-vous que les combattants les plus endurcis de l’ancien FPR vivent actuellement cachés dans les provinces du Kivu ? Ils ont dans le temps (1990-1994) aidé à libérer le Rwanda, mais ont été payés d’ingratitude. Ils ont aussi délivré le Congo de Mobutu. Ils sont indignés qu’un gangster comme Bosco Ntaganda soit le maitre dans leur région. N’oubliez pas que la plupart des Tutsis Congolais ont toujours encore de la famille au Rwanda et qu’ils ne peuvent même pas parler leur langue maternelle, le Français. Les soldats Francophones sont aussi discriminés dans l’armée Rwandaise. Cela irrite beaucoup de gens.

Savez-vous que les meilleures troupes de l’ancien ‘Mouvement pour la Libération du Congo’ (MLC) de Jean-Pierre Bemba étaient des Banyamulenge ? Ces garçons faisaient dans le temps partie du FPR, mais ne se sentaient pas chez eux au Rwanda. Ils sont donc rentrés au Congo et beaucoup sont devenus mercenaires. Ils ont dépassé les bornes en République Centrafricaine et pour cette raison Bemba est en prison à La Haye. Mais ces bataillons ‘perdus’ font maintenant partie de l’armée Congolaise. Ces soldats se sentent trahis et maltraités, et si demain quelqu’un se présente qui leur garantit un meilleur avenir, ils le suivront. La méfiance envers le pouvoir central Tutsi de Kigali leur a été donnée avec le biberon.

Kayumba Nyamwasa: Le Congo a manqué sa grande chance en 1996, lorsque le général charismatique Marc Mahélé a été assassiné. Pour nous, ce général était destiné à succéder à Mobutu. Il était le seul général formé et discipliné de l’armée Congolaise.

Nous nous connaissions très bien : comme représentant du FPR, j’allais régulièrement en visite chez Mobutu et ainsi nous sommes entrés en contact. La manière par laquelle il a mis fin aux pillages de 1991 et 1993 a forcé le respect. Il était une des quelques figures respectées par tous les Congolais. Lorsque nous avons pénétré au Rwanda pour la première fois en 1991, Mobutu a envoyé tout de suite des unités spéciales pour aider la petite armée Rwandaise mal entrainée. Mahélé en était le commandant. Par mon intervention, le général a pu convaincre Mobutu de retirer ses unités du Rwanda.

Pour nous, Laurent Kabila n’était qu’une solution de transition. Une fois arrivé à Kinshasa, nous voulions le remplacer par Mahélé. Mais le général a été assassiné par un des fils de Mobutu. Nous lui avions demandé de se planquer et d’attendre le juste moment pour reprendre le pouvoir à Kabila, mais il a refusé d’abandonner son poste. C’est très dommage ! Si Mahélé avait encore vécu, Kagame n’aurait jamais pu fouler aux pieds les Congolais.

Je connais presque tous les chefs traditionnels des provinces du Kivu et je sais qu’ils sont très mécontents de la situation actuelle. Le Congo vit aujourd’hui autant sur un volcan que le Rwanda. Il ne faudrait qu’une petite étincelle pour que tout explose à nouveau.

Lors de votre fuite, vous vous êtes réfugiés en Ouganda et y avez été aidés par différents ‘officials’. Plusieurs fois, l’armée Rwandaise en était venue aux mains avec l’armée Ougandaise au Congo. Mais pour le moment à nouveau, Museveni et Kagame filent doux.

Patrick Karegeya: C’est juste ! Pour une personne extérieure, les relations et les tensions entre les Rwandais et les Ougandais sont souvent incompréhensibles. Mais notez pourtant que l’Ouganda connaît une certaine forme de liberté de presse et que les partis d’opposition y sont libres d’agir.

Mais c’est un fait que Museveni est au pouvoir depuis longtemps. Dans le passé, nous avons fait partie de son armée et jusqu’au début des années ’90, tout le monde croyait que nous étions des Ougandais. Nous y avons de la famille et des frères d’armes. Museveni était alors comme un père pour nous.

Paul Kagame était alors à la tête des services de renseignements de Museveni et connaît le pays presqu’aussi bien que ce dernier. Et nous y avons aussi nos contacts. Museveni et Kagame se sont disputés à propos de la question Congolaise. C’est dû en fait à leur égo : tous deux veulent se profiler comme étant les leaders principaux de la région, mais des intérêts économiques sont naturellement aussi en jeu.

Mais Kagame a planté le fer dans le dos du président Ougandais lorsque, à Kisangani, il a donné à un de ses colonels l’ordre d’attaquer les troupes Ougandaises. Depuis lors, ce n’est jamais redevenu comme avant entre eux : Kagame finance des partis et journaux d’opposition en Ouganda. Museveni ferme les yeux. Kigali met aussi la pression sur le régime Ougandais pour qu’il empêche le flux toujours grandissant de réfugiés Rwandais.

C’est vrai qu’aussi bien Kayumba que moi-même ont pu fuir vers l’étranger via l’Ouganda. Mais je ne vais pas révéler qui nous a aidés, ni quelle était notre route. Museveni doit être plus malin, car Kagame peut lui mettre des bâtons dans les roues. C’est pourquoi il a fêté le dernier Noël avec Kagame et ils vont régulièrement en visite l’un chez l’autre. Kagame peut se vanter d’avoir de la famille en Ouganda, mais nous en avons aussi !

Kayumba Nyamwasa: C’est juste ! Nous avons aussi beaucoup de soutiens en Ouganda. Pourtant, il est inacceptable que les opposants et réfugiés Rwandais ne soit pas du tout protégés par les autorités Ougandaises. La volonté existe bien, mais un policier qui n’a plus reçu de salaire depuis des mois est facile à soudoyer.

Les gens qui m’ont descendu l’année dernière en Afrique du Sud sont de simples tueurs à gages. J’ai regardé droit dans les yeux de l’homme qui tirait : il ne montrait pas d’émotion. Pour lui, c’était un job comme un autre. Pour de l’argent, on fait beaucoup et en Afrique, chacun a besoin d’argent.

Plus grave pourtant, c’est quand les services de sécurité mettent des compatriotes sous pression pour espionner leurs propres amis et membres de la famille. C’est criminel ! Les Interahamwe le faisaient aussi en 1994: ceux qui refusaient de prendre part aux tueries étaient eux-mêmes abattus. L’Histoire se répète, mais personne n’aurait pu penser que ça se passerait aussi vite (voir 4me partie).

L’auteur publie cet article sous un pseudonyme pour ne pas mettre en danger sa famille et ses amis au Rwanda.

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