Le Sénégal résistera-t-il à l'extrémisme venu du Sahel ?
Street Art à Dakar: une célébration de la diversité et de la liberté d'expression
Kris Berwouts, journaliste à MO*, est parti au Sénégal à la recherche des atouts de ce pays face à la menace du radicalisme religieux en provenance du Sahel. Aujourd’hui, il s’intéresse au dynamisme de la scène artistique de Dakar et comment elle contribue à la création d’un climat de tolérance.
Kris Berwouts, journaliste à MO*, est parti au Sénégal à la recherche des atouts de ce pays face à la menace du radicalisme religieux en provenance du Sahel. Aujourd’hui, il s’intéresse au dynamisme de la scène artistique de Dakar et comment elle contribue à la création d’un climat de tolérance.
Cet article a été traduit par Kompreno, avec le soutien de DeepL et Divina Fazila. Source originale.
Urban Warrior est un personnage soufi que Diablos a créé en 2012 et qui apparaît régulièrement dans son travail.
© Diablos
Je passe mes premiers jours à Dakar dans le quartier populaire de Médina, le cœur vivant de la ville, coincé entre les quartiers administratifs et commerciaux modernes. C’est le centre de la vie religieuse de la capitale sénégalaise, à l’ombre de la grande mosquée. C’est aussi un haut lieu de la culture. Le quartier a quelque chose d’un damier de 2,5 km2. De nombreux écrivains et musiciens y sont nés ou y ont vécu, la star mondiale Youssou Ndour étant le plus célèbre. Médina est considérée comme la partie la plus africaine de la métropole.
A Dakar, il est impossible de se promener sans apercevoir des œuvres d’art mural. Les graffitis font partie intégrante du paysage urbain ici. Médina est un quartier particulièrement coloré. A cause des marchandises sur le marché ou des habits des passants bien sûr, mais aussi par de centaines de peintures murales. Elles vont des leaders des confréries religieuses aux dessins récents de personnes et de scènes que l’on ne peut identifier immédiatement en tant qu’étranger, en passant par les tags comme ceux que l’on voit dans toutes les grandes villes.
Les graffitis sont totalement acceptés ici. Si un policier vous tape sur l’épaule pendant le travail, c’est généralement pour vous dire qu’il apprécie votre travail en cours.
Diablos
Une signature qui revient régulièrement sur les murs de Médina est celle de Diablos. L’accro à l’art de rue et DJ afro-groove belge Benjamin Tollet, me met en contact avec lui. Pour le rencontrer, je dois me rendre dans une banlieue un peu plus anonyme de Dakar.
Maguette Traore, Diablos pour les intimes, m’accueille à The Factory: ‘Nous sommes un collectif d’artistes graffeurs. Ici, c’est notre base. Nous voulions créer un espace où chacun pourrait s’exprimer librement. Nous y organisons également des formations. Les jeunes qui se sentent attirés par l’art viennent ici pour un encadrement. Nous leur donnons le temps et l’espace pour expérimenter, pour chercher leur propre style. Personne ne leur met la pression, mais nous voulons qu’ils restent concentrés sur leurs recherches’.
Les graffitis sont totalement acceptés ici. Elle n’est pas, comme chez nous, associée au vandalisme.
© Kris Berwouts
Art à vocation
Diablos me montre la maison. Chaque pièce a une histoire. Je vois des dessins et des croquis faisant référence à des icônes africaines des deux côtés de l’océan, des leaders marquants des mouvements de libération et des militants anticolonialistes.
‘Avant que nous ne commencions vraiment, il y a toute une dynamique communautaire qui se déploie. Nous sommes surtout à l’écoute des habitants du quartier.’
J’ai clairement à faire avec un homme qui a une vocation, qui s’intéresse autant au travail communautaire qu’à l’art. ‘Quand nous travaillons dans un quartier, nous le remettons d’abord en état. Nous repeignons les murs avant de commencer nos graffitis.’
Les artistes travaillent également sur de thèmes éducatifs, par exemple pour soutenir des campagnes d’intérêt public, sur la malaria, l’environnement ou l’hygiène. ‘Avant que nous ne commencions vraiment, il y a toute une dynamique communautaire qui se déploie. Nous sommes surtout à l’écoute des habitants du quartier, nous voulons savoir ce qui se passe, comment les gens voient telle ou telle problématique. En fait, cette phase est le début de la campagne de sensibilisation’.
L’art pour l’art ne compte pas ici. Pourtant, la beauté reste un objectif en soi, précise M. Traore: ‘Nous travaillons tout aussi souvent à l’embellissement de la ville, il ne s’agit pas toujours d’un message particulier. Nous réalisons, entre autres, de grandes installations sur des ronds-points importants de la ville’.
C’est une invitation de Diablos aux jeunes du Sénégal. Non seulement pour s’exprimer, mais aussi pour développer leur propre style.
© Diablos
Plus forts ensemble
M. Traore a fondé un collectif, The Factory, avec quelques autres artistes. ‘Chaque fois que nous réalisons une performance dans le cadre d’une commande, une partie du paiement revient à l’artiste et une autre partie au collectif,’ explique-t-il. ‘Nous avons élaboré un système où chacun contribue quelque chose.’
‘Ce système fonctionne un peu comme la zakat, l’obligation de faire la charité, l’un des piliers de l’islam,’ compare M. Traore. ‘Il nous rend beaucoup plus indépendants. Nous ne sommes plus des concurrents les uns des autres, et nous ne devons plus mendier de l’argent sur une base individuelle. Le collectif nous rend plus forts lors des négociations avec les clients concernant les grands projets. The FActory est un interlocuteur solide, les artistes individuels ne le sont pas.’
‘Le collectif nous donne aussi la marge financière de faire des choses gratuitement. Parce que nous pensons qu’elles sont importantes, ou simplement parce que nous en avons envie. Nous aimons travailler avec les écoles, par exemple.. Nous y allons d’abord pour écouter les enseignants et surtout les élèves. Qu’est-ce qui les occupe, quelle allure veulent-ils donner à l’école ? Ensuite, nous élaborons un concept avec eux’.
Il ricane: ‘Nous sommes ravis que, grâce à nous, certaines écoles pauvres soient beaucoup plus belles que de nombreuses institutions riches. Et les enfants l’adorent. Ils grandissent au milieu de notre travail. L’art est une évidence pour eux.’
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Tolérant
Maguette Traore est convaincue que le travail de ce collectif d’artistes contribue à un climat d’ouverture et de tolérance dans tous les domaines. ‘Politiquement aussi, même si nous essayons très fort de ne pas être étiquetés politiquement. Nous existons pour la créativité, la diversité et la liberté d’expression. Nous respectons tout le monde. Certains d’entre nous sont gays. Ils sont aussi bienvenus que les autres.
Spirituellement, le collectif défend la tolérance. Nous sommes tous soufis’, précise l’artiste. ‘Nous nous unissons autour d’une seule phrase ‘La ilaha ila Allah’ (‘Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu’, de la shahada ou credo islamique, ndlr). Cela nous place au cœur de l’histoire et des traditions du Sénégal.’
Modèle
La scène graffiti du Sénégal a des liens dans le monde entier. Des artistes belges se rendent également à Dakar pour participer à des festivals internationaux d’art de rue, indique Benjamin Tollet. À leur tour, les artistes de rue sénégalais voyagent dans le monde entier.
Je contacte également Dieynaba Sidibé alias Zeinixx, la première graffeuse professionnelle du Sénégal. Elle a confié au journal britannique The Guardian que, dès son plus jeune âge, elle aimait utiliser les murs comme toile pour son art: ‘Enfant, je dessinais Mickey Mouse et le logo de McDonald’s sur les murs de ma chambre.’ Aujourd’hui, à 31 ans, elle est poète slam, chanteuse et chef d’entreprise, en plus d’être une graffeuse.
Entre-temps, elle aussi encadre des jeunes, m’informe-t-elle. ‘L’essentiel est de créer un contexte dans lequel les gens peuvent prendre leurs propres décisions. Ce qui nous rassemble, c’est le besoin de s’exprimer, la recherche de la beauté. Que nous ayons besoin d’un micro, de nos corps de danseurs ou de pinceaux pour le faire est secondaire.’
La première dame de la scène graffiti de Dakar est très consciente d’être un modèle. C’est encore un monde très masculin. Et les rares femmes que l’on trouve dans cet environnement ne s’affirment généralement pas vraiment.’
“Ndiguel” est un concept important dans la spiritualité sénégalaise. C’est un appel à assumer ses obligations au sein d’une communauté.
© Diablos
Biennale
Dakar est une ville ambitieuse sur le plan artistique, c’est clair. Il y a quelques années, elle a créé un musée des civilisations noires. Elle rend accessible au grand public l’art fantastique de toute la région. Il y a également de la place pour l’histoire, avec, par exemple, toute une section sur le leadership noir à travers l’Afrique et les États-Unis. Cela inclut deux murs avec des portraits de femmes leaders.
Au moment où je rencontre M. Traore, fin juin, Dak’art vient de se terminer, une biennale que la capitale sénégalaise consacre à l’art africain contemporain depuis 1992. L’événement est depuis devenu, selon The New York Times, ‘l’un des événements les plus grands — et certainement le plus cool — d’art contemporain du continent africain.’
‘Dans la biennale on n’y rencontre pas les gens des quartiers populaires.’
Dak’Art joue le rôle de pionnier artistique de l’art africain, mais est aussi danevenu un carrefour de la pensée critique panafricaine. Mais qu’en est-il de la synergie entre l’art contemporain et le street art ?
‘Nous suivons la scène artistique contemporaine et elle nous suit,’ affirme M. Traore. ‘Il y a un contact et un respect mutuel. Mais la biennale, nous sommes un peu éloignés de cela. C’est maintenant une grand-messe qui n’a pas grand-chose à voir avec la communauté.’
Nous suivons la scène artistique contemporaine et elle nous suit. Il y a un contact et un respect mutuel. La biennale, nous en sommes un peu éloignés. C’est maintenant une grande messe qui a peu à voir avec la communauté. Et vice versa: les gens ordinaires ne s’y intéressent pas. Toutes sortes de hipsters nationaux et étrangers se promènent ici pendant cette période. Mais on n’y rencontre pas les gens des quartiers populaires. C’est précisément eux que nous voulons atteindre. C’est ainsi que nous apportons une contribution très visible à la lutte pour l’ouverture, la diversité et la tolérance. Et donc contre l’extrémisme.
Cet article fait partie d’une série et a été réalisé avec le soutien du Fonds Pascal Decroos pour le journalisme spécial.